Je recherchais de la documentation sur la musique africaine afin de terminer un article, pressé par le rédacteur en chef d’un magazine populaire en France, magazine qui bouclait son prochain numéro ces jours-ci. Et puis, l’article rendu, la distraction est venue, lentement, avant de s’installer pour toujours... J’ai pensé a Franklin Boukaka (photo en haut) que je n’ai pas mis dans l’article... Il m’accompagne pourtant - avec Brassens -, ce chanteur congolais assassiné dans des circonstances qui demeurent encore obscures à ce jour...
Pour me racheter, je l’ai écouté dans la matinée, retenant parfois mon émotion, les écouteurs bien vissés.
Oh, il faut parfois rendre hommage aux jeunes artistes. A la fin des années 90, en effet,le groupe congolais "Bisso na Bisso" -(entre nous)-
, piloté par Passi, a remis le grand Boukaka au rendez-vous de la postérité dans leur album Racines qui s’ouvre par un prélude de Franklin Boukaka, avec ces prodigieuses notes de piano, puis cette voix lointaine, à peine posée sur les sonorités, et ces silences qui évoquent le sacrifice et la cause de ce chanteur...
J’ai retrouvé un article du quotidien francais L’Humanité daté du 15 mai 1999 est signé par une certaine Fara C. qui chroniquait avec émotion la réimpression du disque légendaire de Boukaka, Le Bûcheron (sorti chez Sonodisc/Musisoft) :
« En 1970, le chanteur congolais Franklin Boukaka pose, avec son disque le Bûcheron, une pierre angulaire de la musique africaine. Cet album, aux mélodies lumineuses, conjugue avec force lyrisme, poésie et engagement politique. Il éclaire alors les oreilles et les cours de tous ceux, noirs comme blancs, qui, dans la synergie de mai 68, se mobilisent pour une véritable indépendance des nations africaines et dénoncent la répression sévissant à travers le continent.
Au piano et à la direction musicale : Manu Dibango, qui, à l’époque, était une sorte de Quincy Jones africain (Manu était souvent sollicité pour réunir des orchestres, réaliser des arrangements, etc.). Le Bûcheron est publié trois ans avant l’explosion de Soul Makossa, qui donnera à Dibango une notoriété internationale. Ce rappel, pour souligner le rôle pionnier de Franklin Boukaka. En ce temps-là, la musique africaine n’était pas encore à la mode. Sa diffusion se limitait essentiellement aux mélomanes et africanophiles avertis. Il faut saluer M. Perse, de Sonodisc, pour avoir remarqué l’art dépouillé de Boukaka et pour avoir permis à l’artiste congolais de réaliser son premier enregistrement international.
À peine deux ans après la sortie du disque, Franklin Boukaka était assassiné, au moment d’une tentative de coup d’État au Congo. Les décennies passant, son disque avait quasi disparu des bacs. Merci à Bisso na Bisso d’avoir sorti de l’oubli ces Racines-là. »
La mort de Boukaka demeure donc une énigme. De ce fait, ce « brouillard » ajoute au mythe Boukaka le caractère de sacrifice, d’artiste venu sur terre juste pour déposer cette parole brève mais éternelle. La mort de l’artiste est parfois en soi - sinon toujours - un mystère. On songe au chanteur des Beatles, le britannique John Lennon, abattu à l’âge de 40 ans par un fan déséquilibré à New York.
On pense aussi à la mort de Marvin Gaye - auteur entre autres de What’s going on -, abattu par son propre père (un pasteur !) de plusieurs balles dans la poitrine après semble-t-il une discussion houleuse ...
On pense aussi à la mort du chef de file du groupe Nirvana, Kurt Cobain, retrouvé sans vie par son électricien dans la véranda de sa demeure - à Seattle - le 8 avril 1994...
Je me pose toujours les mêmes questions. Qui donc en voulait à ce point à Franklin Boukaka ? Etait-il réellement une menace pour les politiciens d’alors, lui qui chantaient l’unite nationale, la paix en Afrique et la fin des guerres tribales ? Les prophéties de ses textes - textes souvents militants et qui convoquent les grands révolutionnaires du monde - dérangeaient-elles les dirigeants de l’époque ?
Voilà peut-être un sujet de livre qui intéresserait les mélomanes des musiques du monde. Boukaka est à lui tout seul un personnage de roman, voire de grande tragédie... Bon, il semble que c’est plus "chic" et dans l’air du temps d’écrire la geste des présidents en exercice ou de pondre des pavés contre eux dans le but prendre leur place... et de gouverner de la même manière !
Pour savourer les extraits de cet album prodigieux de Boukaka, vous pouvez aller sur le lien suivant :