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LIBRE OPINION

Lettre à tous les Francs-Maçons du Congo

Le Congo notre pays, vient de vivre l’épisode le plus sombre de son histoire politique, pourtant, une kyrielle d’éléments tangibles peuvent être recensés aisément, qui permettaient de voir nettement peu à peu cette crise poindre à l’horizon. Sous le prétexte de laisser les querelles politiques à l’entrée du Temple, parce que dit-on porteuses de germe de division, nous avons volontairement passé sous silence le fait évident, que les deux belligérants de cette guerre génératrice de ce drame étaient membres de notre Ordre. Alors que l’Ordre maçonnique en tant qu’institution se réfugiait derrière le dogme désuet de l’apolitisme, certains Frères, et pas les moindres, usant parfois de leurs offices maçonniques, ont ostensiblement pris position dans ce duel profane, engageant ainsi gravement notre responsabilité à tous.

Il y a quelques mois à peine, une Obédience maçonnique, les GOLAC puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a organisé au Palais du Congrès à Brazzaville, un meeting en salle pour faire des déclarations partisanes au nom et pour le compte de la Franc-Maçonnerie, s’enfonçant ainsi franchement, et l’Ordre maçonnique avec, au cœur du débat politique sans en avoir préalablement reçu mandat de notre part, et sans que cette faute n’appelle la moindre réaction de désapprobation de notre part.

Les faits ont démontré que la prétention à vouloir régler le problème à long terme, ou simplement à laisser le temps au temps, se traduit par la décomposition de notre tissu social. Notre complaisance à tous est l’origine de la triste et humiliante prestation dans laquelle s’empêtre aujourd’hui l’Ordre maçonnique tout entier rendu responsable de tous les maux.

« On ne peut rien faire de grand sans de grands hommes, et ceux-là le sont pour l’avoir voulu » a dit un jour Charles De Gaulle. Justement, un grand homme du continent, le Sud Africain Monseigneur Desmond TUTU, à l’occasion du procès Justice et Réconciliation, déclarait : « L’important pour nous n’est pas de juger le passé, mais de comprendre pourquoi cela a été possible, pour l’éviter à l’avenir ».

Le sens de la vie c’est celui que nous lui donnons à travers les efforts des hommes. Que dire donc à ceux qui attendent une réponse ? Que nous dire à nous-mêmes au cœur du drame qui se joue devant nous et dans lequel, malgré nous, en tant que Francs-Maçons, nous sommes sinon acteurs au moins spectateurs engagés ?

La crise sociale de juin 1997 avec son prolongement particulièrement meurtrier de décembre 1998, qui a secoué le Congo en perturbant gravement le fonctionnement des Institutions de la République, et dont le décompte macabre est sans précédent dans toute l’histoire du pays, a été très révélatrice de l’interprétation par les Francs-Maçons Congolais du concept de neutralité politique qui doit, dit-on, régir la conduite de la Franc-Maçonnerie.

Les Constitutions d’Anderson déclarent : « Les animosités personnelles et les querelles privées, ne doivent pas franchir la porte de la Loge, ni à plus forte raison encore les discussions religieuses, nationales ou politiques. Nous sommes, en tant que Francs-Maçons, de la religion universelle, celle qui consiste à être Hommes bons et sincères, nous sommes également de toutes nations, de tous idiomes, de toutes parentés, de tous langages et résolument adversaires de toute politique, celle-ci n’ayant jamais été et ne pouvant jamais être que funeste au bien des Loges ».

Se fondant sur ces obligations issues d’une Charte d’une autre époque ; il a été décrété que la Franc-Maçonnerie est apolitique ; l’engament politique d’une Obédience voire de l’Ordre maçonnique demeure sous le visa de ces obligations, répréhensible, parce que réputé à l’origine des palabres susceptibles de générer de lourdes conséquences pour les Loges.

Ainsi, dans l’euphorie générale de cette conception doctrinale donc dogmatique, nous avons curieusement oublié que l’humanité de l’homme, disait Aristote, ne pouvant pleinement se réaliser que dans la société où il faut donc voir le lieu normal des relations humaines ; l’homme est par nature social. Et Jean-Jacques Rousseau nous révèle qu’il n’existe point de sociabilité naturelle, la société ayant pour fondement l’artifice d’un contrat. Si la société est l’effet d’un contrat, elle se constitue donc en rupture avec l’ordre naturel, elle est conventionnelle. L’homme, Etre social, est par conséquent un animal politique.

