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Eloge funèbre

Comment créer une Conscience Nationale ? Hommage à Moïse Songuemas MATHEY (1963 - 2024)

Photo: Moïse Songuemas MATHEY (1963 - 2024)

Moïse Nanou est né le 03 septembre 1963 à Brazzaville. Fils de Monsieur Songuemas et de Madame Marie-Josée Mathey, il est le quatrième d’une fratrie de sept enfants. Il est décédé le samedi 27 juillet 2024 à son domicile de Puteaux, 92 (France).

Parcours

Après son bac scientifique à Brazzaville, il arrive en France en 1980 et amorce un cursus universitaire. Il fait des études de biologie et se spécialise plus précisément en biologie alimentaire.
Il sera embauché chez Serveur (Une société spécialisée dans la préparation et la livraison des repas auprès des compagnies aériennes), en occupant la fonction d’Inspecteur qualité.
En 2014, il est Co-fondateur des Assises Nationales du Congo (ANC). Il était également membre du bureau actuel des ANC depuis 2018 jusqu’à sa disparition.

Pourquoi l’hommage politique ?

Je m’apprêtais à donner mon point de vue sur une discussion à travers le groupe Whatssap « Politiques  », lorsque j’ai appris le décès du cadet Moïse Songuemas Mathey. Moïse a été un fervent militant des ANC. Il mérite que je puisse lui dédier ce texte politique que j’étais en train de rédiger. Nous nous devons d’honorer sa mémoire, son humilité, sa sincérité ainsi que sa constance au sein des ANC.

Depuis Mpemba, le pays de non-retour dans lequel il se trouve à présent, qu’il puisse nous éclairer sur le destin de notre pays, afin que celui-ci renoue avec la paix, la liberté et le développement.

Moïse est un de ces rares membres des ANC, qui sans tabou prenait les nouvelles de tous. Il était notre courroie de transmission des informations. Comme les morts ne sont jamais morts, mais qu’ils sont simplement passés, sur l’autre rive de la vie, cher Moïse, continue de nous assister, même par des rêves, afin que le combat politique pour lequel tu t’es investi puisse triompher dans un proche avenir.

Repose en paix cher Moïse. Que les ancêtres te fassent une place de choix dans leur demeure.

Propos liminaire 

Au cours d’échanges sur le groupe Whatssap Politiques, j’avais interpellé deux membres : « Question subsidiaire à mes deux frères Cicéron Massamba et Mathieu Bakima Baliele :
Comment s’investir en politique au Congo-Brazzaville afin que les choses changent de manière irréversible ? Patriotiquement.
 »

Les deux ont courtoisement apporté chacun sa vision. Mathieu a comparé l’échec de notre Conférence Nationale Souveraine (CNS) au regard du parcours de la démocratie béninoise avec des alternances régulières. Cicéron a insisté sur Comment créer une Conscience Nationale, les balises de la CNS ayant été dévoyées… ?

Introduction 
 
Je remercie infiniment Cicéron et Mathieu d’avoir joué le jeu de la réflexion contradictoire, denrée rare mais à encourager au sein de notre communauté congolaise.
Pour essayer de faire une synthèse de vos échanges, je paraphraserais Mathieu qui plante le décor historique en comparant l’expérience congolaise à la béninoise. Pourquoi la CNS Congolaise a échoué ?

Comme disait Aimé Césaire, je paraphrase, le chemin le plus court vers l’avenir est celui qui renvoie au passé. Le passé agit comme un gouvernail, comme un rétroviseur qui aide à éviter les obstacles afin de mieux se mouvoir dans le présent et donc dans l’avenir.

Les acteurs politiques qui avaient géré la CNS n’avaient pas été prudents quant à la durée de la transition politique. Celle-ci avait été trop courte. Le gouvernement de transition n’avait pas eu le temps de mettre en place toutes les institutions, dont le Conseil Constitutionnel, qui fera défaut au régime élu lorsqu’éclatera la guerre du 05 juin 1997. Le premier ministre n’avait pas eu le temps non plus d’exécuter certains actes de la CNS, comme celui relatif aux Etats Généraux de l’Université.

