Le Club Millenium, chapeauté par le mensuel Africa International, organise régulièrement des rencontres qui drainent une foule très attentive. J’y ai mis les pieds pour la première fois hier soir. L’endroit, situé au 29 rue du Colisée, dans le 8ème arrondissement, est des plus attrayants. Certes ce n’est pas l’architecture de l’immeuble qui m’avait poussé à y aller mais la présence d’Achille Mbembe, invité pour une conférence afin de réagir aux propos de Nicolas Sarkozy à Dakar au sujet de « l’homme africain ». On pouvait apercevoir le chapeau d’Eugene Ebodé, les « habits traditionnels » de Mevegue ou encore la barbe grise de l’acteur et « doyen » Essomba. Dans cette salle comble et silencieuse, la voix presque cassée et chaleureuse de Mbembe semblait séduire, envoûter une de mes voisins qui se retenait à peine d’applaudir dès que l’orateur approfondissait son analyse, notamment lorsqu’il insistait sur le fait que l’Africain n’avait pas besoin de repentance ou de pardon et que sa préoccupation devrait être celle de savoir comment « guérir » ses blessures. La guérison fut donc le mot de la soirée, avec en toile de fond la pensée de Frantz Fanon qui, selon Mbembe, avait su illustrer la question du colonisé en mettant en exergue l’aspect « curatif » et non l’insipidité de la repentance. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, le racisme serait en quelque sorte le transfert de la maladie, de la folie du raciste vers l’Autre, cet Autre qui devient la victime...
Sarkozy n’avait donc pas à chanter l’antienne de la repentance – l’histoire, la littérature, les arts africains sont là pour nous éclairer quant à la richesse et au parcours que le continent africain a suivi jusqu’à présent.
Mais que faire alors ? Hé bien, l’Africain devrait plutôt penser ce qui « sera » et non systématiquement et exclusivement ce qui a été, à l’instar de la démarche d’un Martin Luther King. Notre handicap serait aussi cette difficulté à envisager, voire à inventer le futur du continent. A cet effet, nos penseurs sont loin d’avoir élagué les sentiers même si nous remarquons quelques avancées sur les plans artistique ou littéraire.
Et Sarkozy dans tout ça ? Et la France ? Il ne s’agit pas de tourner le dos à la France ainsi que l’envisage l’historien sénégalais Mamadou Diouf, professeur aux Etats-Unis, souligne Mbembe. Une telle attitude serait suicidaire. En effet, tourner le dos à la France, signifierait faire un trait sur cette "Afrique en France", sur ces Africains devenus français...
Au milieu de l’argumentation de Mbembe, il arrivait que le son se dégrade ou se coupe complètement. Du coup, mon voisin, dont l’agitationn ne cessait de monter, lançait alors :
« Le son est parti ??? C’est encore un coup fourré de ce Sarkozy ! Il est vraiment partout ! »