email
Panafricanisme

Vient de paraître : "Cher Burkina" par le Dr Thierry Paul Ifoundza

Photo: Boubou traditionnel burkinabé, emblème de distinction patriotique

Le Dr Thierry Paul Ifoundza, pneumologue, a soufflé une intense chaleur sur les relations entre le Burkina-Faso et le Congo-Brazzaville dans un ouvrage intitulé « Cher Burkina » écrit à la première personne. Il s’agit, pour reprendre feu le Sénégalais Momar Gaye, d’un véritable « Souffle d’Afrique » , un concept du développement Sud-Sud envisagé par les Africains eux-mêmes et non comme a critiqué à juste titre le nouveau Premier Ministre de la Transition Burkinabé, imposé par les Occidentaux.

L’écriture de « Cher Burkina » , véritable essai politique, est déterminée par plusieurs séjours platoniques entre 2022 et 2024 dans ce pays du Sahel. On peut dire que le livre tient aussi bien d’Alexis de Tocqueville de De la démocratie en Amérique que de Montesquieu des Lettres persanes. Sa méthode ethnographique est celle de l’immersion-observation dans un univers Mossi où malgré les différences culturelles, il s’est senti en définitive comme un poisson dans l’eau.

  • Pour tout dire, j’ai ce sentiment étrange, depuis que je visite le Burkina Faso d’être plus burkinabé que congolais. (p.55)
    On ne saurait être plus panafricain.

Certes l’auteur se rend à plus de deux reprises au Pays dit des Hommes Intègres. « Cela ne suffit pas », dira-t-on ; car connaître un pays aussi complexe que le Burkina Faso, ancienne Haute Volta dont l’anatomie nécessite plusieurs séjours pour en saisir les profondeurs est un non sens historique. Mais on peut concéder au médecin français d’origine congolaise la légitimité d’émettre jugement politique et jugement moral sans tomber dans le travers du parti-pris, de l’anecdote, du superficiel, du superflu, du cliché. Du reste il précise :

  • « Autant le marteler. Je ne suis pas venu à Ouagadougou en curieux, parce que la curiosité c’est ce qui a amené Ulysse en Enfer dans la Divine comédie de Dante...Je ne suis pas venu en juge non plus parce qu’on est plus juge que témoin. Je veux être moi le simple témoin d’un quotidien sahélien témoin, un point c’est tout » ( pp11 et 12 )

Serment d’Hippocrate de l’intellectuel avisé.

Un témoin, ça témoigne ce que le réel veut bien montrer car souvent les apparences trompent. Par exemple le sentiment antifrançais qui semble la chose la mieux partagée dans un Etat Burkinabé de plus en plus favorable à la présence russe des paramilitaires de Wagner. Mais le sentiment pro-russe est en fait le baobab qui cache la forêt dense des relations franco-burkinabé, séculaires celles-là. Certes elles sont en dents de scie, input /output.
Ne pas donc se fier aux apparences. Du reste, certains ont ironisé sur le fameux sentiment anti- occidental des africains.
Le Dr Thierry Paul Ifoundza écrit :

« Le site The Conversation, dans un long papier documenté rapporte les précédents de cette guéguerre entre la France et ses ex-colonies africaines. Déjà en aout 1958 à Dakar, le Général de Gaulle fut obligé de répondre à ceux qui le brocardaient » les « porteurs de pancarte » (sic), « qui réclamaient sans attendre l’indépendance. Pourtant les mois ne s’écoulèrent pas que le Sénégal choisit à « 90% » la Communauté française. » ( pp 30 et 31)

D’ailleurs dans son livre France, grandeur perdue, le politologue Côme Manckasa fait le même constat. Il écrit que bien des surprises apparaitront si on faisait, soixante ans après l’indépendance, un referendum sur la réintégration des populations africaines dans la Communauté française après avoir réclamé l’autonomie dans les années 1958. Les résultats, selon C. Manckasa, seraient surprenants. Déçues à 90 % par leurs gouvernements, les populations noires choisiraient, selon lui, de vivre sous l’Empire français que sous la dictature sans vergogne des Présidents Denis Sassou, Faure Eyadéma, Paul Biya, Kaka Déby etc.

