Un village - puisque c’est ainsi que vous appelez maintenant ce Blog - doit manifester son ouverture. C’est dans cet esprit que je prends donc l’initiative de publier ici de temps à autre les textes que des amis ou des intervenants me feront parvenir par l’adresse email du Blog dans le dessein de susciter la discussion.
Nous l’avions d’ailleurs fait avec Achille Mbembe, nous le faisons aujourd’hui avec François de la Chevalerie (en photo, en haut, à gauche). Il est le Président de China Messengers et nous lit depuis la Chine. L’article a été coécrit avec Mohamadou Ka, actuel Conseiller Municipal de Dakar (Sénégal). Les deux ont écrit il y a quelques mois un texte paru dans Jeune Afrique-L’Intelligent...
Voici la lettre que François de la Chevalerie nous adresse, suivie de leur article collectif.
Bonjour Alain,
De loin, je lis votre site dont je trouve toujours passionnants les commentaires dont beaucoup - il me semble - provenant de lettrés. Je n’ai malheureusement pas cette qualité mais je souhaite comprendre modestement le cours du monde, ce que je m’autorise en lisant votre blog.
Peut-être est-ce une suggestion hasardeuse, mais j’ai écrit voici quelques mois un article prosaiquement économique avec mon ami, M. Mohamadou Ka sur les relations
entre l’Afrique et la Chine dans le journal Jeune Afrique / l’Intelligent. Je me demandais si d’aventure il n’était pas possible d’en faire matière à débat. Cela
m’intéresserait de connaître le regard de vos blogeurs.
Cordialement,
François de la Chevalerie
Le développement de la Chine, une chance pour l’afrique ?
Dans les années soixante, les relations entre l’Afrique et la Chine s’apparentaient
à une course de vitesse entre Taipei et Pékin. C’était à la capitale qui
décrocherait le plus d’Ambassades ! Dès la fin des années 70, Pékin devait
l’emporter largement confinant Taipei à de seules relations avec l’Afrique du Sud
et les pays alentours. Si le discours musclé de Pékin contre la colonisation et le
régime de l’apartheid en sont les principales raisons, jouait également une certaine
affinité entre les Etats africains ayant opté pour un socialisme à caractère
scientifique et la chine communiste. Qui plus est, la gérontocratie pékinoise
n’était pas pour déplaire aux vieux sages d’Afrique. Même si les accords de
coopération engagés à l’époque étaient modestes, des étudiants africains étaient
alors accueillis sur les campus universitaires chinois.
A la fin des années 70, cette sympathie est mise en brèche par les razzias contre
ces mêmes étudiants sous prétexte de leur liberté de moeurs. Depuis cette époque,
les relations entre l’Afrique et la Chine sont entrées dans une espèce léthargie sur
fond d’indifférence. L’affaiblissement du mouvement des non alignés, comme un
nécessaire recentrage régional expliquent aussi cet éloignement.
Désormais arrimée à une croissance exceptionnelle, la Chine d’aujourd’hui entend
redevenir une puissance mondiale. A la conférence de Bandoeng, version 2005, le
Président Hu Jintao a appelé de ses voux un nouvel élan dans les échanges entre les
pays africains et la Chine. Loin de supposées sympathies idéologiques, c’est
désormais le pragmatisme qui domine. Pour son développement, la Chine compte avec le
réservoir des matières premières africaines. En posant un pied en Afrique, la Chine
entend aussi contourner les barrières douanières qui menacent la zone Europe. De
surcroît, des entreprises chinoises souhaitent s’installer sur le continent. A
petits pas, en exportant d’abord leur produits mais avec l’ambition d’y installer à
moyen terme des unités industrielles souples et mobiles. Couplé avec l’envoi de
techniciens, cette stratégie est déjà en marche.
Quel en est l’intérêt pour l’Afrique ? La Chine s’offre-t-elle comme un nouveau
partenaire ? D’entrée de jeu, le renchérissement du prix des matières premières lié
à la croissance chinoise répond à la très ancienne revendication de mettre fin à la
dégradation des termes de l’échange. Certes, tous les pays africains ne sont pas
logés à la même ancienne mais d’ores et déjà, l’augmentation du cours des matières
premières est à l’origine d’un regain de croissance, notamment, en Afrique australe.
Plus encore, grâce à la compétitivité des produits chinois, l’Afrique peut s’équiper
à moindre coût sautant ainsi l’étape des infrastructures lourdes à la rentabilité
hasardeuse. C’est vrai dans le domaine informatique comme également pour les
produits « essentiels » (industrie pharmaceutique). Dans ce dernier cas, leur
accessibilité favorise une amélioration de l’état sanitaire et par là, concourt au
développement économique. In fine, le coût opérationnel des coopérants chinois est
quatre fois moins élevé que celui des occidentaux. A critères techniques égaux,
mieux vaut donc les recevoir.
Au-delà de ces éléments, il est possible d’aller beaucoup plus loin mais il faut
pour cela une véritable prise de conscience en Afrique. Au lieu de privilégier l’axe
européen, mieux vaut élargir le cercle, voir ailleurs. D’une certaine manière avec
la Chine, l’enjeu est clair. Nul retour sur l’histoire, nul débat post-colonial. En
outre, comme les Chinois ne sont pas partisans de la politique des dons, les règles
sont plus simples. Avec la Chine, c’est la politique du win-win qui domine, chacun
doit y trouver son compte dans l’heure. En Afrique australe, certains pays ont déjà
compris la mécanique. Par exemple, des étudiants kenyans se forment désormais aux
méthodes chinoises. D’autres pays devraient emboîter le pas. Le coût d’apprentissage
en Chine est cinq fois moins élevé que celui dispensé dans les universités
occidentales et ce, pour des résultats plus efficaces puisque l’axe pédagogique est
articulé autour du concret. Dans un délai de deux ans, des techniciens kenyans
seront capables d’installer de petites unités industrielles souples et à moindres
frais.
Comme le disait naguère Cheikh Anta Diop, le jour viendra où « déconnectée d’un trop
étroit et laborieux partenariat avec l’Europe, l’Afrique deviendra libre ». Le rôle
croissant de la Chine peut y concourir. C’est une chance à saisir, celle de «
s’enrichir ensemble, loin de la pauvreté, de la fatalité » comme le rappelait
récemment le Président Hu jin Tao.
François de la Chevalerie, Président de China Messengers
Mohamadou Ka, Conseiller Municipal de Dakar