France, (LEC)-La décision de suspendre la fourniture des anti-rétroviraux (ARV) par les principaux fournisseurs au Congo est lourde de conséquences. Elle pourrait, entre autres, développer la survenue des souches du virus du sida résistantes aux traitements actuels.
M. Arsène BIKOUE, docteur ès sciences, immuno-cytométriste et Président de l’association Combat pour la Santé et pour la Vie (ASCOSAVIE), nous expose sa vision sur la problématique du Sida et ses conséquences à plusieurs niveaux. Il lance également un appel à toutes les bonnes volontés pour s’engager dans la lutte contre cette pandémie et mettre en place une stratégie à bon escient.
L’Etudiant congolais : Les principaux fournisseurs des anti-rétroviraux (ARV) au Congo ont récemment suspendu leurs prestations. Pouvez-vous nous fournir une explication de cette décision ?
Arsène Bikoué : Permettez-moi d’abord, avant de répondre à votre question, de vous remerciez sincèrement pour cet entretien. Si j’ai bien compris, vous ouvrez vos colonnes à tous ceux qui ont des idées à faire bénéficier aux compatriotes. C’est louable. Et, je vous en félicite. Car c’est dans le débat, dans l’échange d’idées, dans la construction d’une vision de notre société que nous parviendrons à cultiver l’esprit de tolérance, de fraternité et de solidarité indispensable à la mise en place d’une démocratie sociale, citoyenne et républicaine. En un mot, une démocratie effective et vivante. Jean Jaurès avait dit : « Le courage, c’est de comprendre le réel, mais, d’aller à l’idéal ». Mon idéal à moi, c’est un Congo, dans lequel, mes compatriotes ont, entre autres, accès à un système de santé digne du 21ème siècle. Un système de santé qui permet à la fois de bien diagnostiquer les maladies et de bien les traiter. Pour moi, la santé de mes compatriotes n’a pas de prix. Elle n’est pas négociable. On ne peut pas tergiverser sur la santé quand l’objectif est d’aller vers le développement. Alors, pour revenir à votre question, il apparaît que depuis 2003, le gouvernement tergiverse sur la santé des compatriotes, en l’occurrence sur la santé de celles et de ceux qui sont malheureusement contaminés par le virus du Sida. On ne peut pas dire autrement. Le principal fournisseur des anti-rétroviraux, la compagnie SAI PHARMA, a suspendu ses livraisons parce que le Congo lui doit de l’argent. Notre pays ne règle pas les factures. Un fournisseur, ce n’est tout de même pas un philanthrope. Il ne vous fournit pas ses médicaments pour vos beaux yeux ! Il faut payer. Et quand cela fait deux ans que les factures ne sont pas payées, cela touche à votre crédibilité. Mais quand c’est un gouvernement qui ne paye pas pour la santé de ses compatriotes, je vous laisse le soin de trouver les qualificatifs qui conviennent.
LEC : Les personnes vivant avec le Sida ont pourtant grandement besoin de ces médicaments. Pouvez-vous nous expliquer quel est l’intérêt pour les malades de suivre ce traitement ? Et quelles sont les conséquences d’une telle décision pour ces derniers ?
Nos compatriotes infectés par ce redoutable virus du Sida, ont vraiment, grandement besoin de ces médicaments. Je ne vous le fais pas dire ! Le virus du Sida est un virus particulier dans son action, en ce sens qu’il s’attaque aux défenses de l’organisme. Ce sont ces défenses qui nous permettent de nous prémunir contre les maladies. Par exemple, quand nous attrapons le paludisme, l’organisme mobilise ces défenses pour s’attaquer au paludisme et le vaincre. Là, les défenses sont intactes et parfaitement fonctionnelles. Mais quand le virus du Sida vous infecte, dès le début, il s’acharne à détruire, petit à petit, vos défenses jusqu’à les anéantir complètement. Ce travail de sape du virus du Sida peut durer de 2 à plusieurs années, selon la personne infectée. Une fois anéanties, les défenses de l’organisme ne peuvent s’opposer au paludisme, dans notre exemple. Le palu vous emporte. En général, vous ne pouvez plus vous défendre contre n’importe quel microbe ; même celui qui normalement est inoffensif, devient virulent contre vous. Les médicaments anti-rétroviraux ont donc pour objectif d’empêcher la destruction des défenses de votre organisme en bloquant la multiplication du virus. Vous comprenez aisément l’intérêt pour les malades d’avoir les médicaments et de suivre le traitement ! Sans traitement, le virus du Sida est en train de les détruire de plus belle.