Il y a un hic : la France qui soutient ces mêmes dictateurs à la tête de ses (ces ) anciennes colonies veut passer pour celle à qui la mission civilisatrice incombe afin de contribuer aux bonheur des anciens colonisés. Les Africains pensent qu’après avoir été odieuse l’ancienne mère-patrie a changé de nature. Or « le chien s’assoie toujours de la même façon » (proverbe asiatique) . En conséquence, la sauvagerie politique des autocrates nègres fait magistralement regretter aux mêmes victimes de l’impérialisme français « Les temps bénis des colonies » (comme chantait Michel Sardou ) ou « les aspects positifs de la colonisation » comme se félicitait Nicolas Sarkozy.
Aimer ses bourreaux, ça s’appelle syndrome de Stockholm.
Ne cherchez alors pas l’erreur, elle est dans le fruit pourri du système de la françafrique qui ne peut pas être devenue philanthrope après avoir été misanthrope. « On ne peut pas être après n’avoir jamais été » !

St-Pétersbourg

Thierry Paul Ifoundza explique ses farouches attaches au Burkina Faso par son propre parcours militant lorsque, étudiant à St-Pétersbourg (Ex-Léningrad) il fut fasciné par la figure emblématique de Thomas Sankara le capitaine ( « qui alluma un phare en plein désert sahélien ») ( p. 5 ) dont un discours devant les grands de ce monde fut d’une insoumission inouïe.
D’autres, en revanche, se cachent dans la lumière pour commettre leurs forfaits...

Ayant passé une partie de sa vie au Congo, le médecin Thierry Ifoundza en arriva au constat que Thomas Sankara eut un destin similaire à celui de Marien Ngouabi. Les deux hommes furent habités par la même perspective d’avenir du continent noir désaliénée de la domination occidentale . L’un issu du pays Mossi, l’autre du peuple Mbochi. Tous deux, militaires, furent assassinés, selon le même mode opératoire, dans l’exercice de leurs fonctions présidentielles, par des amis respectifs proches, avant leur quarantième anniversaire de vie sur la terre des hommes.

Cher Burkina

L’amour le plus fort qui puisse exister, ce n’est pas entre deux Etres, mais entre un être et une terre aurait pu écrire Martin Heidegger très attaché au sol allemand. Que certains puissent alors facilement céder leurs Terres ancestrales à des métèques Rwandais, c’est ce qui n’est pas sans surprendre. Ca porte un nom : haute trahison.

Pourquoi cet amour du Burkina Faso ? Pourquoi ce titre sentimentaliste ? En tout cas la fascination sahélienne, c’est sans doute la raison capitale qui a poussé ce Congolais à écrire sur le pays des Hommes Intègres et d’avoir affectueusement intitulé son ouvrage « Cher Burkina » . Il aurait pu l’intituler Voyage au Burkina-Faso comme André Gide son célèbre roman « Voyage au Congo. » bien que Gide voyagea en AEF pour, entre autres aspects négatifs de la colonisation, dénoncer les conditions dantesques dans lesquelles le colon traça la ligne de chemin de fer Congo-Océan, tandis que lui, Thierry Paul Ifoundza :
« n’est pas venu en juge non plus parce qu’on est plus juge que témoin. (Il veut ) être (...) le simple témoin d’un quotidien sahélien témoin, un point c’est tout » ( p11 )

  • Rien ne ressemble plus au Burkina-Faso que le Congo-Brazzaville

L’attraction envers ce pays qui vit sous le signe du coup d’état permanent (dirait François Mitterrand), repose sur l’asymétrie que :
Le Burkina Faso est le Congo-Brazzaville de l’Afrique de l’Ouest et le Congo-Brazzaville le Burkina-Faso de l’Afrique Centrale.
Tout les réunit : la séduction marxiste, l’amour des révolutions, la violence politique, la corruption, Fespaco, Fespam, la richesse culturelle...la pauvreté matérielle.

Beaucoup de variables les séparent aussi : le tribalisme, les performances du système sanitaire, la violence urbaine qui trouve dans la misère un terreau fertile. Amer, Thierry Ifoundza déplore :

  • « Au Congo-Brazzaville, le désœuvrement des jeunes est en partie à l’origine de la délinquance et l’apparition du phénomène des Bébés Noirs et/ou des Kuluna, qui terrorisent les populations » (page 77)

Tribalisme congolais

Quant au pêché mignon du démon interculturel, Bayala, burkinabé, acteur de la société civile, membre de l’association Deux heures pour CAMITA Afrique s’insurge contre l’ethnocentrisme, plaie purulente du Congo : « Il faut lutter contre l’instrumentalisation du tribalisme. Bien que le Mossi soit l’ethnie dominante au Burkina, les mouvement associatifs ne sont pas fondés sur des bases ethniques.de la société civile » ( p. 68 )
En revanche au Congo de Sassou, le tribalisme est une règle, le vivre ensemble une exception. On le voit dans les distributions des postes politiques. Les Mbochi se taillent la part du lion et les miettes laissées par le fauve.

