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Tout une histoire

Michel Boyibanda, ses clins d’œil en histoire

Photo: Michel Boyibanda a enseigné l’histoire en chantant

Michel Boyibanda est décédé ce 9 octobre 2024.

Le danseur -

Jean Pierre Ngombé, lui-même musicologue, imprésario, parolier, dit de l’illustre disparu : « Grand chanteur parmi les grands chanteurs des deux Congo, Michel Boyibanda, fils de la Sangha m’a toujours fasciné par sa manière de se tenir sur scène quand il chantait. Il ne se figeait jamais devant le micro. Toujours en train de bouger à la manière de James Brown, le Noir américain. Je me délectais de le voir chanter en dansant. » ( Les Dépêches de Brazzaville 10 octobre 2024)

Bouger comme James Brown, ce ne fut pas toujours le cas, notamment à ses débuts, lorsque, au bar Dancing Bouya-Bar Carrefour du Congo, il campait au micro, droit dans ses bottes, comme un I. C’était avec le Négro-Band. On l’appelait alors « Micho » et non, avec l’âge, « Vieux Bobo ».
Ses performances scéniques se révèlent dans Ok-Jazz, Assouman de Youlou Mabiala est un moment sublime de chorégraphie boyibandienne décomplexée qui a tant stupéfié le ministre Ngombet.

L’historien

Ce qui a particulièrement frappé chez Michel Boyibanda ce sont ses références historiques dans ses chansons.
On pense effectivement à « Zando ya Tipo-Tipo » qu’il signe dans Ok-Jazz - allusion au marchand d’esclave d’origine arabe qui sévissait sur l’île de Zanzibar au 19ème siècle. Tipo-Tipo est une chanson culte en Afrique de l’Est, aire shwailophone. Le titre a monté au firmament la cote révolutionnaire de popularité de Boyibanda pour avoir pointé un moment crucial de l’esclavage négro-arabe. Les forts en thème apprécièrent le référentiel historique de Boyibanda de la même façon que les patriotes du Pool admirent les renvois thématiques à Buttaffoco, Baratier, Dolisie, Deschavanes, Marchand, Hamon, intrépides colonialistes, selon la même dynamique révolutionnaire.

Boyibanda fait des émules. La douloureuse métaphore esclavagiste sera reprise par Nyoka Longo (Zaïiko) Teka Zaïko na zando ya Tipotipo. Au passage, signalons l’admiration de Nyoka Longo Jossart pour Boyibanda en tant que modèle de chanteur à la voix un tantinet nasillarde... « qui a son charme » (Clément Massengo)

Chanteur organique

Boyibanda se situait au « dessus de la mêlée » (Antonio Gramci), sans attaches. Il chantait le peuple (chanteur organique)sans avoir une carte du PCT, du MPR ou de l’UPADS en poche.

S’il faut classifier dans la grille politique, Boyibanda est alors un « chanteur engagé » au même titre que Franklin Boukaka, son acolyte dans Négro-Band. Mais un chanteur révolutionnaire qui n’a pas commis l’opportunisme de chanter la gloire pseudo-marxiste pécétisante des Ngouabi et autres Sassou magnifiée par des thuriféraires façon Kabako Lambert, Jacques Koyo, Clotaire Kimbolo, Youlou Mabiala, Laurent Botséké, Jean-Pierre Ngombet (eh oui) ....
On verra plus loin, Boyibanda tombera dans le piège courtisan que lui tend Franco Lwambo Makiadi Lokanga lua Djo Mpéné dans ses danses du ventre mobutistes où le dictateur récupère la figure de Lumumba. Nul n’est parfait.
En général, chez Boyibanda, pas de « Oyé, oyé soutien !  » ou de « A bas l’impérialisme » qui tienne.

Culture

Boyibanda a fait Dolisie des années 50. Y a -t-il croisé un certain Denis Sassou ? L’histoire ne le dit pas.

Reste que, ancien élève en agronomie, M. Boyibanda cultivait un capital intellectuel assez impressionnant. Ce garant intellectuel lui servit d’ailleurs de ticket d’entrée dans Ok Jazz de Franco séduit par le background de l’artiste originaire de Brazzaville, quartier latin d’Afrique. Vicky Longomba ne vit pas d’un bon œil l’arrivée, outre-fleuve, de ce doublon qui imitait facilement son timbre, se la coulait douce en langue de Molière et de Cervantes. V. Longomba sentit le risque de noyade dans l’océan des has-ben quand Boyibanda débarqua à Kinshasa-Lipopo avec son air de « ne pas y toucher.. »

On pense également à Massuwa é nani. Boyibanda nous plonge dans l’histoire du légendaire transport fluvial congolais avec des navires comme Reste, Hubert Balme ; Ville de Betou, ensuite le célèbre capitaine barreur Apollinaire. « Monano mwa Reste » ( du nom du bateau Reste) reliant Brazzaville et Bangui pendant l’âge d’or de l’économie aquatique sur le fleuve Congo, avec CGTA et TCOT, ancêtres de l’impayable ATC submergée par un « prolétariat flottant ». Jean Malonga (Cœur d’Aryenne) magnifie le fleuve dans cette partie septentrionale du Congo, la Sangha natale de Boyibanda. Monano mwa Reste est un texte créole lingala, moyi, likouba, mondjombo, mbochi. Boyibanda chanteur nordiste ngala symbolisait tous ces idiomes à la fois.
Bana Ebongo Ebuka system’s (1984) album ! Featuring Pepe Manuaku-Waku solo guitar ! « Abia léwé léwé » est chanté en langue mbochi stricto sensu.