Or, la Franc-Maçonnerie, Institution affirmant travailler à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité ; le Franc-Maçon ne peut raisonnablement prétendre se manifester en dehors de l’entité essentiellement politique qu’est la société ; il est lui-même un Etre social et comme tel, il se sert de la politique plus ou moins consciemment à la manière de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, et cela, depuis les origines.

C’est le lieu de s’interroger sur la possibilité d’une réelle contribution de la Franc-Maçonnerie au processus de la solidarité nationale et de paix, si l’on s’ingénue hypocritement d’ailleurs à privilégier le caractère tabou ou délétère que paraît revêtir la politique, alors que tout le monde le sait jusque y compris les profanes, que la politique a littéralement envahi les Parvis, et cohabitent avec nous sur les Colonnes dans la quasi-totalité des Loges. Les Francs-Maçons Congolais doivent prendre garde de ne pas tomber dans ce dogmatisme conduisant à une représentation manichéenne, réductionniste et simplificatrice qui consiste à dissocier les conflits sociaux de leurs causes, qui sont en réalité le fait des hommes et des femmes.

Il se trouve, souvent, hélas que ces hommes et ces femmes qui prétendent que l’homme qui est sorti du Temple est forcément différent de celui qui y était entré ; doivent aussi forcément s’étonner de constater que les derniers conflits sociaux dont l’ampleur dramatique a fait que chaque millimètre carré du sol dit national est saturé de sang humain, ont eu pour protagonistes principaux et cela jusque y compris leurs entourages immédiats, des Francs-Maçons.

Comment dans ces conditions s’abstenir de reconnaître, que la conscience et la responsabilité de l’Ordre maçonnique et finalement simplement du Franc-Maçon, qu’il soit Congolais ou non, se trouvent interpellées, et donc notre engament politique collectif à faire que ces tensions sociales destructrices et surtout déstructurantes de l’ordre social soit définitivement enterrées est plus que souhaité ? En tout cas, s’il fallait intituler ce sombre épisode de l’histoire politique du Congo ; il conviendrait d’écrire : La Franc-Maçonnerie a assassiné l’espérance congolaise.

En nous abstenant de façon hypocrite d’évoquer franchement en notre sein la question politique ; nous avons laissé sans le vouloir, libre cours aux idées calamiteuses de certains d’entre nous qui, dans le monde profane ont posé et posent encore des actes qui ont désolé et risquent de désoler demain toute la communauté nationale ou ce qui en tient lieu, entraînant de ce fait notre responsabilité collective totale et entière.

La seule manière pour les Francs-Maçons de contribuer positivement au processus de la solidarité nationale et de paix, me paraît être de prendre le mal à sa racine, en réfléchissant sur les motivations trop souvent dissimulées, des comportements à l’origine de cette chronique conflictualité. Leur examen réel, courageux et lucide, sans nous laisser obnubiler par la Maçonnerie alimentaire, ni nous laisser emberlificoter par des antagonismes tribaux sans cesse renaissants qui nous guettent au quotidien. Ceci conduira très certainement à l’intelligibilité des choix politiques des uns et des autres acteurs dans ces divers conflits, pour enfin sinon prescrire la thérapeutique adéquate, au moins proposer des solutions concrètes pour une fidélité faisant appel à des sentiments à visage humain.

Le processus conduisant à la solidarité nationale et à la paix pour la réussite duquel notre contribution en tant que Francs-Maçons est plus jamais indispensable, est consécutif au drame social que vient de vivre le pays au plus profond de lui-même et par la faute des Francs-Maçons, il faut le dire franchement et courageusement, des Francs-Maçons qui ont refusé d’user des Outils mis à leur disposition par notre Tradition venue des profondeurs abyssales de l’Egypte pharaonique.

Aujourd’hui encore, au moment où tous les ingrédients semblent de nouveau se mettre en place pour une palabre qui pourrait dégénérer à l’approche d’une élection essentielle, nous avons la chance, si j’ose dire, que le premier citoyen de la Cité se trouve être une homme qui prétend comme nous avoir reçu la lumière. Note besogne devrait être largement facilitée si l’on ose utiliser les Outils.