Le Dr Thierry Paul Ifoundza dans sa monographie arrive à cette âpre vérité :

« En fin de compte (...) la corruption est l’unique point commun entre le le Burkina et le Congo-Brazzaville mon pays d’origine, ce champion toute catégorie en la matière. » page 70

« Je me fiche de ce qu’il y ait des coups d’état militaires à foison- d’ailleurs, les hommes intègres burkinabé sont de loin les champions en Afrique ». ( p.12 )
Les Congolais ne sont pas non plus des anges en la matière, notamment quand on voit le sempiternel Sassou à la manœuvre depuis près de quatre décennies. Son pouvoir est au bout du fusil et l’alternance une perspective renvoyée aux calendes grecques.

Signes d’identités remarquables

La jeunesse, les références idéologiques, les narratifs sémantiques, deux chefs d’état assassinés : tout rapproche les deux pays. On peut même poser l’équation : Brazza, c’est Ouaga.

Brazzaville a son Lycée Thomas Sankara, Ouagadougou a son lycée Marien Ngouabi.
C’est à partir de la place du 2 octobre 1983 où Sankara prononça son discours d’orientation politique qu’on « accède au Lycée Marien Ngouabi. » ( p.53 ) topographie le Dr Thierry Ifoundza.

Les symboles comme le hasard font bien les choses. Au quartier Massengo, à Brazzaville, au bas de la colline où se situe le Lycée Thomas Sankara, commence l’Avenue Marien Ngouabi de Talangaï. (NDLR)

Burkina et Congo, mêmes tendances, frères jumeaux ?

Pourtant, se demande le médecin de Lille, pourquoi n’existe-il pas de coups d’Etats au Congo-Brazzaville, alors que les conditions de production d’un coup de force sont largement réunies au pays de Sassou plus que dans celui de l’ex-Président Blaise Compaoré ! Le régime sanguinaire de Brazzaville ne l’aurait pas volé si quelque capitaine de l’armée FAC lui applique un bon petit pronunciamento. Sassou le mérite.

  • Menace terroriste

Une chose frappe le médecin franco-congolais. Venu de France, se promenant dans une grande capitale (Ouagadougou),notre narrateur côtoie une population obsédée par la menace terroriste, ce qui pousse ses hôtes à le mettre chaque fois en garde contre l’imprévu. C’est que dès l’arrivée de Roch Marc Kaboré au pouvoir par coup d’état, des groupes terroristes n’ont eu de cesse de sévir au nord , au sud, à l’est, à l’ouest, partout au Burkina Faso jusqu’à menacer la capitale Ouagadougou. On peut comprendre la psychose des Ouagalais quand ils pensent qu’il existe des risques d’attentats et ne savent pas à quel moment se feront des passages à l’acte.

Psychose à Ouaga

Le Dr écrit : « ...mes amis me proposent une escapade à environ 50 km au nord de la ville capitale pour rendre visite à leurs parents et grands-parents...à la télévision, la RTB, les autorités rappellent à la population que la vigilance reste de mise » ( page 43 )

Une deuxième excursion à Zinaré (30 km de Ouaga est programmée avec les mêmes amis. On visite un site touristique : Laongo. Le temps presse on ne peut tout visiter.
« Les grand-parents insistent pour que nous rentrions vite à Ouagadougou, parce qu’il n’est pas question de trop traîner dehors la nuit, même si la situation sécuritaire s’améliore » ( p.45 )

De quoi être révolté. D’entrée de jeu, il fait état de son sentiment dans la dédicace de son livre :

« Je ne crois rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste » (Chateaubriand ) (p.3) Ce dédain est en phase avec la citation de Shakespeare (Richard III)
« De la terre heureuse, tu as fait ton enfer »

Des groupes terroristes qui ne laissent pas de répit aux populations dans le nord du pays à la grande désolation des dirigeants politiques eux-mêmes arrivés au pouvoir grâce à la violence des armes, ça s’appelle ironie du sort.

Ouaga a ses terroristes, Brazza ses Bébés Noirs.

Le pouvoir traditionnel

Le regard au microscope de l’auteur a rencontré le Mogho Naaba.
« On ne peut pas séjourner à Ouagadougou sans assister à la traditionnelle réunion publique hebdomadaire du grand notable de la ville capitale , le Mogho Naaba, le roi des Moosi, au cours de laquelle il prône la tolérance et la paix entre les communautés. En ces temps d’angoisse, une multitude de burkinabé de Ouagadougou et de ses environs, qui cherchent désespérément un guide, un devin un père spirituel en un mot un médiateur viennent écouter le Mogho Naaba. Son aura est à la mesure de la vitalité de la vie traditionnelle. » ( p.25 )

On cherchera en vain pareille institution du pouvoir traditionnel au Congo, pays hautement tribalisé, où pourtant fonctionnent des structures politiques comme le Kani, le Twéré, le Nzonzi, le Mbongui. Le pouvoir officiel du PCT se garde de consulter les chefferies locales sauf par calcul clientéliste : manipuler et instrumentaliser les ethnies.

