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Henriette N’kodia, la culture et l’information en otage

En 1970, une jeune femme, Henriette N’kodia, entre en tant que libraire à la « Maison de la Presse » de Pointe-Noire, alors succursale du groupe de presse Hachette. Son zèle et sa compétence lui permettent de gravir tous les échelons. Ainsi en 1978 est elle nommée à la direction de l’établissement ponténégrin. Parcours hors norme dans ces années là pour une femme. Lorsque Hachette décide de vendre le fonds et l’enseigne, Henriette N’kodia s’en porte acquéreur majoritaire devenant ainsi une des toutes premières congolaises chef d’entreprise. Dès lors elle bénéficie d’un contrat d’exclusivité avec le groupe de distribution de presse français les NMPP [1] détenant le monopole de la distribution francophone.

Elle développera les établissements sur l’ensemble du territoire permettant à l’information de pénétrer jusqu’au plus profond des régions congolaises. Des "Maison de la Presse" se montent un peu partout à Brazzaville, Dolisie, Nkayi, Mossendjo, Ouesso… partout où les congolais avides d’information réclament d’en avoir plus. Rappelons qu’en ces temps ni la télévision ni la radio ne sont accessibles dans l’interland.

En ces temps de monopartisme, elle a fort à faire avec la censure à laquelle elle doit soumettre toutes les publications qu’elle veut distribuer. A maintes reprises elle se voit contrainte au nom de la liberté de l’information, toute formelle en ces temps de régimes totalitaires, de braver les foudres de cette institution aujourd’hui désuète. Henriette N’kodia est l’un des principaux catalyseurs de la ratification par le Congo des résolutions de l’UNESCO touchant aux questions de la liberté de la presse. Membre de Distripress gazette, Henriette N’kodia connue dans les différentes conventions internationales et régionales des distributeurs de presse.

Sa contribution à l’accroissement du taux d’alphabétisation du Congo, reconnu comme l’un des plus important de l’Afrique sub-saharienne des années soixante dix à quatre vingt par la mise à disponibilité des manuels scolaires sur l’étendue du territoire national à travers son réseau de distribution, lui valent renommée internationale.

Avec stupéfaction elle reçoit une injonction des NMPP lui retirant son agrément au profit d’une librairie ponténégrine concurrente [2].

S’ensuivent une série de procès qu’elle gagne mais que son pool de conseillers juridiques se montre incapable de faire appliquer. Aujourd’hui, Henriette N’kodia ne peut que déplorer l’indigence de la distribution de la presse écrite sur l’ensemble du territoire congolais et ne demande qu’à pouvoir reprendre le flambeau.

En témoin privilégié du système scolaire hérité de la colonisation et post colonial, elle observe aujourd’hui avec amertume la dégradation de la structure éducative caractérisée par :
 La baisse du taux de réussite ;
 La dégradation et l’insuffisance notoire des infrastructures et équipements scolaires ;
 La dégradation de la qualité de la formation et de la qualification des enseignants.

Qu’à cela ne tienne, dans les bacs de "la Maison de la presse", de nombreux auteurs francophones d’Afrique noire rappellent la pluralité et la diversité de la culture africaine parfaitement intégrée dans la francophonie. Le français demeure la langue véhiculaire et administrative officielle du Congo Brazzaville.


C’est dans son bureau de "la Maison de la presse", décoré de ses principales distinctions et de ses photographies historiques qu’Henriette N’kodia nous a fort aimablement reçus pour nous parler de son itinéraire hors normes.

Daniel Lobé Diboto : Madame Henriette N’kodia, vous comptez parmi les premières femmes congolaises à s’être lancée dans des affaires jusque là réservées aux hommes. Quand avez-vous pris en charge la gérance du fonds de commerce du groupe Hachette à Pointe-Noire ?

Henriette N’kodia : Sachez que j’ai été formée par le groupe international Hachette. Alors que je travaillais à la Chambre de Commerce on m’a affecté à la société Hachette. En 1978, année de l’africanisation des cadres, Hachette m’a embauchée comme directrice. J’ai toujours été animée d’une passion pour la presse et l’information, c’est dire que je ne pouvais pas refuser cette offre.
On dit que « lire c’est partir » je suis donc partie dans le monde entier pour y faire connaître et y élever la culture congolaise.

DLD : N’avez-vous pas eu peur de reprendre le fonds de commerce d’un groupe international comme Hachette ?

HN : Peur ! Du tout, je me suis dit que c’était une opportunité de former des cadres nationaux, et cultiver la jeunesse. Du temps du mono, la censure surveillait chaque revue que je recevais, c’était très difficile. Malgré cela, je laissais circuler l’information.
J’ai aussi développé le fonds de commerce dans le secteur scolaire. A chaque rentrée scolaire je faisais du porte à porte pour la fourniture des manuels scolaires correspondant aux programmes.
Une fois ce secteur ciblé je n’ai pas eu peur de reprendre Hachette. Je l’ai fait, j’ai lutté et je pense avoir réussi.

DLD : La maison de la presse que vous dirigez a dans ses bacs de nombreux auteurs francophones d’Afrique noire (congolais, sénégalais, maliens, ivoiriens, malgaches…).
Quelle est la place de la francophonie dans votre commerce ?

HN : Nous sommes en plein dans la francophonie avec la promotion des écrivains congolais dans le monde. Intra muros, la priorité est à la mise à disponibilité des manuels scolaires aux écoles consulaires et nationales.

DLD : Avez-vous tenté de faire la promotion des écrivains congolais sur place ?