« Les contaminations vont se faire avec des souches résistantes, le virus du Sida va se propager de façon vertigineuse, avec une augmentation de la morbidité et de la mortalité »
LEC : La pénurie des ARV consécutive à cette décision peut-elle favoriser la survenue des résistances chez des malades ? Dans ce cas, quel serait l’impact sur la propagation du VIH/Sida au Congo ?
Bien sûr que oui ! Notre pays court le risque, si ce n’est déjà fait, de la survenue des souches du virus du Sida résistantes aux traitements actuels. Les patients ne pourront plus être traités efficacement avec les médicaments qu’ils prennent d’habitude ; il leurs faudra changer de médicaments. Cependant, non seulement, il n’y a pas beaucoup de médicaments contre le virus Sida, mais aussi, il n’est pas certain que tous les médicaments actuellement en cours dans le monde seraient disponibles au Congo. Je pense que l’on peut répondre par la négative surtout que le gouvernement semble incapable de régler une facture de 217.000.000 FCFA. Donc, vous comprenez bien que si rien n’est fait, les résistances auront les conséquences suivantes : premièrement les malades vont être dévorés par le virus, ils vont être de plus en plus malades et vont mourir rapidement, le gouvernement aura sacrifié leur santé et leur vie ; deuxièmement, comme dans notre pays, la prévention est très limitée et que certains compatriotes ne veulent pas se faire dépister avant tout rapport sexuel non protégé, à cause du poids moral et psychologique du Sida, les contaminations vont se faire avec des souches résistantes ; enfin, comme on ne pourra plus, ni soigner, ni prévenir efficacement, le virus du Sida va se propager dans notre pays de façon vertigineuse, avec une augmentation de la morbidité et de la mortalité. Vous saisissez facilement, en tout, je l’espère, ce qui se passe dans des conditions où les fournisseurs de la main-d’œuvre, les cadres moyens et les cadres supérieurs d’un pays sont atteints ! Cela se traduit par de l’absentéisme, un manque de personnel, donc ralentissement de travail, abandon des projets, difficulté de gestion de personnel, mise à mal de la stratégie de développement s’il y en a une, etc.. Qu’est-ce qui se passerait, selon vous, si le seul maître de l’école primaire dans un village ne peut plus assurer ses cours ou vient à mourir au milieu de l’année ? Et s’ils sont nombreux à être malades ou à mourir dans toutes les sphères d’activité du pays ? Qu’est-ce qui se passe ? Je vous laisse le soin d’imaginer le reste...
« Il nous faut donner un sens et un contenu aux mots fraternité et solidarité que nous brandissons dans le préambule de la Constitution ! »
LEC : Parlons chiffres. A ce jour quel est le nombre de Congolais atteints du Sida ? Combien de personnes affectées reçoivent un traitement approprié ? Quel est le taux de prévalence du Sida ? Le prix actuel du traitement est-il à la portée de toutes les bourses ?
