email

Incapacité de l’Opposition de rassembler contre Sassou : retour sur la rencontre du 27 février à Paris par Le Cercle la Rupture

Le Cercle la Rupture a rompu avec la monotonie politique en organisant une rencontre sur l’inexplicable position inefficace de l’Opposition face au régime de Sassou. Pourquoi n’arrive-t-elle pas à rassembler malgré la taille du gibier à abattre et l’horreur générale qu’il inspire ? La thèse défendue par le Cercle est que l’Opposition a des tares qu’elle reproche elle-même au pouvoir. De sorte qu’une fois qu’elle arrivera au Pouvoir, elle les reproduira inévitablement.

Quelles solutions pour sortir de cette quadrature du cercle ? C’est justement la question qui a été débattue ce samedi 27 février 2010 au Restaurant « Moussa l’Africain » Porte de La Villette à Paris. Une cinquantaine de personnes est venue se nourrir de débats conceptuels et factuels sur lesquels, en général, étant donné la diversité des approches et la spécificité des origines théoriques des intervenants, on reste sur sa faim.

Pour rester sur la métaphore culinaire, l’appétit, ce samedi, a été aiguisé d’entrée de jeu par les deux orateurs chargés d’exposer la philosophie du Cercle la Rupture : Diogène Senny et Brice Nzamba. Pour étayer leurs propos sur le tribalisme et sur les moyens de l’éradiquer au Congo (car c’est cela aussi l’un des points de la problématique) un invité a été mêlé à la partie. Il s’agit du Dr. Pierre Eboundit, auteur d’un livre sur le Mouvement du M22 1972 *, mouvement social réputé avoir été ethniquement unitaire, transcendant, grâce à une démarche inédite, les vieux clivages Nord/Sud.

Pierre Eboundit est ce qu’on appelle « sujet et objet de son étude » puisqu’en tant qu’auteur, il a également été au Maquis de Diawara en 1972. Sa particularité est d’être ce que la vulgate congolaise désigne par « ressortissant du nord » et d’avoir participé à une insurrection dirigée par un « ressortissant du sud », en l’occurrence Ange Diawara qui, comme son nom l’indique, était moitié congolais, moitié malien. Autrement dit Pierre Eboundit a combattu un pouvoir détenu par les siens. On pouvait noter dans la salle la présence de Benjamin Ntoungamani, justement l’un des…benjamins des insurgés de février 1972. Pierre Eboundit avait, pour sa part, 18 ans à l’époque. A signaler aussi la présence de Nzongo Soul, musicien, poète, sémiologue.

Dans son exposé liminaire, le pharmacien Pierre Eboundit a fait un diagnostic du mal congolais en étayant, au passage, son discours par des anecdotes sur le fait tribal, par exemple des réunions de cabinet ministériel qui se font en langue ethnique. Pour lui, le tribalisme a été mis au placard au Congo durant la guerre froide. Mais lorsque le conflit est/ouest a pris fin, le phénomène est revenu en force. Pour éradiquer ce mal, Dr Eboundit préconise par exemple le recrutement dans la fonction publique par voie de concours. Ce qui, on s’en doute, n’existe plus au Congo. Pour Diogène Senny qui a d’emblée rassuré l’auditoire qu’il était du nord (voire de l’extrême nord), le fait tribal est inhérent à chaque formation politique. Le RDPS de Thystère Tchicaya ne se gêne pas de recruter exclusivement dans le fief vili, tout comme le MCDDI dans le fief kongo/lari. Pourquoi s’étonner, dans ce cas, de jouer sur ce fait quand ces formations accéderont au Pouvoir ? Le PCT ne fait pas autre chose que ce que feront ceux qui rêvent de le remplacer. Evidemment, Diogène Senny, tout étant du nord, fustige avec véhémence le tribalisme du PCT et ressent au plus profond de lui une animosité envers le tribalisme. Me Brice Nzamba, a insisté sur la roublardise du PCT qui a reproché à l’UPADS de ne pas avoir respecté la Constitution alors qu’une fois au Pouvoir, ce même PCT a encore mieux chiffonné le texte constitutionnel.

