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DISPARUS (II)

- L’Editorial de Benda Bika -

Il est des réalités qui devraient rassembler une nation. Le Congo est en fragile construction dans son état de nation. Ses fondements sont à consolider par des gestes qui rassurent et qui interpellent, afin que le « plus jamais ça », écrit avec dérision sur quelque char, ne soit pas juste un slogan de plus. C’est quand une douleur est partagée, qu’elle devient partie intégrante des soucis de tous, qu’une nation émerge. Quand une horreur est visible, aucune pédagogie spéciale n’est nécessaire pour s’étaler chez tous et recevoir la sanction qu’elle mérite de tous : la condamnation.

Or, nous sommes loin de cela avec l’affaire dite des « Disparus du Beach ». Je me permets d’y revenir, parce que nous sommes entrain de nous tisser là une cause de frustrations, de violences à venir, de guerres. Par maladresse. Des Congolais ont fui la guerre de 1998 en RDC. Le HCR et le gouvernement de Brazzaville ont négocié leur rapatriement. Confiants, beaucoup de nos compatriotes sont rentrés dans le pays enfin pacifié. Et ils sont tombés dans le piège.

Quelque 323 (393 ?) d’entre eux, des jeunes, ont été prélevés à la barbe du HCR complaisant et conduits vers une destination inconnue. Et jusqu’aujourd’hui nous les pleurons. Je veux dire, jusqu’aujourd’hui nous devrions les pleurer ! Car, à la quête de vérités, le gouvernement de Brazzaville oppose des prétextes qui transforment le soupçon en certitude. Des jeunes ont été tués, parce que soupçonnés d’être Ninjas. L’étaient-ils ou non ? Cela ne change absolument pas la donne.

En temps de paix, des citoyens ont été attirés dans un traquenard : l’Etat, même fragilisé alors par la guerre des Lissouba-Kolélas, avait failli au premier de ses devoirs républicains !

N’est-ce pas le devoir sacré d’une nation en devenir de chercher à savoir ce que ces jeunes gens sont devenus ? Et, le sachant, de prendre les mesures de justice adéquates afin que de telles barbaries ne se reproduisent plus ? Et les ayant prises, de veiller afin que la jurisprudence ainsi créée s’impose comme devoir de nation à tous, que l’enlèvement ne soit plus un mode d’agissement licite ?

Au lieu de cela, rien. Le gouvernement à Brazzaville se débat dans un verre d’eau pour tenter de justifier l’injustifiable. D’abord en affirmant que le général Dabira ne peut se rendre devant une juridiction étrangère au motif qu’une procédure judiciaire est déjà engagée au Congo sur la même affaire ; que juridiction pour juridiction, celle de Meaux vaut bien celle du Congo ; qu’au demeurant les « Disparus du Beach » ne sont pas tout, il faut enquêter sur toutes les exactions depuis la guerre de 1993.

Bien. Mais que fait-on en attendant ? Quelles sont les conclusions auxquelles sont parvenues les commissions parlementaires diligentées par le Parlement de transition en 2000 - parlement qui s’est auto-dissout en août dernier, en se votant un satisfecit honteux ? Quelle est, en dehors de l’agacement occasionnée par cette affaire, la mesure d’apaisement prise pour donner une réponse aux familles des disparus ? Le Congo, avec ce dossier, a raté une véritable occasion de ressouder son tissu national.

Trois cents citoyens ne peuvent pas disparaître en temps de paix, sans que le ou les responsables rendent compte. Et on ne peut, en aucun cas, conditionner la délivrance de la vérité à l’engagement d’enquêtes (qu’on se garde bien de lancer) sur les temps de guerre. Sauf à reconnaître de ce fait que la logique qui a prévalu ici, est bien celle que je dénonce depuis toujours sur cet espace : celle du « eux contre nous » !

En effet, rétorquer que l’on veut faire la lumière sur les crimes des autres guerres, c’est poser des équivalences : « nous vous avons enlevé 300 jeunes ? Mais vous nous en aviez fait autant, sinon pire ! » Cette logique-là est tout le contraire de la consolidation d’une nation. A Brazzaville on ne l’a pas encore compris. L’affaire des « Disparus du Beach » devra encore faire parler d’elle. C’est un exercice de catharsis nationale. Un devoir.

Benda Bika

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