Si l’on se réfère au taux de séroprévalence affiché, celui de 4,2%, le nombre de Congolais infectés par le virus du Sida est compris entre 100 et 150.000 personnes. Mais comme vous savez que les statistiques sont parfois trompeuses, et que nous sommes quand même des gens qui n’aiment pas se faire dépister, qu’on me permette de prendre une fourchette beaucoup plus large. Je dirais qu’il y a entre 200 et 280.000 de mes compatriotes qui vivent avec cette saleté. Personnellement, c’est une immense souffrance intérieure. C’est pour cela qu’il faut prévenir et traiter. Il n ‘y a pas si longtemps, le coût par mois et par personne d’un traitement était de 380.000 FCFA. Il semblerait qu’il soit maintenant de 60.000 FCFA. Mais laissez-moi vous posez une question. Selon vous, combien de familles congolaises qui, à 70% d’entre-elles, vivent en dessous du seuil de pauvreté, feraient face à une dépense mensuelle de 60.000 FCFA ou pire de 380.000 FCFA pour subvenir aux soins d’un membre de la famille atteints par le Sida ? Je vous pose cette question et je souhaiterais que toutes les Congolaises et tous les Congolais, sur l’ensemble du territoire national se posent cette question ! La réponse saute au yeux, n’est-ce pas ? Seules les familles riches pourront y faire face. Les autres périront. Parfois dans l’indifférence. Mais si on a un peu de cœur, si on pense à la santé des compatriotes et si on est convaincu que la bonne santé générale de nos compatriotes est un élément indispensable pour le développement du pays, alors on fait tout pour que celles et ceux qui en ont le plus besoin bénéficient d’une aide pour leur santé. Je vais être concret. Le budget 2005 du Congo est de 910 milliards de FCFA dont 80% pour le seul fonctionnement. Un Scandale. Si on prend 0,125% de ce budget on a 1.137.500.000 FCFA. Une fois qu’on aura négocié le coût du traitement à 20.000 FCFA, on pourrait utiliser un milliard (1.000.000.000) de FCFA de cette enveloppe pour mettre gratuitement sous traitement 4166 de nos compatriotes. Actuellement, Il n’y a que 400 à 600 patients qui sont sous traitement, et de façon épisodique pour beaucoup d’entre eux. Vous croyez que c’est cher payer pour la santé de nos compatriotes ? Je pense que l’on peut même faire plus. Il nous faut tourner le dos à l’égoïsme et donner un sens et un contenu aux mots fraternité et solidarité que nous brandissons dans le préambule de la Constitution ! Les 137.500.000 FCFA restants, on pourrait les utiliser pour mettre en place et améliorer les structures sanitaires de soins et de suivi. Ces structures profiteront à toutes les maladies. J’affirme que le Congo peut le faire. Le Président Abdoulaye Wade du Sénégal a décidé, depuis 2003, la gratuité des anti-rétroviraux pour ses compatriotes. Quand je pense à mon pays, cet acte magistral est pour moi, sans commentaire.
LEC : Le Congo dispose-t-il de structures adéquates pour le suivi des patients atteints du Sida ? Dans ce cas, le Laboratoire national de santé publique (LNSP) est-il suffisamment doté pour servir de cadre au suivi des personnes porteuses du VIH ?
Absolument pas. Même pas au Laboratoire national de santé publique qui dispose pourtant d’un appareil indispensable pour cela ! Les seules structures qui existent au Congo sont celles qui appartiennent à la Croix-Rouge Française. Ce sont les Centres de traitement ambulatoire. Il n’en existe que deux. Un à Pointe-Noire et un à Brazzaville. On ne va tout de même pas demander à la Croix-Rouge de se substituer à l’Etat congolais ! Elle en fait déjà énormément pour nous. Il faut l’en remercier. Cela dit, les malades qui sont à Ollombo, Loubomo, Nkayi, Oyo, Kinkala, Maboudou, Madingou-Kayes, Boko, Mossaka, Makoua, Ndendé, impfondo, Souanké, Sibiti, Mossendjo, Owando, Djambala, Mindouli, Divenié et à Makabana, pour ne citer que ces villes, doivent aller à Brazzaville ou à Pointe-Noire pour se faire soigner. Mais comme ils n’ont pas assez d’argent, ni pour y aller, ni pour s’y installer, ni pour faire face au coût du traitement, ils n’ont pas d’autres solutions que de vivre leur agonie et de mourir sur place. Vous en conviendrez avec moi, que c’est une triste réalité. Croyez-vous, sincèrement que plus de 40 ans après les indépendances, qu’on ne peut pas changer cela ? Moi, j’assume que c’est possible. C’est d’abord un problème d’idéal de société dans laquelle vous voulez vivre, ensuite de volonté politique, et enfin celui du choix des hommes.
« Le développement du Congo ne peut se faire sans une politique qui améliore le bien-être général des Congolaises et Congolais »
LEC : En général, quel commentaire vous inspire la politique du Congo en matière de santé et la stratégie préconisée pour lutter contre cette maladie ? Quelles sont les limites de cette politique ?