Mathieu évoque les multiples alternances connues par le Bénin depuis la fin de leur CNS. Pourquoi cela a été impossible au Congo-Brazzaville ? Le Bénin n’a pas connu de guerre civile. Au Congo, la guerre du 5 juin 1997 avait sapé les acquis de la CNS.
Dans Les origines du mal congolais, ouvrage testamentaire de l’homme politique congolais, Aimé Matsika, ce dernier « déplore principalement l’immaturité politique des acteurs de l’Inutile Conférence Nationale Souveraine. Il fustige en particulier les membres de la Commission Constitutionnelle qui, en lieu et place d’une réflexion sur le fondement et le contenu d’une constitution pour l’instauration d’une véritable démocratie au Congo, ont fait preuve de paresse intellectuelle en recopiant la constitution de la Vème République en France. De sorte qu’au lieu de régler les multiples problèmes politiques congolais advenus depuis l’accession du territoire du Moyen-Congo à la majorité politique avec la Loi-cadre en 1956, la CNS les a, en définitive, plutôt aggravés. » (Lire à cet effet, Aimé Matsika, Les origines du mal congolais, préface de Jérôme Malonga-Batola, Paari éditeur, Paris, 2019, 200p.)

Que nous enseigne l’histoire ?

Il y a une particularité séculaire de la chefferie dans les sociétés bantu. Quand on observe les Etats précoloniaux Kongo, Tio (Téké), Ndongo, Luba, Lunda et consorts, ceux-ci sont caractérisés par une structure politique centralisée autour d’une personne, avec une collégialité du pouvoir à travers le royaume, le village, le lignage et/ou le clan. Ces Etats bantu précoloniaux étaient des fédérations de plusieurs entités.

Même avant l’arrivée des Colons chaque village avait son chef. Les chefs de tous les villages d’un secteur dépendaient d’une localité plus importante qu’on appelait Mbanza (Cas de l’Etat Kongo). Nos ancêtres ont expérimenté un système politique décentralisé proche du fédéralisme. Les collectivités territoriales étaient autonomes, mais en même temps complémentaires les unes aux autres.

La RD Congo et l’Angola, colonisés respectivement par la Belgique et le Portugal, sont gouvernés par des régimes politiques duals, en ce sens que ce sont des Etats centralisés certes, mais ayant une dose de fédéralisme. Même s’il n’y a qu’un seul président pour tout le pays, les spécificités provinciales sont constitutionnellement respectées avec un gouvernorat provincial qui siège et dans lequel on retrouve majoritairement les élus des territoires concernés. En Angola, la province du Zaïre est gouvernée par un ressortissant du Zaïre. On ne peut pas imaginer y parachuter quelqu’un qui viendrait d’une lointaine province du Cunene, frontalière avec la Namibie. En RD Congo, Moïse Katumbi dirige la province du Katanga, car il y est né et se consacre à son développement. Cette donne ne dérange personne, au contraire elle est plébiscitée car c’est un levier pour le développement local. Moïse Katumbi n’attend pas les ordres de Kinshasa pour organiser sa province et donner du travail aux diplômés de son coin. Chaque province peut et doit se prendre en charge en matière de développement. Des complémentarités et des compensations existent. On peut citer l’exemple du Port de Matadi, situé dans la province du Kongo Central, mais dont les flux financiers issus des douanes dopent toute l’économie de la RD Congo.

A la CNS, un acte avait été pris pour faire du Congo-Brazzaville un pays décentralisé. Il me semble qu’il n’avait jamais été mis en œuvre.

Quelques pistes de réflexion

Rejoignons Cicéron qui évoque l’émergence d’une nouvelle conscience nationale. Ce qu’il appelle le temps d’incubation d’une nouvelle conscience nationale devra durer au moins cinq années et passera par :
 Un remembrement des départements actuels en cinq grandes provinces ;
 Chaque province sera gérée par un gouverneur qui sera à la tête d’une assemblée provinciale composée des membres issus des différentes localités territoriales ;
[…]

