Le nouveau livre de Noël Kodia Ramata

« Dictionnaire des œuvres littéraires Congolaises » (*) : titre du nouvel ouvrage de l’écrivain Noel Kodia Ramata (NKR) apporte un nouvel éclairage dans la compréhension du paysage littéraire congolais peuplé d’une pléiade d’écrivains connus et ignorés.

Dans cet ouvrage panoramique, l’auteur exhume les œuvres des écrivains disparus dont les personnages encore vivant dans la mémoire collective continuent de nous parler, de nous accompagner, de nous guider.
Le procédé méthodologique, historique, montre d’abord l’itinéraire suivi par la littérature Congolaise. Puis, l’auteur s’équipant d’une méthode d’analyse structuraliste fait une présentation du Congo suivie d’une série de repères chronologiques, annexes et index des écrivains. Il insère bio-bibliographie des auteurs, établit les morceaux choisis des dix premiers grands romanciers et nouvellistes et introduit quelques articles publiés dans divers magazines. La totalité forme un système dans lequel fonctionne une remarquable intertextualité, notamment chez Alain Mabanckou, le maître des clins d’oeil faits aux collègues et aux artistes musiciens.

Mine d’or

Ce faisant, Noël Kodia Ramata fait un voyage dans le temps en montrant l’historicité du phénomène littéraire Congolais dans sa globalité. Dans cette relecture et odyssée intérieure de la littérature congolaise, l’auteur nous fait découvrir des véritables chefs d’œuvres de notre patrimoine enfoui dans les méandres de l’oubli et nous fait plonger dans les eaux profondes où demeurent les magnifiques livres des anciens qui ont donné à la littérature congolaise ses lettres de noblesse. A ce sujet le Préfacier Jacques Chevrier parle de « gisement » auquel Noel Kodia nous convie dans son Dictionnaire des auteurs et des œuvres Congolais dont la production s’échelonne de 1954 à 2005 (p.9). Avec cette extraordinaire fouille romanesque, NKR extrait en effet de notre terreau fertile les mines d’or d’une culture infinie, éternelle dont regorgent encore des livres oubliés et des mystérieuses œuvres anonymes.

Perspectives évolutionnistes

Du père fondateur Jean Malonga à Tati Loutard en passant par Sony Labou Tansi et d’autres, l’écriture congolaise s’est aiguisée puis s’est développée au fil des âges et des apparitions de romans, des récits, des nouvelles qui relatent notre monde et tous les visages qui le composent, toutes les peines qui les assaillent et les joies qui les habitent. « Les romans et récits congolais sont en général le reflet de la société dans laquelle ont évolué ou évoluent leurs auteurs » (p.19). Ils racontent aussi nos us et coutumes et transmettent la culture à d’autres peuples du monde dans un langage parfois « décalé » dérivé de notre monde coloré. Dans «  l’écriture se remarquent la congolisation de certains mots français et l’utilisation ou la francisation de quelques expressions et mots du vocabulaire du terroir » (p.45). Une écriture façonnée, ciselée par les mots et les images issus de l’intériorité du créateur lui-même dans sa folie singulière qui bouleverse les normes littéraires existantes. A ce propos NKR souligne fort justement que :« En bouleversant la technique traditionnelle soutenue jusque-là par la majorité des prosateurs congolais, Sony Labou Tansi, Henri Lopez et Tchicaya U Tam’SI peuvent être considérés comme les nouveaux romanciers de notre pays. » (p.20).

De plus, cette singulière écriture s’articule comme un « produit culturel » de l’âme et de l’esprit... Le tout baigné dans un univers alambiqué, symbolique et métaphorique qui domine la création littéraire et artistique. Une invention qui frôle à la fois la dérision, l’illusion, la critique, la morale, le surnaturel… et la foi noyée dans la raison qui déborde. Cette totalité s’inscrit dans une philosophie romanesque à la croisée des chemins lyriques propres aux africains et des sentiers ou courants littéraires venus d’ailleurs. Un enrichissant mélange, national et universel, habite incessant les talentueux et incontournables romanciers et nouvellistes congolais d’hier et d’aujourd’hui vivant à l’étranger.

Tous les auteurs du temps écoulé et d’aujourd’hui se retrouvent au carrefour des faits socio-politiques et se séparent dans la conception de la vie, de la mort, de l’amour, de la beauté, de la maladie... Ces thèmes majeurs que les prosateurs congolais aux styles multiples ont développés durant une cinquantaine d’année lèguent au monde leurs œuvres singulières.