Les Francs-Maçons présents dans certaines structures à travers le monde, semblent jusqu’ici trop limiter leur intervention à la pratique généreuse de la philanthropie par la réalisation de quêtes de fonds et d’aliments au profit des populations sinistrées. Nous ne pourrions certes répudier cette attitude sans faillir gravement à nos devoirs et notre Serment ; mais il n’en demeure pas moins qu’elle ne suffit pas. Isolée de l’œuvre de perfectionnement spirituel que nous avons à poursuivre écrivait notre Frère Edouard Plantagenet, l’action maçonnique limitée à l’entraide, ne peut de quelque manière que ce soit aider l’homme à se dégager des rets de sa primordiale animalité. Limitée à la défense de ce que nous avons appelé : ‘’Droits de l’homme et du citoyen’’, l’action maçonnique ouvre la porte aux passions les plus aveugles, aux haines les plus vivaces, aux violences les plus inadmissibles, elle laisse en un mot les histrions de la politique envahir le Temple et en chasser la sagesse et l’amour, la Tolérance et la Fraternité.

La première des solidarités et la plus simple, c’est l’amitié. J’ai déjà mentionné que l’homme était un animal politique, autrement dit fait pour la société, et cela provient de sa nature même, de son être qui est sans fin. Saint Thomas définissait l’amitié comme étant un amour de bienveillance mutuelle fondée sur une certaine communication. La Bible, ce Livre Sacré pour la plupart d’entre nous et sur lequel beaucoup prêtent Serment, nous dit dans Psaumes 133 : « Voyez ! Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble ! »

Alors, puisque tout en étant régie par le même Serment et les mêmes principes, la Franc-Maçonnerie héberge des barrières qui divisent l’Ordre en : Maçonnerie prétendue régulière, Maçonnerie Mixte, Maçonnerie tantôt strictement masculine tantôt strictement féminine, interdisant ainsi la convocation des Réunions communes ; il ne nous reste plus qu’à suggérer la convocation rapide d’une concertation entre Obédiences pour la confection d’un code de conduite qui contiendra des propositions concrètes pour le retour définitif de la paix et sur un processus de solidarité nationale, timidement suggéré par la classe politique et auquel curieusement la Franc-Maçonnerie, pourtant responsable de cette conflictualité est absente. Ce code de conduite sera ensuite déposé par une délégation interobédiencielle auprès du Président de la République, en le plaçant devant ses responsabilités.

Ce sera l’occasion de nous rappeler à nous même que le seul fait de nous réunir assidûment en Loge, notre attachement aux principes qui président à l’émancipation sociale de l’humanité, notre générosité philanthropique, la ponctualité dans l’acquittement des cotisations, ne suffisent pas à faire de nous des Initiés et par conséquent permettre d’accomplir l’intégralité de nos devoirs envers l’Ordre, envers nous-mêmes et envers l’humanité. On dit que la Loge maçonnique est une microsociété particulière. En Tenue comme en dehors, ses membres ne sont pas seulement réunis mais unis. Cette union est soudée à la fois par le Serment qu’ils ont prononcé lors de l’Admission, par les Rituels qu’ils pratiquent.

Les éléments nécessaires à une paix véritable et durable résident dans la suppression de tout ce qui incite à la division et qui dégénère en conflit. C’est le devoir qui nous échoit, la mission qui nous incombe individuellement et collectivement. Combien de Francs-Maçons en effet réalisent que la mission véritable et peut être même l’unique mission de la Franc-Maçonnerie en tant qu’Ordre Initiatique, consiste à indiquer la Voie, répandre la lumière pour éclairer le Sentier et tendre une main secourable. Combien réalisent que nos trois Grades Symboliques correspondent d’un point de vue ésotérique aux trois stades de l’évolution de la pensée humaine : l’intuition pour l’Apprenti, l’analyse pour le Compagnon et la synthèse pour celui qui crée autrement dit le Maître ?

Tout comme les Philosophes anciens croyaient que polir la pierre cubique et arrondir ses angles la perfectionnaient, de même dans l’Alchimie humaine, la Franc-Maçonnerie se nourrit de la conviction que les aspérités les plus grossières de la nature humaine, les côtés les plus rudes de sa personnalité, doivent être éliminés, afin que l’or pur de sa conscience et de son Moi puisse atteindre les hauteurs sublimes de l’humanité. Ce n’est que de cette manière que la Franc-Maçonnerie pourrait instruire et transformer par l’exemple.

Sursum corda !

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