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"La littérature monde s’impose". Un article de Beuve-Mery dans Le Monde

Ce week-end s’ouvre le Festival Etonnants-Voyageurs, avec pour thème la « Littérature-monde », regroupant des auteurs venus du monde entier pour trois jours d’échanges, de conférences, de signatures de livres, de projection de films et du lancement de « La Convention de Saint-Malo ». Le programme de la manifestation peut-être découvert sur le site www.etonnants-voyageurs.com. Alain Beuve-Mery, journaliste au Monde a publié un article intitulé "La littérature monde s’impose", article paru dans l’édition de ce quotidien du18 mai dernier. Le voici en intégralité...


Le calendrier s’est emballé. Et le cadre s’est dilaté. Programmé pour 2008, le thème de la " littérature-monde" s’est imposé pour le 18e festival d’Etonnants Voyageurs, qui se tiendra du 26 au 28 mai à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Il a ravi la vedette aux "villes-mondes", thématique initialement prévue. Celles-ci seront cependant aussi célébrées, à travers 13 films et une trentaine d’auteurs.

Mais l’occasion était trop belle. Pour Michel Le Bris, directeur du festival malouin, il fallait la saisir. Depuis la parution du manifeste signé par 44 écrivains en faveur d’une "littérature-monde" en français, dans "Le Monde des livres" du 16 mars, les réactions de tous horizons ont fusé. Pour la première fois depuis longtemps, les universités américaines prêtent une oreille attentive à ce qui se passe dans le champ de la langue française.

Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, a fustigé cet appel, estimant que ses signataires confondent "francocentrisme et francophonie". Pour l’ex-président du Sénégal, ces auteurs ont choisi de se "poser en fossoyeurs de la francophonie, non pas sur la base d’arguments fondés, ce qui aurait eu le mérite d’ouvrir un débat, mais en redonnant vigueur à des poncifs qui décidément ont la vie dure".

Dans Le Figaro, le 22 mars, Nicolas Sarkozy invitait à "réfléchir à la création de chaires francophones, quasi inexistantes en France, afin de retenir des talents littéraires comme Maryse Condé, Alain Mabanckou ou Achille Mbembe, qui ont fini par s’exiler aux Etats-Unis". Et de poursuivre : "Le coeur et l’avenir de la francophonie sont de moins en moins français, mais, paradoxalement, de plus en plus anglo-saxons."

Sur le blog d’Alain Mabanckou, un des "44", Achille Mbembe, un des plus grands intellectuels africains, a résumé la situation. "Le français est désormais une langue au pluriel, écrit-il. En se déployant hors de l’Hexagone, il s’est enrichi, s’est infléchi et a pris du champ par rapport à ses origines." "La France n’en a plus l’exclusive propriété", note encore l’auteur de De la postcolonie (Karthala, 2000), mais un blocage culturel demeure, car "le français en France a toujours été pensé en relation à une géographie imaginaire qui donnait à ce pays l’illusion d’être le "centre du monde"".

UN LIVRE, UNE ASSOCIATION

Les organisateurs d’Etonnants Voyageurs ont pris deux initiatives pour faire sauter ce dernier verrou. La première est la parution d’un quasi-quick book littéraire, un livre produit très rapidement. En deux mois ont été rassemblés 27 contributions dans Pour une Littérature-Monde, sous la houlette de Michel Le Bris et Jean Rouaud, qui paraîtra chez Gallimard le 25 mai (350 p., 20 €). La rencontre de ces deux écrivains est un des points d’orgue de cet ouvrage. L’un - par le détour du concept de littérature-monde -, et l’autre - à partir de sa réflexion sur la littérature française et la mort du roman - se sont trouvés sur le même chemin. "Cela a été une rencontre très fructueuse. C’est le début d’une nouvelle aventure poétique", précise Jean Rouaud. "La littérature française n’est plus réductible à une littérature de France", ajoute-t-il.

Pour Jean-Marie Laclavetine, signataire du manifeste et contributeur, cet ouvrage collectif se devait d’être "le plus éclectique possible" pour montrer que "des écrivains se sont rassemblés à un moment donné en faveur d’une littérature désentravée, ouverte sur le monde". Le livre doit servir "de balise, de fanal", dit-il. Séduit par le projet, Antoine Gallimard a donné son accord très rapidement. Si d’aventure cette démarche rencontrait un public large, une revue pourrait voir le jour.

Ce qui conduit à la deuxième initiative : la mise en place de La Convention de Saint-Malo, qui sera installée dimanche 27 mai, dans le cadre du festival. Il s’agit d’une association qui doit accompagner le mouvement en faveur d’une littérature-monde de langue française et mettre en valeur la pléiade d’écrivains qui la composent. Elle élira son bureau, et Michel Le Bris ne désespère pas de convaincre Alain Mabanckou, Prix Renaudot 2006 pour Mémoires de porc-épic (Seuil) et professeur de littérature à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA), d’en prendre la tête.

Quatre prix littéraires seront remis à Saint-Malo qui honoreront la littérature-monde, deux anciens (les prix Joseph-Kessel - SCAM et les Gens de mer-Hurtigruten) et deux nouvellement créés : le prix Nicolas Bouvier, doté de 15 000 euros, et le prix Robert Ganzo, doté de 10 000 euros, qui distinguera l’auteur d’un livre de poésie d’expression française en prise avec le mouvement du monde.

Pour sa 18e édition, Etonnants Voyageurs s’est aussi considérablement agrandi : sa surface d’accueil a doublé, ce qui permet d’accorder une large place à la jeunesse, aux films, aux spectacles, à l’aventure et à la mer, au côté de la littérature-monde.

Alain Beuve-Mery, Le Monde, 18 mai 2007

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