Il était temps de lever le rideau sur Rido Bayonne, l’artiste, pour reprendre Balzac, au « chef-d’œuvre inconnu. »
Jeudi 28 janvier 2010, ce Goliath de la musique (la world music) était à Cannes à la MAISON DES ASSOCIATIONS où il est venu présenter le film BORN IN AFRICA qui parle de sa vie, film réalisé par le cinéaste angolais Dom Pedro. Rido Bayonne fut l’invité de RACINES & CULTURES - NORD-SUD DEVELOPPEMENT, association présidée par Basile NGANGUE EBELLE auquel on doit le Festival annuel du film africain à Cannes.
IDENTITE
Pourquoi Bayonne ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, Rido est... basque depuis trois siècles ; du moins basque par ses ancêtres qui débarquèrent sur les côtes Loango où une racine se ramifia en perdant ses couleurs d’origine. Total, bien que « born in africa » Rido est un descendant européen black à 100%, peau noire, masque métis. "Je suis inconstablement français ; je suis né en AEF, c’est-à-dire, sur le sol de la République Française". Avis sans doute à ceux qui sont en train de simplifier (en délirant) le thème très complexe de l’identité Nationale en France. Quand on connaît l’histoire de France, quand on est informé sur ce que Côme Manckasa appelle "Grandeur perdue de la France", on devrait éviter certaines typologies du genre "vrais Français", "français de souche" "français deuxième génération" "immigrés" etc.
QUI ES-TU RIDO DIEUDONNE JACQUES ?
Très peu de nos compatriotes connaissent Rido Bayonne. Ce musicien est pourtant une célébrité à Paris, au Cameroun, au Burkina-Faso. Bref, en Afrique, sauf au Congo-Brazzaville. L’adage est connu : « Nul n’est prophète en son pays ».
Rido Bayonne Dieudonné Jacques est né à Pointe-Noire en 1947. A peine âgé de dix ans, il quitte ses parents. En vérité, Rido Bayonne opère une rupture totale avec le pays. Il embarque pour Douala où il croise Tino Baroza et Albert Elénga alias Ndiglingon, redoutables guitaristes. Sa rencontre, d’une part, avec ces maîtres de la guitare congolaise et, de l’autre, avec des génies camerounais du Makossa (Michel M’bappé, père d’Etienne M’bappé) complète la formation que lui donnèrent dès l’âge de 13 ans à Brazzaville de prodigieux compatriotes : Saturnin Pandi et Essous Jean-Serge.
En 1970, Rido Bayonne quitte l’Afrique pour la France où il accompagne des stars comme Michel Polnareff, Maxime Leforestier. Il a côtoyé des bêtes de scène comme (feu) Jaco Pastorius, bassiste qui chorussait à une « vitesse ahurissante » (LIBERATION). Justement la spécialité de Rido est la basse. Cet instrument à cordes que les Africains cognent comme un tam-tam sera d’autant mieux exploité par Rido qu’il est déjà détenteur d’une solide base de percussionniste grâce au déjà nommé (feu) Saturnin Pandi.
LA BASSE EST BASSA
Un ami ivoirien, Marco, excellent batteur, fut le premier à me parler de Rido Bayonne. C’était au milieu des années 80, à Nice. « Tu es Congolais ? Je connais l’un des meilleurs bassistes au monde, Rido Bayonne. C’est un compatriote à toi »
Moi : "Qui c’est ? Jamais entendu ce nom » dis-je dubitatif. Je dis ça, fort du fait que la guitare basse est un instrument où l’hégémonie camerounaise est totale et incontestable. Qu’un Congolais ait pu faire un coup d’état à la suprématie camerounaise dans ce domaine, c’est une hypothèse que je n’avais jamais envisagée. La guitare solo et rythmique est congolaise (des deux rives), la basse est douala, ewondo, bassa. Rido Bayonne a pulvérisé cette hypothèse. Les éléments de ce coup d’état musical sont d’ailleurs fournis par Etienne M’Bappé (un monstre camerounais de la basse) dans le film biographique BORN IN AFRICA .
Ecoutons ses propos. « En 1984, j’avais 20 ans. Je débarque à Paris, j’y croise Rido Bayonne. Il me dit qu’il est congolais. Mais un jour, je l’entends parler douala. J’en suis surpris » se souvient Etienne M’Bappé.
« J’ai vécu au Cameroun » explique Rido. « Je jouais au Chantaco » précise-t-il.
« Chantaco ? Mon père aussi » se rappelle M’Bappé . Puis Rido a soudain un trait de lumière. « Dis-moi, comment tu t’appelles ? » « Etienne M’Bappé » « Mais alors tu es le fils de Michel ? Je t’ai vu naître ! » s’exclame Rido. « Depuis, je le considère comme mon père » conclue M’Bappé.
