Malgré sa petite taille sur l’échelle continentale, le Congo compte un nombre impressionnant d’écrivains. Cette exception culturelle est due à un effervescent passé historique et sans doute aussi à une stratégie de sa population de vaincre l’ennui en développant l’imaginaire.
Par NOEL KODIA-RAMATA
Après avoir été marqué par la personnalité de Sony Labou Tansi tel le passage d’un météore et le fantastique de Sylvain Bemba, l’univers du roman congolais continue à se valoriser sous la houlette du doyen Henri Lopes et la confirmation du talent d’Alain Mabanckou qui, par son âge, pourrait maintenant se définir comme le « guide éclairé » de la nouvelle génération des écrivains congolais.
Naissance du roman congolais
Jusqu’aujourd’hui, le Congo défend sa place prépondérante sur le pan de la littéraire en Afrique. De Jean Malonga à nos jours, la littérature congolaise, plus particulièrement le roman, s’est distinguée au cours des cinquante dernières années. Mais il commence proprement dans les années 50, plus précisément en 1953 et 1954 quand le premier romancier Jean Malonga publie respectivement Cœur d’Aryenne et La Légende de MPfoumou Ma Mazono. Ce dernier roman fait écho à Ville cruelle d’Eza Boto alias Mongo Béti. Ces deux ouvrages seront publiés presque au même moment après avoir suscité l’intérêt des éditions Présence africaine.
Fécondité et réussite du roman congolais
Si Jean Malonga ouvre le chemin du roman en 1954, il faut attendre la fin des années 60 pour qu’il se réveille réellement avec Le Tipoye doré de Placide Nzala-Backa en 1968 et La Palabre stérile de Guy Menga, une année après. Avec ce dernier, le roman congolais rentre par la grande porte dans la maison de la littérature francophone avec le premier Grand prix littéraire de l’Afrique noire octroyé à un Congolais. Et cette porte grandement ouverte va permettre à des grands talents de s’imposer sur l’échiquier de l’histoire de la littérature africaine. Et comme l’affirment Alain Rouch et Gérard Clavreuil, « la littérature congolaise compte actuellement parmi les meilleures, les plus prolifiques et les plus homogènes d’Afrique noire ». Quelques années avant Roger Chemain, un spécialiste de la littérature congolaise, précisait dans une préface de Tarentelle et Diable blanc de Sylvain Bemba que le Congo « compte le plus fort pourcentage d’écrivains par rapport à l’ensemble de la population ». Le grand prix littéraire d’Afrique noire octroyé à Guy Menga fera aussi la fierté d’autres prosateurs. Comme on peut le constater, il y a plus d’une dizaine de récompenses qui leur sont octroyées pour la qualité de leur écriture. Jusqu’aujourd’hui, le Congo semble être le seul pays au sud du Sahara à avoir un palmarès élogieux par des distinctions qui étonnent les amateurs du roman (et de la nouvelle) comme on peut le constater dans la liste ci-après :
1969 : Guy Menga, Grand prix littéraire de l’Afrique noire (La Palabre stérile)
1972 : Henri Lopes, Grand prix littéraire de l’Afrique noire (Tribaliques)
1973 : Emmanuel Bounzéki Dongala, Prix Ladislas Dormandi du meilleur livre étranger (Un Fusil dans la main, un poème dans la poche)
1979 : Sony Labou Tansi, Prix du jury du Festival de la Francophonie à Nice (La vie et demie)
1982 : J.B. Tati Loutard, Prix de Lettres africaines Alioune Diop (Nouvelles Chroniques congolaises)
1983 : Sony Labou Tansi, Grand prix littéraire de l’Afrique noire (L’Anté peuple)
1987 : J.B. Tati Loutard, Grand prix littéraire de l’Afrique noire (Le Récit de la mort)
1988 : Emmanuel Bounzéki Dongala, Grand prix littéraire de l’Afrique noire (Le Feu des origines)
1990 : Henri Lopes, Grand prix littéraire de l’Afrique noire et Prix Jules Verne (Le Chercheur d’Afriques)
1997 : Daniel Biyaoula, Grand prix littéraire de l’Afrique noire (L’Impasse)
1998 : Emmanuel Bounzéki Dongala, Prix RFI-Témoin du monde (Les Petits garçons naissent aussi des étoiles)
1999 : Alain Mabanckou Grand prix littéraire de l’Afrique noire (Bleu Blanc Rouge)
2005 : Alain Mabanckou, Prix du roman Ouest-France, Prix RFO et Prix des Cinq Continents de la Francophonie (Verre Cassé)
2006 : Alain Mabanckou, Prix Renaudot (Mémoires de porc-épic)
Dans ces distinctions, se remarque Emmanuel Bounzéki Dongala qui écrit peu par rapport aux autres, mais très bien car presque toutes ses œuvres, jusqu’aujourd’hui, ont « appelé » des prix littéraires ; son dernier récit Johnny Chien méchant est sur le point d’être traduit en film.
