Jean Michel Mbono « le sorcier », ancien international de football, médaille d’or des premiers Jeux Africains à Brazzaville en 1965, Champion d’Afrique des Nations en 1972 à Yaoundé au Cameroun, soulier d’or africain en 1972, l’homme dont la seule évocation du surnom provoquait la terreur pour la défense adverse, publie un ouvrage, intitulé : Dans le Onze Historique : de l’Etoile du Congo et des Diables Rouges , aux Editions Ccinia Communication, au prix de 15 €.
Certes, livre à caractère autobiographique, au grand bonheur des amateurs du ballon rond et des amoureux du Congo des années 60-70, mais il est également pour les historiens, un matériau précieux et irremplaçable, pour son caractère de témoignage unique rapporté par un acteur de premier plan. Surtout que les événements dont il est question dans cet ouvrage se déroulent dans un cadre spatio-temporel particulier pour le Congo-Brazzaville. En effet, nous sommes dans la période dite « révolutionnaire » : la chute du président Fulbert Youlou, l’accession au pouvoir et la chute du président Massamba-Débat, l’accession au pouvoir et l’assassinat du président Marien Ngouabi, sans oublier les soubresauts qui ont secoué le pays dans l’intervalle comme l’affaire M22 par exemple.
En 71 pages, dans un style simple et accessible, il a su traiter de sa passion éternelle du ballon rond, y compris des grands problèmes touchant au football moderne. Evidemment, une attention toute particulière est portée au cas du Congo, mais aussi, les problèmes du football africain en général.
Né en 1946, de Mbemba Félix (le père) et de Mpolo Anne (la mère), à 61 ans, Mbono le « sorcier » veut laisser une trace à la postérité. Ainsi dans cet ouvrage de passion, il aborde les grands moments de sa vie, étape après étape, entre-autres : ses débuts à Brazzaville en 1960 au Club « Caïman » de son quartier Ouenzé en compagnie de son ami Foutika Jeannot ; un bref passage à Pointe-Noire au Club Dragon en 1962-1963 ; son entrée à l’Etoile du Congo où il fera toute sa carrière nationale à partir de 1963 ; les Supporteurs et les féticheurs ; la naissance du Club Renaissance Aiglon-Cara ; l’organisation des premiers Jeux Africains à Brazzaville en 1965 ; les deux matchs historiques au Congo-Brazzavile contre le « Santos » du roi Pélé en 1967 et 1969 ; la Coupe d’Afrique des Nations de 1972 au Cameroun, évidemment avec la victoire mythique du Congo ; sa carrière internationale ; sa candidature à la fédération congolaise de football…
Sans être long, nous prendrons juste quelques faits, les lecteurs complèteront, nous l’espérons, à la lecture intégrale de l’ouvrage.
Entrée à l’Etoile du Congo :
Comme noté plus haut, l’Etoile du Congo est le Club dans lequel Mbono le « sorcier » a passé toute sa carrière nationale. Il est fier de se réclamer de la famille historique de ce Club. Etre à l’Etoile du Congo fut un rêve d’enfance et en même temps une affaire de famille, à commencer par son père, supporteur indécrottable de ce Club, qui transmettra son virus à tous ses rejetons. Voici ce qu’il écrit :
Mon amour pour l’étoile du Congo est un amour familial. Quand vous êtes adulé dans un club, il est difficile de s’en séparer. Mon cadet MBEMBA LOBILO a fait lui aussi les beaux jours de l’étoile du Congo et de l’équipe nationale. Mon neveu Jean-Michel MBEMBA « James » qui a évolué en France à Noisy le Grand en Division d’Honneur et à Dunkerque en ligue 2 a fait partie de l’équipe nationale les Diables rouges. C’est lui qui a qualifié le Congo pour la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations au Sénégal en 1992, en marquant le but de la qualification à Lilongwe contre le Malawi. Mon fils MBEMBA Yannick (chez nous les Bantous, l’enfant de votre frère n’est pas votre neveu, mais votre fils) évolue à l’étoile du Congo et porte le brassard de capitaine.