Triballiques

Ce qui frappe également notre visiteur platonique, c’est l’absence du sentiment tribal dans la société burkinabé alors que ce phénomène constitue dans le cas du Congo-Brazzaville, le sport national.

Au Burkina, en dépit de la présence multiethnique, l’élément clivant est peut-être la religion. Le facteur déterminant du terrorisme ou les attentats explosifs provient de la branche africaine d’Al-Qaida qui a ses racines dans l’islam. Le nord du pays en semble le fief.

Thierry Paul Ifoundza cite la presse internationale, Libération :

«  Les alertes d’incidents attribués au groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim selon l’acronyme en arabe), affilié à Al-Qaïda, et dans une moindre mesure au groupe d’Etat Islamique au Sahel (El-Sahel) sont ainsi devenues officieuses. ..D’une fréquence quotidienne, elles ont déferlé à un rythme effréné dimanche 25 quand des dizaines de fidèles musulmans ont été tuées dimanche 25 février dans « une attaque d’envergure » contre une mosquée à Natiaboani dans l’Est du Burkina-Faso, et une autre contre des catholiques rassemblés dans une église » ( page 44 )

Autant dire, l’Islam n’a pas le monopole du terrorisme dans un pays
du Sahel, multiconfessionnel (y compris l’animisme)

Ibrahim Traoré

Le nouvel homme fort est perçu comme une réincarnation de Thomas Sankara par sa vision du monde et sa volonté de mettre en place une économie et une politique dynamiques et autocentrées. Sankara a été tuée, Ibrahim est la preuve a contrario qu’on peut tuer les Hommes, pas leurs idées.

Son Premier Ministre de la Transition est un « certain » Apollinaire Joachim Kelem de Tambera., ancien étudiant « niçois » du Pr Robert Charvin, grand juriste, spécialiste du Développement et de la Paix.
Le premier Ministre est bien conscient que « le problème du terrorisme retarde tout » (p80) ainsi que le lui ont enseigné Economistes et Juristes de l’école de Nice.

Présence congolaise au Burkina Faso

Nombre de Congolais ayant fui la guerre dans leur pays ont trouvé refuge au Burkina-Faso. On compte aussi une communauté étudiante venue se former dans ce pays ainsi qu’un nombre d’artistes. Il va sans dire que les étudiants ont été pris dans le piège de la suppression des bourses, un autre sport national de l’Etat-PCT de Sassou.

« La communauté congolaise y est fortement implantée. La grande vague d’immigrés s’est produite après la guerre des milices de 1997 opposant milices Sassou/Lissouba/Kolélas . Puis une immigration estudiantine. Avec la dégradation de la situation économique congolaise, peu d’étudiants sont repartis au pays à la fin de leurs études. » (p 81)
« Là où on est bien, là est sa patrie » disaient les Latins. Ils comptaient sans la nostalgie.

« Les Congolais du Burkina eux ne comptent que sur la mansuétude des autorités du Burkina pour y résider. D’autant plus qu’ils y sont bien intégrés beaucoup parlant la langue mooré. » (page 81)

Dans cent ans on s’étonnera sans comprendre la présence des descendances bantoues en terres du Mogho Naaba. Comme certains s’étonnent de la présence de descendants Abey en terre Mwene des chefferies Mbochi d’Oyo...

« Martial Pa’nucci connu sous le pseudonyme de Moyi Mbourangon parmi ces exilés. Ouagadougou est pour ainsi dire devenue sa terre d’asile ». (page 7)

Militant et artiste engagé, c’est au Burkina qu’il a posé ses valises depuis maintenant sept ans.
Il est l’auteur de cinq albums et de deux livres - Les rebelles sont des anges... ou l’aube d’un avenir avorté. L’artiste brille par un style incisif. (p.7)

Martial Pa’nucci servira de guide et de boussole au visiteur Thierry Paul Ifoundza en terre burkinabé.

Thierry Oko

 Cher Burkina , Thierry Paul Ifoundza, Editions Maïa. 86 pages avril 2024, 17 €

Du même auteur
 Un système de santé dystopique : où sont passés les milliards alloués à la santé ?
Préface du professeur Elisabeth Quoix
151 p. Z4 Editions juin 2020, 14 euros

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.