Un grand nom de la musique congolaise, Jean-de-Dieu Zama Makanda Andréas, aujourd’hui, peut-être méconnu, vient de quitter ce bas monde ce 19 novembre 2014. Mwana Zama ou John God, ce grand compositeur a pris goût à l’art musical au séminaire, dans la chorale Ste-Marie de Ouenzé chez les prêtres spiritains.
Ensuite son talent éclate au Lycée Technique de Brazzaville dans le groupe Les Techniciens. En compagnie de Robert Massamba-Débat (guitare lead), Clément Bakouma (rythmique) Stévy Banzoulou (Bass), Lascony (batterie) Toussaint Issangui, Goma Pergo, (chant) il enregistre les inoxydables « Chantal Bouity », « Marie-Claire Lo », « Michaël », « Manda » chez Socodi sous la direction artistique de Frédy Kébano. Chantal Bouity et Manda étant ses œuvres (pardon, ses chefs-d’œuvre).
Nous sommes dans les années 1973, période de l’effervescence des groupes « amateurs ». Les Techniciens se disloquent pour donner naissance au groupe « Chantabouita », acronyme de « Chantal Bouity. ». Balou Canta, redoutable chanteur/compositeur, rejoindra le groupe après avoir prouvé ses talents dans Les « Chaminadiens. » puis, plus tard dans « Télé-Music » avant d’entamer une carrière internationale.
John God compose « Dinana », « Mvoualé », des tubes qui resteront des inédits. On notera en cette période faste des Techniciens la chanson « Matiti » objet de délit réactionnaire aux yeux de la censure politique convaincue que l’artiste faisait l’éloge d’Ange Diawara et ses compagnons ayant pris le maquis en 1972.
Peu avant la fin de l’âge d’or des orchestres amateurs, Mwana Zama devient sociétaire du groupe du Plateau des quinze ans, « Ndilamulé » dont le lead-guitariste Pembello (paix à son âme) fut un virtuose. Au début des années 1980, (vers le déclin des « Trois frères » ) il intègre le « Rumbaya » de Loko-Massengo.
Itinéraire d’un artiste malchanceux
A partir des années 1980, Mwana Zama, comme un héros balzacien connaît des hauts et des bas. Certains ont comparé son destin à celui de Wangrin. Chez Mwana Zama l’être a chuté dans le néant. « Quel gâchis ! » s’écrierait n’importe quel musicologue qui se pencherait sur le destin de cet artiste.
Le requiem qu’il écrit en mémoire de sa mère est une mise en abyme d’autres malheurs qui le frappent, notamment le décès brutal à la même période de « Mvoualé », son grand amour. La double tragédie stimule son mode de production artistique. Il écrit une ode en hommage à sa mère dont les dernières strophes sont en latin, langue du Kyrie et aussi du Gloria.
S’il était héros balzacien, Mwana Zama était aussi héros stendhalien avec cette passion amoureuse égocentrique. Mais n’est-ce pas le lot des artistes, de se métamorphoser en des « Julien Sorel » des sentiments féminins ? Il y aura toujours des Messieurs de Rênal qui en voudront à mort aux séducteurs sans cœur. Sa carrière professionnelle en dents de scie sera façonnée par des crises de jalousie affective que sa vie d’artiste va susciter. Des agents de la classe politique (dont un ancien Premier Ministre) lui en voudront au point que l’artiste aura signé de son vivant l’itinéraire d’un poète maudit. En 1976, peu avant un voyage d’étude en ex URSS, son passeport est déchiré après qu’il lui soit ravi au moment de monter dans l’avion. Il imputa cette haine à un certain Ange Edouard Mpoungui, jaloux que l’artiste ait immortalisé une « Manda », ex-belle-sœur d’un certain Denis Sassou dont Mpoungui était « mbouabani » (beau-frère)
Chant de cygne
L’artiste, je l’ai revu en 2012, et en 2013. Il était tombé dans le néant de la connaissance et de la reconnaissance. Devenu laissé-pour-compte d’un système capitaliste sauvage brazzavillois où il faut faire allégeance pour survivre, Mwana Zama ne continuait pas moins de chanter à l’occasion de quelque bœuf tapé çà et là, au gré du feeling du moment.
Comment oublier cette rencontre chez Robert Massamba-Débat (celui-là à la guitare), où nous reprîmes (moi à la basse) les vieilleries des Techniciens (« Chérie Manda », « Michaël », « Chantal Bouity », « Matiti ») ? En dépit des délestages les amplis parvinrent à créer l’égrégore. Très mélodieux, ce qu’il entonna chez Bob fut, hélas, son chant de cygne.
Comment ne pas se rappeler cette excursion à Kintélé (Brazzaville Nord) au domaine de l’économiste Rémy Bobiba. où, en compagnie du DG Paul Soni Benga (également excellent guitariste) de Papillon Malonga (guitariste aussi) et de Mac La Jeannot Doulouman, Mwana Zama improvisa des mélodies alors qu’on avait les pieds dans l’eau de la petite rivière qui traverse ce domaine ?
Mwana Zama a été mis en terre le 26 du mois dernier. On me demandera « quel âge avait-il ? » Je dirai comme Franklin Boukaka, les artistes sont immortels parce qu’ils n’ont pas d’âge.
Que cette terre du Congo lui soit légère.
Simon Mavoula