Comme vous pouvez l’observer, l’étoile du Congo est pour nous, une affaire traditionnelle et affective de famille. P. 16
On sait qu’au Congo, les derbys Diables noirs / Etoile du Congo ont souvent donné à croire qu’à travers le sport, c’est le Nord du pays qui affronte le Sud. Mais la passion du ballon rond et l’amour du jeu pour Mbono et quelques grands noms de l’époque ont toujours primé sur ces considérations, malheureusement éloignées de l’esprit et de l’idéal olympiques :
Les derbys Diables noirs - Etoile du Congo étaient les moments spéciaux dans la saison. Plusieurs joueurs de l’ossature de l’équipe de l’étoile du Congo étaient issus du Pool, comme BATOUKEBA, BALEKITA, BOUKAKA, BAKEKOLO « Lumumba », LOUZOLO « Santos », KODIA et moi-même. En tant qu’étoilistes, on ne voulait surtout pas perdre contre Diables noirs. P. 15
La Coupe d’Afrique des Nations de 1972 au Cameroun :
Cette 8ème édition de la CAN est gravée dans la mémoire collective et considérée comme l’âge d’or du sport congolais. Eh, oui, au pessimisme ambiant, à l’afro-pessimisme et au défaitisme qui gagnent de plus en plus la société congolaise, les nouvelles générations qui n’ont pas connu ce Congo là, ont du mal à accepter que leur pays, ce même Congo, a constitué dans un passé encore récent, la terreur des grandes nations footballistiques africaines comme le Cameroun, le Ghana, le Mali de Salif KEITA…
Mais Mbono dit le « sorcier », l’enfant prodige du ballon rond, l’un des artisans de cette victoire historique de « Yaoundé 72 » avec 2 buts sur les 3 qui ont définitivement consacré les Diables Rouges au sommet du football africain, nous donne dans cet ouvrage quelques détails qui auraient pu compromettre cet exploit. En voici un exemple, page 36 :
Nous étions véritablement des héros car, pendant que nous nous trouvions au Cameroun, en février 1972, le coup d’état du M 22 avait éclaté à Brazzaville. Il y avait des parents, des amis et des copains qui étaient arrêtés. Notre chef délégation Jean MOUNDELE, avait son cadet Benoît MOUNDELE NGOLLO impliqué dans ces événements. On allait voir notre chef de délégation dans la chambre, il avait la tête entre les deux mains complètement effondré, silencieux pensant à son frère dont il ne pouvait deviner le sort. Moi aussi, j’avais mon ami MOUGANI Edgar impliqué dans ces événements et arrêté. On se demandait si on allait poursuivre le tournoi ou rentrer au Congo. Mais on pensait à notre pays et on voulait défendre ses couleurs. Il fallait se concentrer et rester unis pour jouer le lendemain. Vous pouvez comprendre, dans quel état d’esprit nous étions lors de phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations de football au Cameroun.
L’échec de la candidature de Mbono le « sorcier » à la tête de la fédération congolaise de football :
Cet homme a tout donné au Congo en tant que sportif, son palmarès rappelé plus haut se passe pourtant de commentaires. Eloquent, est tout aussi son parcours dans la vie civile, ce qui est rare surtout pour les sportifs de haut niveau, ses quelques états de service suivants en disent long : Directeur des prestations, ensuite Directeur du recouvrement, et inspecteur général, à la Caisse Nationale de sécurité sociale. Autres fonctions : Conseiller à la sécurité sociale au Ministère du travail et de l’emploi de la refonte de la fonction publique et de la prévoyance sociale - Expert à la Conférence interafricaine de prévoyance sociale (CIPRES) - Conseiller technique près du Bureau international du Travail (BIT) dans le cadre du plan d’urgence de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNSS)
Voilà, il a tout ce qu’il faut, pour briguer les plus hautes fonctions sportives dans son pays. Comment alors expliquer que Mbono le « sorcier », le soulier d’or du Congo et de l’Afrique, qui présente sa candidature le 10 janvier 2006 pour briguer les plus hautes fonctions de la fédération congolaise de football, n’a pu recueillir qu’une seule voix sur les 47 votants ?
Non, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le milieu sportif congolais. Aveu ? Désinvolture ? Que reproche-t-on à Mbono pour mériter un tel mépris ? Comment expliquer devant l’histoire ce rejet d’un héros de la Nation ?
D’ailleurs dans son livre, tellement dépité, il pose la question : pourquoi les anciens joueurs deviennent-ils le plus souvent des entraîneurs et pas des dirigeants ? P. 47
Cette question mérite d’être posée, car on sait qu’ABEDI PELE du Ghana comme SALIF KETA du Mali, deux grands noms du football africains du 20ème siècle, n’ont pas réussi à intégrer le Comité exécutif de la CAF (Confédération Africaine de Football). Du reste, il n’y a pratiquement aucun ancien joueur de haut rang dans les instances qui dirigent le football africain.
Conclusion :
Jean Michel Mbono, qui cherche toujours le parrain qui lui donna le surnom de « sorcier » pour sabrer le champagne, ouvre également d’autres pistes de réflexion comme la question de l’âge dans le football africain, la famille de football avec la solidarité exprimée lors des obsèques de l’international Marc Vivien Foé, la question de la formation des jeunes footballeurs afin de les préparer à une autre vie après le sport…
Livre à lire, bijou précieux de tous les amateurs du ballon rond, mais aussi objet d’histoire car Mbono le « sorcier » est un monument vivant du patrimoine congolais et africain.
Panafricainement,
Hannibal