Les romancières doivent persévérer
Se remarque du côté de la littérature féminine, l’absence de distinctions soutenables malgré quelques noms tels Alice Valette et Marie Léontine Tshibinba qui se sont révélées dans la Nouvelle avec une distinction du côté du Canada pour la première et sur les ondes de RFI pour l’autre. Mais dans l’ensemble, la prose féminine n’a pas encore réussi à entrer dans la grande maison de la littérature africaine. Des noms comme J. Balou Tchichelle qui, malheureusement s’est essoufflée après une belle réussite avec Coeur en exil et surtout Marie-Louise Abia avec ses deux romans Afrique : Alerte à la bombe et Bienvenus au royaume du sida, sont à retenir. A condition qu’elles persévèrent comme leurs confrères.
Alain Mabanckou sur les pas de Henri Lopes
De tous les romanciers, deux ont réellement bousculé l’histoire du roman congolais : il s’agit de Sony Labou Tansi et Henri Lopes qui sont sortis des sentiers battus du roman sociologique et historique que nous a servi la plupart de leurs confrères. Sony Labou Tansi et Henri Lopes, deux romanciers qui posent de véritables problèmes dans la conception textuelle du roman. Avec ces deux auteurs, fini le roman linéaire (que Lopes abandonne à partir du Pleurer-Rire). Ils ouvrent une autre page du roman congolais. On remarque par exemple dans la majorité des textes de Lopes une dispersion de l’histoire rapportée qui se métamorphose en convergence de l’incipit à la clausule comme dans Sur l’autre rive. Et on voit comment le rapport entre l’extérieure et l’interne offert par la confusion du texte, pousse le lecteur à participer à l’élaboration du sens du récit. Marie Eve à la fin du récit est-t-elle la même que nous avons découverte au début ? Quant à Sony Labou Tansi, le texte devient une sorte de guerre de récits où le référentiel et le littéral se disputent la place. Ainsi dans presque tous ses romans, les personnages ne racontent ni dans la perspective de celui qui écoute (qui lit le texte), ni dans celle qui parle (le narrateur). Ainsi ce dernier de se transformer en observateur.
Et l’on peut dire que les textes de Henri Lopes et Sony Labou Tansi ont indisposé certains universitaires avec le retard traditionnel dans leur profession. Ils oublient, comme le dirait Jean Ricardou dans Le Nouveau roman que « la courbe de la fiction se divise (...) en deux domaines : celui de l’euphorie du récit où domine la composante référentielle ; celui de la contestation du récit, où domine la composante littérale ». Et c’est dans ce domaine qu’il faut chercher la signification des romans de Henri Lopes et Sony Labou Tansi. Avec ces deux écrivains, le roman n’est plus écrit mais il s’écrit. De l’œuvre de Sony Labou Tansi, on peut affirmer sans ambages que, par sa fécondité étonnante et débordante sur le chapitre de la poésie, de la nouvelle, du roman et du théâtre, il serait « nobélisable » ou « goncourable » s’il vivait encore et s’il avait continué à écrire car ayant, dès le début de sa carrière littéraire, maîtrisé la technique de toutes les « écritures ». De Lopes, par sa maturité et son expérience littéraire (neuf ouvrages publiés jusqu’aujourd’hui : un essai, un recueil de nouvelles et sept romans d’une qualité indéniable car traduits en plusieurs langues étrangères) qui a marqué toute une génération, on peut le considérer comme le plus grand romancier congolais de notre époque, avec moult distinctions dans la Francophonie et plusieurs prix littéraires à son compte. Et se remarque sur ses pas Alain Mabanckou qui, par sa fécondité et la qualité de ses œuvres, pourrait être considéré comme le porte flambeau de la nouvelle génération.
Pour conclure
Ainsi, on peut affirmer que la littérature congolaise en général ( le roman en particulier) a marqué la deuxième moitié du XXè siècle et s’est ouvert avec succès dans le XXIè. Le premier prix Renaudot octroyé à Alain Mabanckou témoigne la puissance du roman congolais.
Noël KODIA
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
– Chemain (R.) Préface à Tarentelle et Diable blanc de Sylvain Bemba, Editions P.J. Oswald, 1977
– Clavreuil (G.) et Rouch (A.) Littératures nationales d’expression française, Bordas, 1986
– Ricardou (J) Le Nouveau roman, Editions du Seuil, 1973