Paul Soni Benga est écrivain et essayiste. Il est l’auteur du livre : « Les non - dits des violences politiques du Congo - Brazzaville » Editions L’Harmattan, Paris 2005, 324p à propos duquel notre rédacteur en chef l’a interwievé.
Benda Bika : Votre livre traite des « non-dits » des violences du Congo-Brazzaville : pensez-vous que ceux-ci soient les facteurs déterminants des différentes guerres ? Ou bien qu’ils en sont seulement le décor ?
Paul SONI-BENGA : C’est le troisième essai que je consacre aux violences politiques qui touchent le Congo. Autant, les deux premiers analysaient une réalité immédiate : celle des origines visibles de la guerre civile du 5 juin 1997 et leurs prolongements en décembre 1998. En écrivant la guerre inachevée, j’ai découvert qu’il y avait beaucoup de « non-dits » sur l’histoire sanglante de notre pays. J’ai commencé à entrevoir une petite lueur de rapprochement avec les événements qui avaient secoué le pays en février 1959. Partant de là, je n’ai eu qu’une obsession mettre à nu ces « non-dits ».
Notre culture, notre pudeur par la grâce d’une gymnastique syntaxique nous interdit de nommer, de dire. A cela, nous préférons faire des détours, utiliser toutes sortes de contorsions lexicales plutôt que d’appeler les choses par leur nom. En plus, étant pour nombre d’entre-nous, détenteurs de vérités absolues, nous tenons mordicus et pour véridique les « oui dire », les « on-dit », les « il parait que », la rumeur et autres colportages de seconde main. Il était donc normal que je m’essaye à cet exercice difficile, celle de reconstituer une partie du puzzle qui manquait pour comprendre certaines prises de position pour bâtir toutes sortes d’analyses visant à caricaturer l’histoire.
Ainsi, je nuancerai ma réponse non sans affirmer qu’il y-a dans les « non-dits » une part cachée de la vérité que l’on aime pas qu’elle se sache. C’est cette part d’ombre que nous avons cherché à percer pour chercher une explication à nos violences actuelles.
C’est un livre pédagogique et didactique que j’ai voulu faire partager aux lecteurs. Pour éviter d’apporter des réponses expéditives assorties de solutions à la va-vite, nous devons, autant faire ce peut, éviter de survoler les problèmes. Je me suis rendu compte en me documentant et en lisant toute la littérature qui a été consacrée aux crises récurrentes du Congo-Brazzaville, que certaines légèretés se sont transformées en vérités absolues ; des vérités qui ont fini par s’imposer à nous sans qu’on y apporte des correctifs.
B.B. : Depuis 1959, les Congolais se battent autour du partage du pouvoir : pensez-vous qu’ils aient tiré un enseignement quelconque des plus récentes confrontations ?
P.S.B. : Je ne saurais répondre à cette question dans l’absolu. Lorsque, au sujet des dernières violences, vous discutez, débattez avec vos compatriotes y compris avec certains pseudo-spécialistes des affaires africaines, tous affirment que ce sont des guerres ethniques, tribales : en gros, qu’il s’agirait d’une revanche tribale des « Nordistes sur les Sudistes » consécutive à la première guerre civile de février 1959. Même l’homme de la rue y va de son couplet en accréditant ladite thèse. Je n’irai pas jusqu’à affirmer qu’ils ont raison. Par ailleurs, lorsque certaines personnalités éminentes de la société civile française reprennent à leur compte quelques unes de ces thèses dans des ouvrages qui font lieu de référence quasi biblique dans certains milieux, il y a péril en la demeure. Cela n’augure point des lendemains meilleurs en laissant se propager pareilles inepties. Comment, à partir de là ne pas interroger notre passé pour lui demander si les violences qui ont éclaté à Brazzaville étaient d’essence tribale, ou de lutte pour le pouvoir ? Il ressort de cette longue introspection, que ce conflit ne visait qu’un seul but, comme aujourd’hui, accéder ou conserver le pouvoir. Il a opposé des hommes avec des visions et convictions différentes pour le pays qui ne pouvaient être épaulés et soutenus que par leurs partisans. De ce que nous savons des événements de 1959, les assertions de guerre Nord/Sud défendues par nos élites, ressemblent de plus en plus à une masturbation plutôt qu’à une contribution intellectuelle. La question que nous nous posons, c’est pourquoi avoir défendu durant des décennies le caractère tribal de ces affrontements ? Où voulait-on en venir ?