Les débats modérés par Mme Goma-Dibangou ont, évidemment, été houleux. Des poncifs du genre « on n’a pas défini les concepts » ont été inévitables. Bien entendu, dans ce genre de débats où l’académisme le dispute à la vulgarisation (pour faire vite) on en arrive à des indigestions intellectuelles à la fin des exposés préliminaires. Quand on ajoute à cela la sensibilité du sujet en milieu congolais (des torrents de sang ont coulé à cause de l’intolérance ethnique) on peut imaginer les tensions dans la rhétorique des intervenants. Par exemple :

Dr. Pierre Eboundit qui se reconnaît du groupe lato sensu mbochi sera sommé par un orateur dans la salle de dire « à ses parents au pouvoir » d’apaiser la situation au Congo afin que ceux qui ne sont pas de leur bord politique puisse s’y installer en toute quiétude. Catégorisation globalisante contre laquelle le pharmacien diawariste s’insurgera. Sur le mode « eux c’est eux, moi c’est moi » l’auteur du livre sur le Mouvement M-22 insiste que Sassou est au pouvoir depuis 25 ans et lui, Pierre, est en France depuis 25 ans. Donc il n’est pas comptable des dérives de ses "parents". Par ailleurs Pierre Eboundit prend soin de préciser en préambule que le panafricanisme des pères des Indépendance demeure son référent théorique existentiel. Loin de lui la démarche de l’inféodation ethnique par et pour affinités parentales.

Autre orateur, autre coup de colère. Tel cet intervenant qui en voudra à vie à l’Ambassadeur du Congo en ex-RDA pour avoir refusé une simple signature qui pouvait changer favorablement son orientation pédagogique. Lui, voulait étudier la médecine en Allemagne ; les Allemands étaient prêts à le former. L’ambassadeur congolais, refusa, estimant que l’autosuffisance alimentaire prônée par Sassou voulait que, lui, se spécialise en « Eaux et Forêts ». On sait ce qu’est devenu le slogan de Sassou sur la pénurie alimentaire. L’orateur de conclure : « si j’étais son neveu, il aurait signé ». Mieux : s’il avait été de son groupe ethnique, l’Ambassadeur aurait rapidement mis son paraphe.

Tel autre débatteur après avoir rendu hommage à l’inter ethnicité du mouvement du M22 où les Ikoko, Olouka (nordistes) côtoyaient des Diawara (sudiste) dans le maquis de Ngoma Tsé-Tsé, jettera en pâture à la réflexion le fait d’avoir été gommé de la liste des boursiers congolais au Maroc à cause de son patronyme à connotation sudiste lari. Ironie du sort, sa mère originaire d’Impfondo (nord extrême) porte le nom d’un ancien dignitaire politique du sud (Youlou, pour ne pas le nommer).

Enfant, dira un intervenant, mes parents m’ont dit d’aimer Etoile du Congo (équipe de foot supportée en majorité par des nordistes). Pourtant dans la ligue de Brazzaville, le choix est varié : Diables Noirs, Aiglon, Patronage… Mais Diables Noirs est le symbole des sudistes du Pool. Donc à classer dans les équipes taboues.

Comment faire tomber un pouvoir tribal ? « Par le tribalisme des tribalistes » a en quelque sorte postulé un autre intervenant. Illustrations : Youlou fut chassé par les siens. Massamba-Débat également (Diawara, Ndalla). Ngouabi fut assassiné par les siens (Yombi, Sassou). Sassou 1 fut viré par les siens (Bokamba Yangouma). Lissouba par les siens également ( Mbéri, Mabika). Donc Sassou le sera aussi par sa propre clientèle politique qui, bien entendu, s’identifie à la clientèle ethnique. Exit, le coup d’état exogène.

« Le tribalisme n’existe pas » axiomatise un autre orateur. Les Congolais, dans leur profondeur, ne le sont pas. Il faut vivre à Poto-Poto pour se rendre compte des vertus de cet axiome. En revanche des groupes politiques instrumentalisent le phénomène tribal pour conserver à vie le pouvoir. Arbre cachant la forêt, ça donne l’impression que le Congo dans son ensemble baigne à jamais dans une discrimination tribale.

« Je vais raisonner comme au village » dit un locuteur. Pourquoi les intellectuels se mobilisaient tous sur la place de Paris quand il s’agissait de fustiger Lissouba ? Aujourd’hui quand on les invite à la faire la même chose contre Sassou, on ne les voit plus. « Je ne suis pas de l’Upads » s’empresse-t-il de préciser.

Une minute de silence est observée à la fin en mémoire des morts du M-22 dont certains dans la salle ont vu, jadis, les dépouilles avant d’être jetées dans une fosse commune.

En conclusion, l’hymne national est entonné en lingala. Le Cercle de Rupture promet de poursuivre la discussion sur d’autres thèmes.

Gustave Bimbou

*« Le M22, une expérience au Congo, devoir de mémoire »

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.