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"LE PROCES D’UN TYRAN", un article de Patrice Nganang

Dans un article que nous envoie Patrice Nganang (article paru également dans la Tageszeitung (Allemagne), dans Mutations (Cameroun), dans Le Courrier d’Abidjan (Cote d’ivoire), dans Sidwaya (Burkina Faso), et à paraître dans Week-end (Sénégal) et This day (Nigeria) ) le romancier camerounais revient sur de la traduction de l’ancien Chef d’Etat du Liberia , Charles Taylor (photo) devant un Tribunal International pour des faits commis durant son mandat. C’est un fait inédit pour le Continent noir...

LE PROCES D’UN TYRAN

En matière de scenarios de fin de règne, l’Afrique en a certes vu de toutes les couleurs ; celle dont elle a été le plus sevrée est cependant aussi verte que la justice. Il est des présidents comme le guinéen Lansana Conté dont la fin du régime est si longue qu’elle serait pour chacun un soap opéra à rocambolesques péripéties si le destin de tout un pays n’était en jeu. Tout comme il y en a, tel par exemple Ahmadou Ahidjo du Cameroun, qui s’est retrouvé en exil, condamné à mort par contumace par son dauphin, Paul Biya, puis amnistié, mais sur la même liste que ses adversaires, Ouandié, Um Nyobé, qu’il aura tués et fait enterrer dans du béton armé. Si un pays comme le Ghana aura fait passer la plupart des présidents de son histoire devant le poteau d’exécution, le Nigeria lui aura tout de même arraché la couronne du macabre. Ainsi ce pays aux cent-cinquante millions d’habitants aura vu sa population éclater de rire et danser à l’annonce de la mort aux bras de deux prostituées de celui, Sani Abacha, qui de 1993 à 1998 l’avait prise en otage. Les jugements hâtifs dans l’arrière-cour de casernes, les procès bidons avec exécution expéditive, les condamnations à mort de potentats en fuite, les assassinats purs et simples dans les antichambres du pouvoir, et même la mort en l’air dans des avions, cela occupe une place de choix dans la longue histoire qui clôt les régimes du déni de droit sur le continent. Prenons le Rwanda en 1994 : jamais le besoin de justice de populations n’a rempli autant de tombes !

La fin des dictateurs a bien de fois le visage de la violence dans laquelle ils baignent. Si elle n’est pas toujours cocasse, elle ne manque jamais d’être abracadabrante. Elle ne clôt cependant que trop rarement le cycle de la vengeance, car ces antihéros que sont nos tyrans ont en commun de toujours échapper à la justice, et de laisser derrière eux des mondes en folie. Certes ce n’est pas toujours la guerre civile comme dans le Liberia d’après le sergent Samuel Doe, à qui les soldats de Prince Johnson auront coupé l’oreille devant une camera vidéo avant de l’achever.

Ou le Congo-Kinshasa d’après Mobutu Sese Seko (photo), le Rwanda d’après Habyarimana qui tous deux ouvrirent les portes à des génocides. Au Togo, la succession du fils, Faure Eyadema, à la place laissée vacante par la mort du père, après tripatouillage de la constitution un dimanche matin, a écrit un autre chapitre d’une sale histoire qui ne finit pas. La paix n’est-elle acquise en Afrique qu’au prix de telles infamies ? Toujours le nouveau régime demande de tourner la page, et d’oublier les tords du passé. Or les scenarios d’après-tyrannie font bien des fois avoir des sueurs froides au dos : le nouveau président qui se ligue contre les sympathisants de son prédécesseur, le soupçon de trahison qui poursuit l’ethnie d’origine de l’ex-Néron, la malédiction qui s’abat sur ses partisans, le forclos sur son nom en public. Tout cela rend compte d’un passé de la coercition qui n’arrête pas de manger ses enfants, et est prémonitoire de violences à venir encore. Voilà une culture politique de la vengeance qui gangrène même les reflexes de régimes issus d’élections démocratiques, la violence accouchant de la violence.

"Il faut savoir finir", dit-on dans les rues de Yaoundé, et c’est justement cette leçon que les tyrans ne retiennent jamais. Heureusement la justice rattrape quelquefois ces cancres du droit, même s’ils ont toujours des amis qu’on soupçonne le moins : qu’ Abdoulaye Wade, le président démocratiquement élu du Sénégal, soit celui qui refuse de livrer au tribunal Hissein Habré, l’ancien dictateur du Tchad, afin que ce dernier réponde à la barre à Bruxelles des multiples crimes dont il est accusé surprend, surtout que le refus de l’ancien avocat sénégalais est fondé, pas sur le respect des droits fondamentaux de l’accusé, mais sur le fait que le cas Habré (photo à gauche)soit ‘un problème africain’.