B.B. : A vous lire, vous donnez l’impression que le camp Sassou avait subi la guerre. Si on peut l’avoir pensé en 1997 - Cf les propos du Président : « Je dormais ; on est venu m’attaquer » - plus de dix ans après, cette interprétation des faits tient-elle la route ?
P.S.B. : Au-delà du côté anecdotique et communicationnel de cette phrase, il n’en reste pas moins que les facteurs du déclenchement de cette violence existent. Si je veux jouer à la provocation je dirais qu’il y avait une intention manifeste de la part du pouvoir de l’époque à vouloir faire passer de vie à trépas Sassou en juin 1997, comme il en fut pour l’ancien Maire de Brazzaville, Bernard Kolélas en 1993. Lorsque vous allez à Makélékélé ou à Mpila, devant la résidence de Sassou, les vestiges de cette provocation existent. Certains ont parlé de guerre du tipoye ou de coup d’Etat pour justifier le début des hostilités du 5 juin, nous ne tombons pas dans la caricature pour affirmer que les origines de cette violence visait la lutte pour la conservation ou l’accession au pouvoir par les différents protagonistes de l’époque.
Puisque vous me demandez si cette interprétation des faits tient encore aujourd’hui, cela suppose que vous en avez une autre pour expliquer cette violence armée qui, des mois durant, a pris les populations civiles en otage. Pour ma part, dans les dessous de la guerre du Congo-Brazzaville, j’ai fait la démonstration qu’il y avait une nette volonté à se défendre contre un régime violent qui, après avoir acquis le pouvoir par les urnes, a voulu le conserver par la violence et pour la première fois, a usé de la force pour contraindre ses adversaires au silence. J’ai défendu cette thèse et je continue à la soutenir encore aujourd’hui. Si les milices Ninjas de Frédéric Bintsingou, alias « Pasteur Ntumi » et Bernard Kolélas avaient délogé en décembre 1998 les partisans de Sassou aurait-on parlé de reprise du pouvoir par les armes ? Aurait-on qualifié cet acte de bravoure réclamant par la force le retour de la légalité constitutionnelle ?
Nous n’allons pas nous accorder sur les terminologies et encore moins sur la qualification des actes qui ont poussé au déclenchement de cette violence. Deux choses sont au moins certaines : Dans la nuit du 4 au 5 juin 1997, les chars se sont postés devant la résidence privée d’un futur candidat à l’élection présidentielle d’août 1997 pour y déloger, -avec des mandats d’amener-, deux officiers de la garde rapprochée de ce dernier ; l’autre acte, fut l’entrée triomphale des Nsiloulous dans les quartiers sud de Brazzaville avec pour objectif de prendre le pouvoir ou « libérer le pays » ? A chacun d’y mettre toute sorte d’interprétation à ces deux faits qui sont de notoriété publique. Ayant dit tout ça, qu’en est-il de la situation de notre pays ? Sommes-nous plus heureux aujourd’hui que nous ne l’étions hier, après le passage de ces violences à répétition ? Ce sont ces questions qui doivent préoccuper tous les acteurs politiques de notre pays du pouvoir comme de l’opposition pour qu’on y trouve enfin, une réponse à la misère et la paupérisation qui clouent les populations civiles dans un état de délabrement, en contradiction avec l’immensité des richesses dont regorge ce pays. Aujourd’hui, c’est ce débat qui doit nous préoccuper. Quant à la couleur et le sexe des anges, nous pouvons toujours disserter ; moi j’ai ma propre religion.
B.B. : Un à un les différents protagonistes de la guerre de 1997 rentrent au pays ou font allégeance. Qu’est-ce qu’il y a de durable dans ces embrassades, réconciliations et amnisties : chacun ne cache t-il pas son couteau derrière le dos ?