Rido Bayonne complète l’anecdote. « Bassiste, Etienne est venu me voir. Il avait un doigté qui méritait d’être perfectionné. Je lui ai appris comment poser les doigts sur les quatre cordes pour avoir une meilleure production harmonique. » Etienne M’Bappé, Richard Bona, Hilaire Penda, André Manga, Michel Alibo, on le voit, font partie du conclave des meilleurs bassistes au monde. Or ces monstres sont passés par l’école Rido. Voyez le syllogisme : si Rido a formé les meilleurs bassistes, donc Rido est le meilleur bassiste au monde. M’Bappé, le fils spirituel de Rido Bayonne, a la particularité de jouer avec des gants. C’est le seul instrumentiste au monde qui le fait. Rido a aidé Etienne a parfaire son instrument.
UN GRAND CHEF D’ORCHESTRE
Ces aspects de l’évolution musicale donnent une idée du niveau de Rido Bayonne. Ce maestro a, depuis, élargi son monde musical en s’attaquant à la guitare, au chant et, surtout, à la direction. Rido est un redoutable chef d’orchestre qui « entend tout sur scène » (témoigne l’une de ses choristes.) Vous répétez un schéma ABCD. Sur scène, Rido fait BDAC. Il faut être vigilant. Rido est capable de déceler un mauvais jeu chez un musicien sur scène et de l’aider à ajuster ses notes. Il a l’oreille universelle, celle qui fait frissonner l’esprit au moindre demi-ton.
Evidemment, Rido écrit sa musique. Il a fait le conservatoire.
Le maître a formé des disciples dans nombre de pays. Notamment le Burkina Faso. Bouddhiste, Rido cultive l’humilité à l’extrême. Ce trait de caractère, Rido le pousse jusqu’à la périphérie de l’indicible. Cela le dote d’une rhétorique aux aspects tellement nihilistes que Dom Pedro, cinéaste qui l’a longtemps suivi avec sa caméra, a fait du concept de l’humilité le leitmotiv de son discours pour caractériser le Maître congolais. Rido n’a aucune gestion honteuse de cette dimension du caractère alors qu’en général les stars de la chanson l’évacuent de leur présentation et de leur représentation au monde. Il suffit de voir des imbéciles heureux comme Koffi Olomidé pour se rendre compte d’un axiome : moins on sait plus on cultive la starisation. Ce Congolais qui a vécu cinquante ans de sa vie en France reste très enraciné à la terre africaine. Dans tous les sens du terme. « Les gens ne marchent plus pieds nus en Europe. Ca les coupe de la terre notre mère nourricière » philosophe-t-il. A Ouagadougou, il explique à ses musiciens l’importance de tirer sa substance vitale dans la terre comme les arbres dont les racines, en s’enfonçant dans les profondeurs de la matrice/terre, donnent de la vigueur à leur feuillage. Bien qu’ayant quitté son Congo natal depuis plus d’un demi-siècle, Rido se souvient du mémorable bruit que fait la pluie en s’écrasant sur la tôle ondulée. Quel africain ne connaît pas cette musique de l’eau du ciel qui s’abîme sur le plafond ondulé de nos maisons. Rido Bayonne a beau avoir visité tous ses classiques (Beethoven, Mozart, Bach…) l’inspiration musicale ne lui est pas moins insufflée par la nature des choses. Par exemple, dans une fontaine parisienne (à Clichy, son fief) le temps mis par la chute du filet d’eau crachée par la statuette correspond à une mesure que lui, Rido, intègre dans sa composition musicale.
Biks, batteur de Cépakos s’inspirait du bruit produit par le combat des rails au contact de la locomotive de Pointe-Noire. Zaïko Langa Langa dénicha son tempo suite au même phénomène déclenché par le bruit de l’autorail se rendant de Brazzaville à Pointe-Noire. De là à dire que le rythme est dans l’avenir du rail, il n’y a qu’un pas dont le franchissement ne comporte aucun risque.
LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE
« « Ndulé Jazz », c’est le nom de la formation que j’ai montée à Brazzaville. » S’il est vrai que Rido Bayonne fut un Prophète méconnu chez lui, aujourd’hui, au sommet de sa carrière, il est retourné au bercail comme l’enfant prodigue. Rido a décidé, enfin, d’apporter sa connaissance à ses compatriotes.
« Si tu veux me voir à Paris, dépêche-toi de le faire avant le 15 février. Car je pars au pays » me dit-il quand je lui ai dit ce dimanche au téléphone, que je comptais faire un tour à Paname.
En attendant, les Cannois aimeraient le voir, avec ses cinquante musiciens, sur scène dans leur ville. "Promis, juré, je reviendrai sur la Croisette, si vous m’y invitez" prophétise-t-il avec joie.
Par SIMON MAVOULA