Je vous laisse le soin de faire votre propre commentaire ! Quand un gouvernement ne peut pas garantir le traitement des patients, quand il dispose d’un appareil qu’il n’arrive pas à mettre en marche depuis plus de 5 ans, que voulez-vous que je vous dise ? Honnêtement, je pense que c’est aux compatriotes, d’où qu’ils soient, de se faire sincèrement leurs propres opinions, sans parti pris aveugle. Mon opinion n’a de sens que si elle est partagée par mes compatriotes. Je ne cherche pas à influencer, ni à donner de leçons. Je donne simplement des éléments afin que chacun se fasse son idée. Parce que, nous devons finalement comprendre que c’est ensemble que nous améliorerons notre pays. Il nous appartient à tous et à toutes. Aucun développement du Congo ne peut se faire sans le concours de l’ensemble des compétences congolaises et sans une politique qui améliore le bien-être général des Congolaises et Congolais. Excusez-moi, mais je ne peux m’empêcher de citer ici André Malraux qui avait dit que « le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas ». A mon modeste niveau, je parodie cet écrivain en affirmant que ce 21ème siècle sera social ou ne sera pas, en ce sens que toute politique de développement doit viser la satisfaction sociale des citoyennes et citoyens. C’est la Nouvelle Conscience sans laquelle, il ne peut y avoir de Nouvelle Espérance. La Nouvelle Conscience précède et précèdera toujours une éventuelle Nouvelle Espérance. C’est dans la satisfaction sociale que nous construirons et que nous consoliderons la démocratie effective et vivante. Celle qui permet l’alternance politique non violente ; celle qui juge les actes posés par un Homme, la politique menée par un Homme, et non pas son origine, et non pas la consonance de son nom ; celle qui choisit celui qui a un projet politique crédible, quelle que soit sa région, quelle que soit son ethnie. Dans cette logique, toute politique de santé doit être intégrée dans la politique générale de développement. Pour être clair, je dis que la politique de lutte contre le Sida doit faire partie de la stratégie de la politique de santé publique qui, elle-même, doit faire partie intégrante de la stratégie de la politique du développement intrinsèque du pays. Il s’agit de mettre en place une stratégie globale. C’est dans cette stratégie globale que l’on garantit la prévention et l’accès au traitement contre les maladies infectieuses, notamment le VIH/SIDA, parce que cette stratégie lie ensemble les actes médicaux, les analyses biomédicales et les actes pharmaceutiques.
LEC : Vous êtes à la tête de l’Association "Combat pour la santé et pour la vie". Nous aimerions connaître le travail et les objectifs de cette association ? Quel rôle peut-elle jouer dans la lutte contre la maladie du sida ?
L’AsCoSaVie a été créée en 2001, avec des compatriotes biologistes, pharmaciens, éducateurs sociaux et informaticiens afin de lutter contre la propagation du VIH/SIDA et des maladies sexuellement transmissibles. Nous nous étions rendu compte que plusieurs années après l’irruption du Sida, nos compatriotes ignoraient comment s’attrapait cette infection. Certains étaient même mal informés. L’AsCoSaVie joue donc un rôle dans l’information, l’éducation, la sensibilisation, et la formation pour une lutte efficace contre ces infections. Nous faisons le postulat que quand on est bien informé, on lutte mieux. Nous avons déjà mené, sans tapage inutile, des actions concrètes d’information dans différentes villes du Congo. Nous sommes heureux, par exemple, d’avoir remis à l’endroit, à Pointe-Noire, auprès des compatriotes, certaines fausses informations qui ont fait prendre beaucoup de risques à nos compatriotes. Plusieurs de nos brochures et prospectus circulent dans nos villes. Je dois dire ici que, jusqu’à preuve du contraire, il n’y a qu’un seul moyen qui permette de se protéger du Sida et des autres maladies qui se transmettent lors des rapports sexuels, c’est le préservatif. Une information qui ferait état d’un autre moyen serait, au mieux, une méconnaissance, au pire, une malveillance. Soyez aux aguets chers compatriotes. Le virus du Sida est dans le sperme et dans les sécrétions vaginales. C’est pour cela qu’il faut utiliser le préservatif. Et si vous avez le courage, je vous souhaite de tout mon cœur de l’avoir, faites faire le test avant de mettre le préservatif de côté. Le Congo, chacun à sa place, a besoin de tous ses fils et de toutes ses filles. Si vous me permettez, puisque nous arrivons à la fin de cette interview, d’informer simplement mes compatriotes de la sortie, en été prochain de mon premier roman « L’Hymne du Destin ». Un roman d’amour, de drame et de société, qui, j’en suis certain, vous fera rire et probablement, alimentera vos débats et vos réflexions. Il sera publié aux Editions La Bruyère. Encore une fois, faites attention à vous !
Propos recueillis par Alain BOUITHY
E-mail Dr A. BIKOUE : [email protected]
Par : [email protected]
Source : www.letudiantc.uni.cc