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Un homme atypique dans le Congo Typique : Mgr Kombo

Lorsque le jugement de l’histoire s’empare des actes d’un homme public, les dissèque avec le recul du temps, le verdict qui en sort est rarement unanime sur tous les points. Même les dictateurs affirmés, de Mussolini à Marcos, trouvent toujours après eux des affidés pour dire : oui, il était dictateur mais… Mgr Ernest Kombo que nous pleurons aujourd’hui est loin d’avoir été un dictateur. Mais le jésuite a été aussi notre Président de la République de fait, de 1991 à 1992. Il a été un homme public. La dissonance des jugements sur lui, étalés sur tous nos forums depuis l’annonce de son décès à Paris mercredi 22 octobre, n’est donc que normale : il se serait « contenté de faire le prêtre », certaines critiques lui auraient été épargnées. Ou bien auraient été formulées différemment, et dans d’autres milieux. D’Eglise, par exemple.

Pourtant, il reste un fait que tout ce que nous avons dit sur lui et tout ce que nous continuerons de dire aura un dénominateur commun : Mgr Ernest Kombo fut pétri d’amour vrai pour son pays. Ce fut, je dois ajouter pour l’avoir connu, un homme d’exception en avance sur nous tous.

Une première démarcation par rapport aux hommes politiques ordinaires – hommes politiques congolais, s’entend – peut être tirée du fait que jamais ses décisions ne furent prises pour un camp contre un autre camp. S’il eut des altercations fortes avec Lissouba – comme seul l’ancien Président savait les avoir avec tous ceux qui se frottaient à lui, dans son camp ou pas – il en eut aussi avec Denis Sassou Nguesso. Ce qui fait de lui l’aiguille d’une balance qui n’a pour nom que le Congo, pour lequel il a nourri une vraie passion, au point d’être soupçonné « d’en revouloir » ; d’avoir pris goût à la chose politique. Mais c’était mal connaître ce véritable feu-follet qui pouvait tenir une réunion le matin à Owando, son diocèse ; venir rendre les derniers hommages à un ami défunt à Brazzaville et finir la journée dans un coin de paroisse, à Nkayi. Passion pour les hommes de son pays ; passion pour donner un coup d’accélérateur à l’histoire enfin ouverte, pour assurer le minimum garanti à la survie de son peuple. Il avait fondé deux orphelinats. A Brazzaville.

De ses coups de gueule mémorables suintaient l’impatience de l’homme de conviction, désespéré de voir que les politiques qui l’ont adulé, manipulé, contourné, combattu, menacé même savent prendre des chemins de traverse dès lors que le bien commun est évoqué. On se souvient de ses apostrophes sur « un Congo gorgé de pétrole mais incapable de fournir la moindre goutte d’eau à ses citoyens ». Il le déclara après que sa chambre du Centre catéchétique de Brazzaville eut « atteint » le deuxième mois sans eau courante dans ce quartier pourtant huppé de la Cathédrale.

Un regard superficiel sur l’homme en a fait un arrogant pour certains. C’est une erreur commise par beaucoup, qui lui trouvaient parfois un côté agaçant d’entêtement. Il était comme ça : quand il croyait qu’il avait raison, mille adversités et mille attaques n’auraient pu l’ébranler. Il m’a souvent fait penser au boxeur George Foreman dont il avait quelque peu le physique. Puncheur redoutable, il tournait autour de sa cible, encaissant des coups dont on avait l’impression qu’il ne lui causait aucun dommage : puis, telle la foudre, il déclenchait son swing et étalait son adversaire au tapis ! Car, des coups, Mgr Kombo en a reçu. Et de tous les côtés, y compris au sein de son Eglise. Je l’ai vu célébrer la messe entouré de policiers à Pointe-Noire, où son arrivée comme administrateur du diocèse après la destitution de Mgr Mpwaty avait suscité une énorme kabbale. J’ai vu des lettres de dénonciation, envoyées par des prêtres de Nkayi, qui lui reprochaient de ne pas être du coin.

J’en ai lu encore d’autres, dont au moins une fut publique, de prêtres d’Owando, son dernier diocèse, qui lui reprochaient de trop voyager… L’adversité le stimulait et sa réponse aux attaques était parfois le silence, parfois une réunion où il prenait la parole – c’était un tribun – pour annoncer des mesures qui allaient, très souvent, au-delà de la politique de courte vue, mais qui préparaient le futur pour la zone où il a travaillé. Notons que Mgr Kombo était atypique également par le fait qu’il n’a jamais travaillé dans sa région d’origine, le Pool ; qu’il est né à Pointe-Noire ; a été pour la première fois évêque à Nkayi, dans la Bouenza et qu’il meurt comme évêque ordinaire d’Owando, dans la Cuvette.

Avec Sassou Nguesso aussi, ses rapports ne furent pas des plus faciles. Mais les deux hommes s’appréciaient et se parlaient sans détour. Je suis sûr que c’est à cause du respect qu’ils se vouaient l’un l’autre que la Conférence nationale a pu aboutir, et que la présidentielle d’août 1992 a pu avoir lieu dans des conditions de sérénité.

L’homme que nous allons porter en terre n’était pas un saint. Mais entre mille maux, les maux avérés et ceux qu’on lui prêtait, si nous devions faire la balance, nous trouverons plus de qualités que de défauts en faveur du Congo.

Nous l’avons regretté ces derniers mois pour tous les acteurs illustres de la vie politique congolaise qui s’éteignent un à un : Bongo Nouarra, Noumazalaye, Milongo, Thystère, Poignet etc…, dommage qu’aucun d’eux n’ait éclairé l’histoire par son témoignage libre et non complaisant. Mgr Kombo a accordé des centaines d’interviews aux journalistes, mais c’étaient toujours des prises de position sur le chaud. Nous aurions aimé un regard froid posé sur notre histoire récente, et contenue dans un livre de sa main. Son statut de prêtre, je crois, ne s’y opposait pas. Mais sans doute aurait-on crié, encore une fois, qu’il écrivait pour se préparer les allées du palais, une critique maintes fois entendue.

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