Huissier de justice installé à Brazzaville, Serge Alain Nganga n’en a que faire de l’éthique ou de la morale. On le prendrait pour un expert en falsification de signatures en vue de tromper ses clients. Telle madame Pernelle dans « Le Tartuffe ou l’imposteur » de Molière, la famille Diafouka, qui avait sollicité ses services dans un litige d’héritage, est toute ébaubie, et est tombée des nues en découvrant la magouille de l’huissier.
Nul besoin de rappeler que le Congo-Brazzaville est corrélatif de la cupidité. Élite ou pas élite, tout le monde ou presque s’y livre avec une facilité déconcertante. De fait, l’huissier de justice et commissaire-priseur Serge Alain Nganga, dont le cabinet se trouve au 40 de l’avenue des Trois Martyrs à Moungali, n’a pas hésité une seconde à trafiquer les signatures de ses clients pour les escroquer.
Le 24 juillet dernier, après avoir été gardé à vue, l’huissier-falsificateur s’est engagé dans une lettre manuscrite à « déposer à la gendarmerie la somme de 2.500000 francs CFA au titre d’acompte des frais du séquestre ainsi que du rapport de séquestre » (sic). Mensonge.
Il ne s’agit nullement d’un remboursement des frais et rapport de séquestre – simple invention de sa part comme pour se défausser. La réalité est qu’il a escroqué environ dix millions de francs CFA à ses clients…
Les faits
En 2022, Joseph Diafouka, comptable à la retraite, décède d’une courte maladie. Il laisse derrière lui un patrimoine immobilier considérable, qui suscite d’emblée la convoitise d’une partie de sa famille, alors que le testament est clair : l’ensemble des biens est destiné à sa progéniture, sa famille, elle, ayant eu sa part d’héritage de son vivant. S’engage une guerre entre enfants et famille du défunt. C’est alors que Michel Diafouka, l’aîné des enfants du défunt, recourt à la justice pour mettre fin à ce litige. Les biens convoités sont mis sous séquestre avec l’aide d’un huissier de justice, Serge Alain Nganga. Il appartient désormais à ce dernier d’en assurer les recouvrements pour l’ensemble des biens concernés. Il ouvre un compte bancaire mais, ô surprise, il n’en informe pas ses clients. L’affaire, finalement, se dénoue puisqu’il est décidé en août 2023, lors du conseil des enfants, que 20% des biens laissés par le défunt iront à sa famille. Il est donc temps de lever le séquestre, et d’en confier la gestion à deux des filles Diafouka, mais aussi pour procéder à des travaux de réparation sur certains biens immobiliers. Il est du reste décidé que l’huissier devra, sur les loyers déjà perçus, remettre la part des enfants aux enfants désignés et retiendra celle de la famille…
La magouille
Maître Alain Serge Nganga rédige de lui-même une requête de levée de séquestre ; un courrier qu’il adresse à l’ensemble des enfants Diafouka pour y apposer des signatures. Seulement voilà : une fois les signatures acquises, l’huissier de justice louvoie, atermoie, voire esquive. Ou plutôt il trouve des astuces pour le moins grotesques pour retarder l’échéance. Jean Montaldo dans « Mitterrand et les quarante voleurs » n’écrit-il pas : « À l’enterrement des affaires, le temps qui passe est le meilleur allié… des corrompus » ? Il oublie, hélas, la détermination de la famille pour la levée du séquestre. Pressé, il finit par introduire auprès du tribunal de Makélékélé-Bacongo une requête de levée de séquestre, laquelle requête, ô bizarrerie, change de physionomie : dans cette dernière, les signatures ne sont plus authentiques. Le jour de l’audience, une des filles Diafouka s’étonne devant le juge de ce que la signature sur la requête n’est pas la sienne. Elle découvre médusée que sa signature a été trafiquée, ainsi que celle de sa sœur aînée absente du pays au moment où l’huissier avait envoyé à l’ensemble des enfants sa requête. L’huissier Alain Serge Nganga a donc rédigé une nouvelle requête en imitant les signatures des enfants Diafouka. Stupéfaite, le juge rappelle à l’huissier les peines qu’il encourt à la suite de sa magouille, mais préfère le dessaisir sur le coup, avant de proposer à la fille Diafouka un huissier commis d’office, en l’occurrence Maître Parfait Sandoku.
« C’est une pratique courante, l’huissier peut signer à la place de son client », se justifie Serge Alain Nganga auprès de notre rédaction. Dans l’absolu, c’est vrai. Sauf qu’il aurait dû apposer sa propre signature en signifiant qu’il avait reçu mandat de ses clients. Au lieu de cela, il s’est complaint dans l’imitation des signatures de deux des enfants Diafouka, sans scrupules, et pour une raison que lui seul sait. La raison ? Elle ne peut procéder que de la cupidité. Laquelle cupidité éclipse la morale et l’éthique. Aux questions qui lui ont été adressées par écrit et oralement, il a botté en touche, avant de bloquer son téléphone. Ses réponses ont été confuses, un élève de CM2 aurait mieux fait.
La plainte
Persuadés de la magouille de l’huissier de justice, du moins de l’abus de confiance, les enfants Diafouka portent plainte en juillet 2024. Serge Alain Nganga se retrouve entre les mains de la gendarmerie. Coincé, il tente vainement de s’expliquer sur l’extorsion des fonds. Il établit à la va-vite un tableau récapitulatif des recouvrements de loyers – ce qu’il n’avait pas pu faire en deux ans – en amputant (volontairement) les mois de mars, avril et mai 2023. Son tableau récapitulatif du 22 juillet 2024 mentionne les sommes de 6201000 francs CFA au titre de l’année 2022 et 3165000 pour 2023, soit 9201000. Plus bas, il écrit : « Pourcentage cabinet : 1380150 Francs CFA ; dette enfants Mabonzo : 1645000 FCFA ; disponible : 6175850 FCFA. Dans son récapitulatif, le total encaissé s’élève à 10653500 FCFA. Seulement voilà, il y invente les dépenses que les enfants Diafouka ne reconnaissent pas : honoraires de résultat : 1598025 FCFA ; honoraires de diligence : 1250000 ; dettes enfants : 2100000 FCFA. Pas plus que la famille Diafouka ne reconnaît la dette de l’avocat, puisqu’ils n’en avaient pas eu recours. Des dettes fictives, en somme ! (Procès-verbal d’inventaire des biens immobiliers : 300000 FCFA ; Maître Bavoueza : 975000 FCFA ; courrier avocat : 50000 FCFA ; Requête levée séquestre : 750000 FCFA). Questions : rédiger un courrier à l’avocat et introduire une requête de levée de séquestre nécessitent-ils autant d’honoraires ? Dans aucun pays au monde, les frais de requêtent n’atteignent une somme aussi faramineuse. « Jamais entendu parler d’un montant pareil », s’étrangle un huissier de Brazzaville interrogé à ce sujet.
Serge Alain Nganga n’apporte aucun justificatif des dépenses qu’il mentionne. Falsification, abus de confiance : l’infraction intentionnelle est bien là !
Bedel B.