Les années 1990 ont été marquées par le triangle des Bermudes LISSOUBA-SASSOU-KOLELAS. Les années 2000, en revanche, voient le tsunami des sites d’opinions, caractérisé par un corpus littéraire qui ne brille pas par la beauté mais par les perles que ce champ médiatique recèle.
En longeant ce beau fleuve que sont les Pensées de Giacomo Leopardi, on est séduit par la vague ci-après : "Dans la vie, il n’est rien de plus intolérable, ni en fait de moins toléré, que l’intolérance."
Hélas ! Les sites congolais sont réfractaires à cette belle citation. Il est désormais difficile de contredire ou de critiquer un article anti-pouvoir, de rédiger un article d’information sur une personnalité proche du pouvoir, sur ces sites, sans essuyer aussitôt une rafale d’insultes. On est alors taxé d’homme de Mpila, à tort ou à raison, ignorant que même le pire des criminels a droit à un avocat et que chacun est libre de ses opinions. Le vent contraire fait aussi avancer le voilier, cela les internautes l’oublient. De véritables procureurs ; des ayatollahs de la belle virulence : voilà ce que sont devenus les usagers des sites.
Pis, les internautes se balancent entre eux des épithètes excrémentielles et, très souvent, un tribalisme primaire y règne en maître : "Vous les gens du Pool..." ; "Vous les Nibolek..." ; "Vous les gens du Nord...", etc. L’intolérance et l’insulte se sont donc érigées en profession de foi. Beaucoup de ces sites n’ont pas plus de cinq ans d’existence, mais ils ont pris d’énormes rides à cause de la rude course à l’audience. Zenga Mambu, c’est le niveau zéro du journalisme citoyen, d’opinion et du forum. Congopage, Le Moustique et Mwinda ne font pas mieux, mais les intervenants de ces sites sont moins intolérants et moins agressifs. Kimpwanza ne connaît pas ce problème, faute d’avoir un forum de discussions. Cependant, c’est une lâcheté de ne pas permettre aux internautes de réagir à un article. Le Choc n’existe pas ; on n’y trouve que des papiers illisibles et soporifiques, pondus par un porteur de valises infatigable. Talassa est un cas à part : c’est un bihebdomadaire d’enquêtes. Le ton y est impertinent, mais le rédacteur en chef Fortune Dombé Bemba verse rarement dans l’insulte gratuite. "Il faut faire quelque chose, ça dérape trop. Qu’en sera-t-il quand le Congo aura le Haut Débit ?", se demande Simon Mavoula, le rédacteur en chef de Congopage. "Néanmoins, les joutes oratoires sont préférables aux affrontements physiques. C’est lorsque les gens refoulent leurs pulsions qu’ils glissent vers le passage à l’acte. On sait où mène le musellement du peuple : aux guerres civiles", ajoute Simon Mavoula.
Non, il ne faut pas supprimer les forums. Peut-être vaudra-t-il mieux les limiter ou ne les ouvrir qu’aux seuls papiers des Rédactions ou encore les « modérer a priori ». Dans la majorité des cas, ce sont les réactions des lecteurs qui génèrent des odeurs nauséabondes. Or les forums devraient être un lieu d’échanges constructifs et non un ring de boxe. Vivianne Bantsimba, journaliste indépendante d’origine congolaise, prépare un livre sur les sites d’opinions africains. Elle suit de très près les sites congolais. " Ils (les sites congolais) sont multiples et, de plus en plus, de véritables dépotoirs. Les uns ne se distinguent pas des autres, tant un même article peut se retrouver sur tous les sites. En fait, ces sites n’ont pas les moyens de leurs ambitions, souvent un site est tenu par une seule personne, le webmaster, et il ne peut tout faire", explique-t-elle. Et d’ajouter : " Ces sites dépendent des partis politiques d’opposition, aussi y est-il difficile de parler du pouvoir de Brazzaville, lequel est aussi responsable de ce dérapage." Oui, la responsabilité de ce glissement incombe en grande partie au pouvoir de Brazzaville, trop violent. Et, quelque part, la virulence des internautes n’est que le reflet de cette violence. Mais faut-il répondre à la violence du pouvoir par l’intolérance, l’insulte, la vulgarité ?
Beaucoup se disent "hommes politiques". Ont-ils le droit de sombrer dans l’insulte ?
La loi du silence
Tous les Congolais se disent hommes politiques ; tous les Congolais veulent devenir députés, ministres. Aussi répugnent-ils à la perspective d’exercer des métiers comme ceux des arts (y a-t-il encore des écrivains, des musiciens ou des cinéastes au Congo ?) ceux des sciences, des humanités, etc. Or il ne suffit pas de parler « politique » pour être un homme politique. Et le fait d’être à l’étranger où l’accès au haut débit est facile ne confère pas le monopole de l’intelligence, en tout cas pas plus que résider au Congo où internet est encore à l’âge de la pierre polie. Au contraire, il se trouve que la fonction d’homme politique est plus efficace sur place qu’à l’étranger. A ce titre, les Dzon, Mierassa, Kinfouissia, Malonga, Elo Dacy, Mbaya, Mabiala, quoique parfois facétieux, méritent le plus grand respect, car ils s’opposent sur place et résistent à la violence du pouvoir en place.
La politique n’est pas un métier, c’est un mandat. De ce fait, cette noble mission exige le contact avec les réalités locales. Ce n’est donc pas en pratiquant la politique à distance (on dira, par procuration) que ces Congolais qui se disent "hommes politiques" comprendront leurs concitoyens. Les Congolais de l’étranger ont même mis en place un gouvernement dit de "La Convention des Congolais en exil : quelle fantaisie ! En fait, les Congolais qui gueulent depuis l’étranger font plus penser à la fable du coche et la mouche de La Fontaine qu’à une réelle force de propositions ou d’analyses. Des champions de la clairvoyance a posteriori. Des admissibles au baccalauréat de l’amour-propre : ils sont avides des opinions que les autres se font d’eux que de changements politiques au Congo. Pire, génies de l’égocentrisme absolu, ils interviennent parfois sur leurs propres écrits.
Une transposition : les 3/4 d’hommes politiques congolais sont des Rastignac mâtinés de Rupembré, des Talleyrand doublés de Kurtz... Le travail des autres paraît toujours facile. Ceux de l’étranger feront-ils mieux que ceux qui sont au pouvoir ? Auront-ils la même liberté de ton ? Rien n’est moins sûr. Thierry Mougalla fut, lui aussi, un cassandre de l’étranger. Aujourd’hui, il est d’une servilité plate à l’égard du Léviathan qu’il vouait aux gémonies. En vérité, le défaut de ceux qui hurlent au loup depuis l’étranger est celui des victimes du syndrome de Stockholm. Longtemps bâillonnés par le monopartisme, ils ont mimé les comportements du bourreau. Comme les agents du pouvoir congolais, l’intolérance et l’insulte sont leur tasse de thé. Dès l’instant où ils usent de l’argument de la violence verbale, ils imitent ceux qu’ils clouent au pilori à longueur de journée. Aussi se définissent-ils comme les hommes que tout le Congo attend pour le sauver. Des sornettes. C’est oublier que tout a été essayé au Congo, y compris la démocratie et les conflits meurtriers. Rien n’a marché. Les plans économiques ou les projets de société se sont succédé, rien ne fonctionne. Maintenant, il faut essayer le silence. C’est-à-dire, ne prendre la parole que de façon utile... Et ce sera l’an 1 du Congo. L’intolérance et l’insulte ne participent pas du silence.
Bedel Baouna