Hissene Habre

Et voilà le journal burkinabé Le Faso qui met le monde en garde contre la ‘recolonisation judiciaire’ ! Qu’est donc cette africanité qui prime sur le droit ? Les juges africains ont-ils déjà le monopole de la justice ? C’est au bout de cette longue liste de l’abjection et de la volontaire cécité africaine devant l’essentiel de la justice que le procès de Charles Taylor devant le tribunal spécial du Sierra Leone devient historique. En réalité il est historique pour deux raisons : la première est bien sûr, qu’il clôt devant la justice internationale les treize ans de guerre civile qui ont plombé le Liberia, ensanglanté son histoire, déplacé le million de personnes, et rendu orphelins, traumatisé ou démembré des milliers de ses habitants. Enfin dans l’histoire du continent, un ancien président africain comparait-il à la barre dans un procès fondé sur le droit, et il lui est demandé de répondre publiquement de ses actes ! Qui l’aurait cru ?

Cette nouveauté devrait faire même Mengistu Hailé Mariam (photo ci-dessous) qui se repait dans son exil zimbabwéen, dormir avec un seul œil dorénavant. C’est que Taylor, l’ancien président libérien, aura été livré à la justice par le Nigeria qui l’avait accueilli après sa démission en 2003, même si sur la demande de Johnson-Sirleaf, la nouvelle présidente élue du Liberia comme avait exigé Obasanjo.

Le précédent est immense, et s’il était suivi, la terre d’asile africaine ne devrait plus être de repos pour les criminels de masse. Peut-être cela marque-t-il le matin d’une autre époque ? Qui sait ? Le chemin de la justice est rocailleux, mais son lit est toujours aussi simple que le respect des principes élémentaires du droit. Il est des voix, et en premier celle de la défense de Taylor, puis celles de ses partisans, qui auraient souhaité que le procès ne soit pas transféré de Freetown à La Haye, arguant des difficultés qu’auront les témoins à faire leur déposition, des difficultés d’obtention des visas, de l’illégalité des dépositions par vidéo, et de quoi d’autre encore. Il est d’autres qui, plus soupçonneuses encore, voient les anges de Satan hanter les prisons de la CPI et étrangler les accusés en catimini avant le verdict. Ainsi Milosevic n’a-t-il pas été libéré de son sort en silence ? La mort n’a-t-elle pas non plus épargné à un Fodeh Sankoh, le sanguinaire chef de guerre de la Sierra Leone, de purger la peine qu’il aurait reçue ?

Toutes ces voix qui souhaitent longue vie aux tyrans quand ceux-ci sont enfin pris dans les mailles du droit, ont ceci en commun qu’elles demandent simplement s’il sera possible un jour de rendre justice aux victimes des tyrannies africaines, dans quelles conditions et à quel prix. C’est ici que le procès de Taylor pose un deuxième précédent, mais dangereux cette fois dans l’histoire encore très courte des tribunaux internationaux africains : celui de la myopie. Les onze chefs d’accusation auxquels l’ex-président libérien devra répondre à La Haye excluent de facto tous les crimes que jusqu’en 2003, lui et son armée auront perpétrés dans son propre pays, le tribunal spécial devant lequel il comparait n’ayant compétence que pour les crimes commis en Sierra Leone, le pays voisin au sien. Etrange justice qui ferme un œil sur les crimes domestiques d’un homme, mais l’accuse d’avoir brûlé la maison de son voisin ! Le tatillon de la justice internationale à traverser les frontières libériennes en fait ce chien de nos bidonvilles qui ne mord que les passants, et plie la queue sous la bastonnade de son maître. Pourtant l’argument ici est de bon sens, car lorsque Johnson-Sirleaf déclare que le plus important pour son pays aujourd’hui, c’est de tourner la page d’un passé ignoble, comment ne pas en être convaincu quand c’est elle qui le dit ? Comment ne pas la soutenir, elle qui, première femme présidente en Afrique, déjà est tout un événement historique ? Surtout quand on sait que tourner la page au Liberia, ce n’est au fond pas continuer le règne de l’impunité, le pays ayant depuis 2005 constitué une commission vérité et réconciliation pour s’inventer une paix humaine ?

Or en attendant que le tombeur du sergent Samuel Doe, Prince Johnson, guerrier à la retraite, ancien partenaire en crimes de Charles Taylor devenu sénateur, et tous ceux qui comme lui ont drapé leur passé de criminel dans des oripeaux de gentlemen, répondent de leur barbarie, le procès qui commence ce 4 juin sera la plate-forme, si mince soit-elle, où les possibilités de la justice en Afrique seront élaborées. En attendant que soit ouvert un tribunal pénal international à compétence ouest-africaine, étant donné qu’après tout les nazis n’étaient pas seulement jugés pour les crimes commis en Pologne, notre futur se jouera dans ce procès d’un tyran. Le premier.

Patrice Nganang

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