Cette configuration règle définitivement la question des ethnies qui doivent attendre leur tour pour accéder au pouvoir d’Etat. Le modèle jacobin du pouvoir politique tel qu’il est vécu dans notre pays a introduit un climat de méfiance entre les élites. L’accès au pouvoir politique par un groupe ethnique est corrélé par l’écrasement et/ou l’anéantissement des cadres issus d’autres groupes ethniques ou d’autres départements. Ce modèle est compatible avec l’ancien colonisateur qui a toujours divisé pour mieux dominer. Or dans une configuration de complète décentralisation qui est en adéquation avec nos coutumes ancestrales, toutes les ethnies se valent et sont complémentaires. Il faut donner à chacune la possibilité de gérer le terroir qui l’a vu naître et de créer des mécanismes de compensation qui permettront à l’Etat Central de corriger les inégalités dans divers secteurs de la vie socio-économique. Par exemple, s’il y a un trop plein d’enseignants dans la Bouenza, par le biais de l’Etat Central, on pourra affecter certains enseignants dans le département de la Likouala qui accuserait d’un déficit.

Quelles sont les faiblesses du modèle jacobin dans lequel vit le Congo-Brazzaville ?

On attend tout d’un premier magistrat, qui avec ses limites humaines ne peut pas embrasser l’ensembles des défis sociaux, politiques et économiques auxquels doit faire face un Etat moderne. Ce qui explique, par exemple, en ce XXIème siècle, l’archaïsme dans lequel vivent les Congolais, qui sont dans l’incapacité de se doter d’un réseau d’eau potable fiable dans un pays qui figure parmi les plus irrigués au monde. Les technologies liées à la gestion, au traitement et au transport de l’eau sont banalisées ailleurs.

Sommes-nous incapables de les maîtriser et de les mettre en œuvre ?

Non, c’est parce qu’il faut attendre la décision du premier magistrat, ou parce que la personne qui occupe le poste de management est un parent qui n’a pas les compétences requises. Par ailleurs, si par mégarde le premier magistrat est inféodé par une puissance étrangère, le pays peut perdre sa souveraineté.

Or dans un modèle semi-fédéral à travers lequel chaque province aurait son gouverneur, aucune ingérence extérieure n’est possible. Le gouverneur ne pouvant pas décider sans l’aval de ses parlementaires et des préfets des départements sous sa direction, toute décision engageant la souveraineté de la nation devra être filtrée à plusieurs niveaux décisionnels (gouvernorat provincial, gouvernement central, …) Un seul individu, à quelque niveau de responsabilité qu’il soit, ne peut pas engager à lui tout seul la nation.

Conclusion

En définitive, les Congolais doivent innover et penser l’architecture politique du pays dans lequel ils souhaitent vivre demain. Là où le Bénin a réussi, le Congo a échoué. Pourquoi ? Sociologiquement la société congolaise est différente de la société béninoise. En revanche le Congo-Brazzaville est sociologiquement et culturellement proche de la RD Congo et de l’Angola, même si nous n’avons pas eu les mêmes colonisateurs.

Le testament politique du ministre Aimé Matsika (Les origines du mal congolais), explique en partie, pourquoi la CNS congolaise a échoué.

Bien avant la colonisation, le modèle politique dans lequel ont vécu nos ancêtres était décentralisé et quasi fédéral. La complémentarité ethnique est une chance à sauvegarder pour notre pays car c’est dans chaque langue que se retrouvent la diversité des connaissances permettant aux humains de comprendre et dompter le monde qui nous entoure. Le décodage que fait le Pygmée des plantes médicinales par exemple, sera plus perfectionné que celui fait par un Loango. En revanche, le Loango de par sa familiarité avec la côte atlantique, aura une meilleure connaissance des fruits de mer que tout autre Congolais. C’est cette complémentarité ethnique qui fait la richesse de notre pays. Celle-ci ne peut être sauvegardée et donner le meilleur d’elle-même qu’au travers un système politique compatible avec les multi-nationalités ethniques. Ce système politique s’appelle le fédéralisme. Chaque pays peut se l’approprier en l’adaptant à ses réalités sociologiques et culturelles.

N.B. : Lire à cet effet : Ruffin Mpaka, Le renouveau congolais. Fédéralisme et refondation de l’Etat en RD Congo, La Loupe, Paari éditeur, 2021, 184 p.

Adieu cher Moïse Songuemas Mathei.

Mawawa Mâwa-Kiese,
La Loupe, le 30/07/2024.

Moïse Songuemas MATHEY (1963 - 2024)
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