Echantillon d’écrivains

A cet effet, voici une bibliographie non exhaustive : « Afin que te souviennes » d’Emilie Flore Faignond (p.56) ; « Au-delà des mots » de Gaspard Kindemba (p.73) ; « Au plus près de Brazza » de Michel Odika (p.74) ; « Calvaire d’Elise » de Valette Bizol’ Ntim (p.99) ; «  chemins croisés » d’Aphonse Nkouka (p.113) ; « Chômeur de Brazzaville » de Pierre Biniakounou (p.118) ; « Cœur en exil de Jeannette » Balou Tchitchelle (122) ; « Le Pacte des Contes » Philippe Makita (p.317) ; « La piste des gorilles » Azaad Manté (p.330) ; « Saison des criquets » Ferdinand Kibinza (p.349) ; « Le Triomphe de Magalie » Calissa Ikama (p. 390) ; « La Vache laitière Miroir du sous développement » Noëlle Bizi Bazouma(p.393) ; … »

Avec ce dictionnaire NKR présente un manuel didactique qui sert de base et de référence aux chercheurs, aux enseignants, aux élèves, aux étudiants et, finalement , à celles et ceux qui aiment lire. Il s’agit de bréviaire littéraire, de vade-mecum où les lecteurs découvriront à chaque page une lettre correspondante à un titre de roman d’un écrivain , ce qui l’amènera dans son propre univers imaginé.

Enfin, ce dictionnaire est une occasion pour immortaliser les grandes figures de notre littérature qui nous ont quittés (p.26).

L’avant-garde

A travers ce gigantesque travail de recherche minutieux et d’orfèvre, NKR donne l’image de sa personne généreuse, transmet, à foison, la moisson d’une littérature congolaise d’avant-garde et bâtisseuse. Une fécondité des œuvres monumentales qui a donné au monde les flammes lumineuses issues d’une ribambelle d’écrivains chevronnés et bouleversants. A l’image de Guy Menga, d’Henry Lopez, Emmanuel Bounzéki Dongala, de Jean Baptiste Tati Loutard, de Sony Labou Tansi , Daniel Biyaoula et d’Alain Mabanckou, ces grandes figures emblématiques de notre chère littérature incandescente qui ont su hisser le drapeau congolais au firmament de l’histoire de la littérature mondiale et qui ont par ce fait décrocher des prix littéraires prestigieux pour donner à l’écriture Africaine francophone, l’image coruscante que l’on attend d’elle.
Cette consécration manifeste est née à l’aube des années 60. L’auteur précise : « les prosateurs congolais se sont surtout fait remarquer à partir de 1969. Des nombreux prix leur seront octroyés… » (p.23).

En somme, c’est une littérature originelle construite autour de la « phratrie » congolaise dans l’inspiration et la création communes. Une philosophie du groupe, à l’image de nos valeurs pérennes, qui a su élever l’écriture congolaise et modeler ses œuvres en lui donnant une dimension fraternelle et universelle.

Il apparait amplement que la prose narrative congolaise de l’époque 1954 à 2005 considérée comme le premier âge d’or, reste la meilleure incontestablement dans le mélange et le foisonnement, dans la fécondité et la diversité des ses auteurs talentueux et fort reconnus par leurs styles épatants. A ce sujet, on peut affirmer avec Alain Rouch et Gérard Clavreuil, lorsqu’ils jugent de manière laudative la littérature congolaise abondante, que : « la littérature congolaise compte actuellement parmi les meilleures, les plus prolifiques et les homogènes d’Afrique noire » et plus encore avec Roger Chemain lorsqu’il précise que le Congo « compte le plus fort pourcentage d’écrivains par rapport à l’ensemble de la population » (p.18).

Yves Mâkodia Mantséka

http://blog.ifrance.com/yvesnkodia

(*) Dictionnaire des œuvres littéraires Congolaises, Edition Paari, Brazzaville, Nzanga-Mvimba, Paris, Mail : edpaari@yahoo.fr, avril 2010, 528p. Prix : 30 euros

Notez que Noël Kodia Ramata est romancier, poète, essayiste et critique littéraire.
Du même auteur :

Les Conjurés du 17 juin 1961 : La voix de Lumumba Editions Héros dans l’Ombre, (s.d) Brazzaville(théâtre)

Les Enfants de la guerre. Eteindre le feu par le feu ? Editions Menaibuc, Paris, 2005 (roman)

Mer et écriture chez Tati Loutard : de la poésie à la prose Editions Connaissances et Savoirs, Paris, 2006 (étude critique)
Fragment d’une douleur au cœur de Brazzaville éditions L’Harmattan, Paris décembre 2009, 46p