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Réponse à un auteur congolais

J’ai reçu les mots suivants d’un lecteur :

Mr Alain Mabanckou,

J’ai tenu à vous écrire pour vous exprimer mon admiration. Je suis un lecteur assidu de vos romans, sauf le tout dernier que je n’ai pas encore lu - "Verre Cassé" - et qui est introuvable à Kinshasa ou je réside.
J’aimerais me lancer aussi dans l’ écriture. En fait j’ai 5 manuscrits et j’aimerais vous en soumettre un ou deux déjà prêts pour lecture et peut-être si vous le voulez, être mon mentor.
J’ai 32ans et je suis Congolais de RDC.
Qu’en pensez vous ?

Th. M.

Cher ami, Cher confrère écrivain,

Je vous remercie pour votre courrier aimable. Je ne voudrais pas trop vous leurrer en affirmant que la publication d’un livre résulte forcément de l’initiative de celui qui a déjà commis quelques livres, et je suis très touché que vous me demandiez, à moi en particulier, d’accompagner vos pas vers la création et, finalement, son aboutissement.

En réalité, il n’y a que vous et vous-même qui pourrez vous libérer et transformer vos incertitudes en acte de création sans attendre l’approbation des autres ou la bénédiction de ceux qui ont déjà édité des livres...

A ce sujet, à mes tout débuts, lorsque le doute m’emportait - comme vous aujourd’hui - et que je sentais que le monde me paraissait injuste, j’avais toujours songé aux propos de l’écrivain Rainer-Maria Rilke, propos que j’ai fini par retenir et que je me murmure encore jusqu’à présent dans mes moments les plus désespérés :
"Personne ne peut vous porter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : "Suis-je vraiment contraint d’écrire ?"

Il est vrai que les réponses à de telles questions sont lourdes de conséquences. Pourtant, tout prétendant à la création doit y répondre en prenant pour témoins son âme et sa conscience. Je ne sais pas, pour ma part, ce qui me ferait dire que votre texte que vous comptez m’envoyer sera bon ou mauvais, publiable ou non. Je laisserai mon intime conviction aller dans la profondeur de vos écrits, et je n’écouterai alors que la petite voix qui me soufflera à peu près ceci :

« Il y a dans ces mots, dans ces phrases quelque chose d’inaccoutumé, de décalé, un univers enrichi par la vie de l’auteur, une phrase travaillée au marteau piqueur, au cœur de la nuit, tandis que l’entourage se plaignait du trouble de voisinage ; des passages que je voudrais m’approprier, prendre comme des paroles venues d’une montagne lointaine et fière de garder le secret des choses inanimées ; un tempérament d’artiste qui laisserait tout, la vie, les biens, les honneurs pour se consacrer à son art même au prix de recevoir de l’ingratitude en retour. »
L’ingratitude, disais-je ? Oui, la réussite dans tout domaine est conditionnée par trois facteurs : le talent, le travail et la chance. L’écrivain pourra avoir du talent et travailler d’arrache-pied, il y aura toujours le facteur chance qui jouera. C’est l’élément le plus aléatoire, celui qui vient très vite pour certains, trop lentement pour d’autres, et le plus souvent après la mort pour la plupart des auteurs...

J’éprouverai bien entendu le plaisir de lire vos textes, mais je vous prierai de ne pas trop prendre la rigueur et la sincérité de mon jugement comme paroles d’évangile. Il n’y a pas plus mauvais créateur que celui qui rejette l’épreuve de la confrontation et les blessures de la vérité. Cela au moins est une réalité palpable, indubitable.

Veuillez croire, Cher confrère, à l’assurance de mes salutations distinguées.

Alain Mabanckou

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