P.S.B. : Que de temps perdu et de vies humaines gâchées pour en arriver là, comme s’il y avait une voie autre que celle de la réconciliation, la paix et de l’unité de la Nation ! Pourquoi, les uns et les autres n’ont pas saisi les différentes perches qui leurs avaient été tendues pour créer cette dynamique que tous pensent, aujourd’hui, comme irréversible. J’ai analysé les retours d’alliances, les mésalliances et les différentes occasions manquées visant à apaiser les tensions armées. Je trouve scandaleux que l’on organise toutes ces messes de réconciliation sur le dos des pauvres populations civiles qui n’avaient rien à avoir au combat des chefs de nos leaders politique ; ce peuple qu’on a saigné aux quatre fers à cause de son soutien - désintéressé ou non -, est en train de voir se recomposer devant lui la carte politique de son pays à coup d’espèces sonnantes et trébuchantes, sans qu’il comprenne les raisons qui ont poussé cette même classe politique à s’entredéchirer.
Et sans vouloir forcer le trait, nul n’ignore que des vies ont été brisées, des ménages détruits, le tribalisme exacerbé, la méfiance accrue et l’activité économique déstructurée à cause de ces violences. Aujourd’hui, on fait comme si rien de tout cela ne s’était produit dans notre pays. Alors, si quelqu’un vient, comme vous le dites, avec un couteau derrière le dos pour remettre en cause ce fragile équilibre, c’est qu’il n’a rien compris de la misère et la souffrance du peuple. Il est plus que jamais temps que les gens se mettent tous ensemble pour reconstruire ce pays.
B.B. : Je reprends ma précédente question : croyez-vous que Kolélas s’est définitivement rangé dans le camp de Denis Sassou-Nguesso ou bien s’agit-il, une fois encore, d’une simple halte pour mieux rebondir ? En d’autres termes : croyez-vous que la guerre va encore éclater au Congo ? Que d’autres non-dits couvent sous la cendre ? Lesquels ?
P.S.B. : Il paraît qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Je ne pense pas que l’ancien Maire de Brazzaville veuille rentrer dans l’histoire « les pieds devants » en cherchant, encore une fois, à « rouler dans la farine » le peuple et ses nouveaux - anciens partenaires. Aujourd’hui, l’homme qui est à la porte de la vie, s’est assagi et cherche une sortie honorable qui viendrait effacer son image d’éternel roublard en prônant la paix, la réconciliation et l’unité du pays comme unique credo. Lorsqu’il demande pardon au peuple, personne ne peut douter de sa sincérité même si j’aurai préféré qu’il demande, d’abord, pardon au « Peuple du Pool », à ses enfants dont nombreux l’ont suivi, ont cru en lui et y ont laissé leur vie. Pour ce Pool meurtri et dévasté par la violence, il ne peut pas marquer de « halte pour mieux rebondir », comme vous le dites. Il doit, au contraire, prouver qu’il est aujourd’hui animé de meilleures intentions et déterminé à repousser le spectre de la violence au plus lointain de la mémoire collective. S’il arrive, les Congolais seront capables d’oublier ce qu’il a fait dans le passé pour ne retenir que son engagement pour la paix. Ils seront d’autant plus disposés à accepter son pardon qu’ils n’ont jamais été un peuple violent.
Pour briser le silence des « non-dits », il ne faut plus faire l’économie d’aller interroger les aînés et se nourrir de leurs expériences. D’ailleurs, on perçoit un léger frémissement de la part de nos compatriotes à chercher à s’approprier leur histoire dans le but d’éclairer une grande partie de la population qui a été formaté par la haine de l’autre et qui n’aspire qu’à vivre en paix. C’est la seule façon pour arriver à éloigner le spectre de la guerre civile qui nous rôde autour. La seule guerre à vaincre, c’est celle contre la pauvreté et parvenir à assurer un mieux être à nos concitoyens. S’il y a un risque de reprise de la violence un jour dans notre pays, ce sera parce que les masses affamées se seront soulevées pour réclamer leur part des richesses que se partagent les élites au pouvoir quelques soient leurs obédiences. Ce ne sera pas pour des raisons de politique politicienne. Elles sont de plus en plus convaincues que cette classe politique s’arrange toujours entre elle pour se réconcilier tout en opérant sa mue idéologique derrière son dos.