Le Roi Makoko sera également signalé dans « Somboko », un titre composé dans Les Bantou en l’honneur d’une muse d’ethnie Téké. « Ba lobi ozali mwana Makoko » chante Boyibanda qui, dans son éloge de son égérie Téké, connecte sa problématique amoureuse au grand Royaume dont le souverain monarque, Ilo 1er, signa le fameux Traité de Mbé avec Pierre Savorgnan de Brazza, qui, lui, abolit l’esclavage au Congo.

Kimpa Vita rejoint la liste des héros de notre histoire dans « Ma fille, viens voir » (Rumbaya), Ngampo Olilou également (Ma fille, viens voir) (1980) Kimpa-Vita (ou Tchimpa Vita) est appelée Jeanne d’Arc noire, héroïne de la résistance africaine au royaume de Kongo. Elle mourra sur le bûcher comme la Pucelle d’Orléans. Ngampo Olilou symbolise le modèle d’enseignant du point de vue de la nouvelle pédagogie validée par la Révolution Congolaise. Une grande école de Ouenzé-Brazzaville (ex Père Pierre) porte son nom.

Balzacien congolais des drames humains, Boyibanda problématise les galères de la vie d’artiste dans l’album Négo-Band à Paris. Boyibanda chante Ebouka Babakas le représentant de notre diplomatie en France. Face à une question d’hébergement on logea les artistes à la MEC, sur ordre de l’ambassadeur. « Babakas alobi kendé na la MEC » chante Boyibanda. L’ambassadeur Babakas règle la question d’hébergement parisien des musiciens de Négro-Band à tout casser sur un simple mot d’ordre. Boyibanda remercie le diplomate par une chanson qui fait date.

Dans Etoile du Congo, un titre de Négro-Band, Boyibanda retrace l’épopée de l’équipe de foot. Il inscrit à jamais des noms illustres dans le marbre de l’histoire : Etoutou, Maboundou, Lokalinga..

Gilette - « Négro-Band à tout casser », Boyibanda ancien joueur d’Etoile du Congo, immortalise un autre stélien Samuel Boukaka et sermonne au passage les témoins de mariage de son ami Boukaka qui se transforment en amants par la suite. Ce sont des lames de rasoir pathologiquement efficaces quand il s’agit de blesser l’honneur du (de la ) marié (e). Gilette ya le 4 mai  !

Invoquons Clément Ossinondé, chroniqueur musical émérite, pour trancher qui, entre Michel Boyibanda et Démon Kasanaut fait l’éloge du canard révolutionnaire des années 65 Dipanda. On a des doutes.
Journal Dipanda (sis rue Bandza, face au Foyer Social ; rédacteurs Ndalla Graille, Lounda...)« Bango nioso bana Dipanda » entonne Michel Boyibanda. Dipanda, c’est l’histoire des 3 Glorieuses, c’est celle de la Brazzaville révolutionnaire de la JMNR. Enfant de Poto-Poto, Jean-Pierre Ngombet, 1er secrétaire de la Jeunesse, doit connaître. Dipanda n’a d’égal que Etumba, organe idéologique du Parti.

Lumumba, Héros National (Franco) - Franco & L’O.K. Jazz 1967.
Lumumba et Mobutu sont logés à la même enseigne historique dans Lumumba (Ok Jazz) (1967) (cf. supra)

Si ce n’est Boyibanda le compositeur, en tout cas il en est peut-être l’arrangeur (1). De toute façon il y a sa voix ; il met sa voix au chapitre de l’histoire. Pour ceux qui l’auraient oublié, « Le contentieux belgo-congolais » est réglé dans la chanson éponyme grâce à Lumumba.

Georges Duby de L’Ecole des Annales dit « Le gibier de l’histoire c’est l’homme ». Michel Boyibanda n’a rien fait d’autre qu’une chasse à l’homme historique dans le drame de l’existence sociale.

L. Ekirangandzo.

(1) Vocals by Vicky Longomba & Michèl Boyibanda. Guitars : Franco & Lumumba Simaro. Bass : Céli Bitshou. Maracas : Ntoya. Percussion : Bosuma Dessoin. Tenor sax : Verckys.

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