HN : Plusieurs fois, à l’occasion de « lire en fête », nous réunissons les écrivains congolais à d’autres de l’Afrique Centrale pour la promotion de la culture. C’est une forme de promotion à laquelle monsieur Frédéric Pambou est très impliqué. Aujourd’hui, « Lire en fête » est une fête tournante qui a eu lieu à Kinshasa en RDC, à Pointe-Noire au Congo Brazzaville et prochainement elle aura lieu à Bangui en RCA.

Ya Sanza : Maman Henriette, quand je vous entend il me semble que sans être désintéressée par l’aspect business, c’est avant tout la culture qui vous attire.
Pensez-vous que vous auriez pu faire votre carrière dans un autre domaine que la presse ?

HN : Non, je ne crois pas. La presse est ma passion, elle informe et elle éduque. C’est avec la presse que je me suis formée. Je ne suis pas certaine que j’aurais su mieux m’exprimer dans un autre domaine.

YS : Est-ce là que vous avez trouvé vos racines ?

HN : Naturellement c’est dans la presse que je trouve tout.

DLD : Alors vous commencez la distribution des livres scolaires et l’INRAP [3]
apparaît.
Quels rapports de travail avez-vous eu avec cet organisme ?

HN : A chaque mois de juin, je me rapprochais de chaque école pour m’enquérir du programme retenu ? Durant les vacances scolaires j’avais donc les programmes des écoles afin de m’accorder avec les éditeurs pour la commande des livres.

Y S : Maman Henriette, la maison de la presse possédait le meilleur réseau de distribution au Congo. Quelle a été la chronologique des ouvertures de vos différents points de distribution ?

HN : Pointe-Noire, Brazzaville, Dolisie, et Nkayi qui m’ont écrit pour solliciter l’ouverture de points de distribution de presse. J’ai donc transmis cette information auprès des autorités françaises. Jack Lang, alors ministre de la culture en France m’a reçue pour me charger de la promotion de la culture francophone dans l’interland.
Dès lors, en France, on m’a fait de grandes facilités et on m’a fourni beaucoup de matériel A mon retour j’ai fait en sorte de diffuser la culture française sur les dix points de vente de mon réseau de distribution.

DLD : Maman Henriette N’kodia, nous sommes dans votre somptueux bureau, orné de décorations. Chaque distinction accrochée a une histoire, lesquelles sont celles qui présentent pour vous les symboles majeurs ?

HN : Ce sont surtout celles liées à la culture française. J’ai reçue la médaille d’argent à l’occasion de la création de la presse locale congolaise en langue française, monsieur Asie Dominique de Marseille qui distribue le journal « le Choc » en est un exemple. J’ai fait venir un journaliste français pour l’aider à comprendre la distribution et il m’est resté reconnaissant.
Pour le Mercure d’or, j’avais pris l’initiative d’aller à Vienne pour demander aux éditeurs de là bas de venir distribuer au Congo, quand ils sont arrivés et constaté que j’avais un grand réseau de distribution, ils m’ont décerné ce Mercure d’or.

DLD : Diplôme d’argent, Mercure d’or, Prix Tchikounda, Diplôme d’honneur de la Maison de la Presse, la liste n’est pas exhaustive. Maman Henriette N’kodia êtes-vous aujourd’hui satisfaite de votre itinéraire dans la librairie-papeterie ?

HN : Oui, je suis très contente. J’ai réussi à mettre des bibliothèques dans des écoles avec des livres que les éditeurs m’envoyaient, et c’est la même chose pour la presse. Dans « Planète Jeune » par exemple il y a des émulations entre le petit congolais et le burkinabé. Oui, je suis heureuse, cependant, au moment où je voulais renforcer mon action dans la culture, nous avons eu des problèmes. D’abord sur le plan du rayonnement du Congo, nous avons perdu la référence « Mwassi » actuellement devenue « Amina », ensuite aujourd’hui, vous constaterez que le décalage d’information par le biais des journaux français est réel en raison d’un mauvais procès avec NMPP.

DLD : Avez-vous d’autres projets dans le domaine de la librairie-papeterie ?

HN : On a beaucoup d’autres projets, car lorsque nous avons décidé de distribuer dans l’interland, nous étions enviés par les citoyens de la RDC et de l’Angola qui voyaient de mauvais oeils nos produits traverser les frontières. De Mindouli nus distribuions vers la RDC et de Ouesso vers le Cameroun, voyiez-vous nous étions destinés à un distribution sous-régionale.

YS : Entre la librairie qui marchait bien et la rupture non justifiée de votre contrat avec les NMPP française, voyez-vous l’intervention d’une main noire ?

HN : Je ne sais pas, mais il y a quelqu’un dont je tairais le nom qui à la suite de ce préjudice, et sous prétexte que je gagnais beaucoup d’argent, m’a proposé une association. Je ne pensais pas qu’un monsieur de son envergure puisse me faire une telle proposition. Ma réponse a été simple : « Je pensais que vous aviez plus d’argent que moi, comment voulez-vous vous associer à moi alors que j’ai créé ces affaires depuis longtemps ? ». Comme je n’ai pas cédé il m’a envoyé les impôts. La librairie a été fermée pendant un mois à Pointe-Noire et dix mois à Brazzaville. Ces gens là prétendent toujours agir au nom du Président de la République, qui est aussi mon Président, j’ai été le voir et il a compris que les autres mentaient.
Même si aujourd’hui la personne dont je parle m’a présenté des excuses, il est trop tard, je ne peux pas pardonner. Si je ne me battais pas, aujourd’hui je serais complètement ruinée.
Je constate aussi que la personne au profit de laquelle j’ai perdu mon agrément NMPP ne parvient pas à approcher les résultats qui étaient les miens et qu’il néglige totalement l’interland.
Alors, une main noire, peut-être…

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