En rapport avec un thème sous très haute tension, la tribalité, l’économiste Cicéron Massamba, membre du Congrès du Peuple, pose le problème ci-apès : L’Economie déterminant essentiel du bien-être social et moyen de gommer des aspérités communautaires ?
On peut définir la tribalité comme un sentiment, un état d’être qui se fonde sur des valeurs affiliées à sa tribu, ou en référence à celle-ci, tout comme, on parlera d’homosexualité ou même de la chrétienté ,la judaïté etc. …
Dans une version élargie des choses : la tribalité renvoie donc à un fonctionnement, à une organisation sociale qui se réfère aux valeurs de la tribu. Mais si la tribalité est une manière, de se considérer, de considérer les choses en rapport à une échelle de valeurs qu’est la tribu, elle envoie systématiquement à une forme de communautarisme. Elle sous-entend une préférence, une vision qui accorde une prééminence à la tribu.
Elle est pour ainsi dire une sectorisation de la société. L’organisation sociale s’opère ainsi par une segmentation de la population fondée sur les seuls intérêts des groupes suivant une filiation linguistique et culturelle. De cette configuration, l’individu n’existe que par rapport à son appartenance tribale. Il n’est perçu qu’à travers ce prisme ethnique et n’est valorisé que du point de celle-ci, loin de toutes valeurs intrinsèques ou de sociabilité.
De facto, le groupe prend de l’ascendant, une importance grandissante éclipsant la personne du citoyen et la souveraineté nationale se délite au profit des micros structures .Car la notion de communauté est une auto- valorisation, une surestimation et donc un repli sur soi.
Les phénomènes communautaires ne sont point caractéristiques au continent africain. Ils sont l’apanage des humains. Les sciences humaines ont montré que l’homme est naturellement enclin à choisir son partenaire à l’intérieur du groupe social auquel il appartient. C’est le phénomène dit d’ « endogamie ». Un phénomène qui tend à se développer en période de grave crise sociale. Ainsi le tribalisme et / ou communautarisme préexiste dans le monde, et tend à se généraliser sauf qu’il emprunte en Afrique des accents très marqués et des formes d’expressions anachroniques. La résurgence des nationalismes basque et autres et la multiplication de revendications communautaires tibétaines notamment sont des démarches s’effectuant dans le cadre d’une réappropriation identitaire.
Il faut dire qu’avec la colonisation, des nouvelles formes d’organisation étatiques ont vu le jour du fait de chocs de culture. Ces formes d’organisation, aussitôt assimilés à l’Etat moderne, résultaient d’une forte centralisation laquelle visait à cultiver l’ idéal de rassemblement inspiré du modèle jacobin .Toutefois ,il est un fait objectivement relevé par les historiens que ce modèle colonial s’est appuyé sur divisions ethniques afin de s’implanter et pérenniser son règne et sinon son existence . La balkanisation et donc le morcellement du continent s’est fait à l’envers des évolutions de ce que furent les blocs culturels. Ce partage aux mains des grandes puissances dominantes ne s’était ainsi guère effectués dans le sillage des formations culturellement homogènes (royautés ni empires) mais à contre courant des évolutions historiques ou stratifications sociales autrement dit en marge des groupements ethniquement homogènes. C’est ce que confirment les études anthropologiques. En effet, ces évolutions se sont effectuées plutôt d’Est en Ouest alors que la cartographie coloniale s’est opérée dans le sens nord –sud, en rupture avec l’ordre naturel des évolutions humaines. Les Etats naissants n’étaient que des ensembles difformes, des conglomérats, des juxtapositions des tribus. Ils apparaissaient comme le produit d’un melting- pot, d’un mélange de tribus, souvent rivales ; vivant, certes, en osmose quelquefois mais bien souvent en proie plutôt à des différents.
En traçant ainsi des frontières qui ne répondaient pas à la logique des évolutions sociologiques et géographiques, on parvenait à une superposition des gens et des peuples. Il est donc aisé de voir que cette configuration allait inévitablement devenir problématique dans l’évolution future de cet environnement, tout au moins dans sa phase post –coloniale.
Or, il faut noter que l’Etat est le symbole de la structure physique et des institutions de gouvernance alors que la nation est quelque chose de beaucoup moins tangible. L’Etat ainsi artificiellement crée, ne répondait pas aux aspirations de la nation, dont le trait de caractère dominant est la volonté d’appartenance à un même destin.
Il faut, au demeurant, relever que parmi les Etats européens, seuls quelques uns ont adopté, au cours de l’histoire, ce « modèle » français de superpositions forcées de peuple.
De facto, la construction de la conscience nationale devenait essentielle .Il devenait le chemin obligé afin de ne pas voir générer des revendications autonomes, disparates. La construction de l’Etat-nation nécessitait ainsi de transcender ces consciences minoritaires afin de permettre l’établissement d’une conscience collective. Pour autant, l’Etat post colonial a été loin d’affermir le sentiment national naissant et participer à sa consolidation, Bien, au contraire, elle va aider à sa dilution, à la mise à mal de cette même conscience. Ce qui rendait possible les gens de se croiser sans jamais se connaître, et être tout de même liés les uns aux autres ; ce processus d’inclusion se muait en exclusions .A charge, l’attention trop portée sur les problèmes politiques. L’attention fut moins focalisée sur les problèmes existentiels .Les batailles furent centrées essentiellement et portées sur des luttes pour la conquête et la conservation du pouvoir par la classe politique. Une élite dirigeante, qui, depuis les indépendances s’est voulue plus soucieuse de l’accaparement politique que d’une volonté réelle de satisfaction des besoins des populations.
L’Etat devenait, au cœur des batailles politiques, l’instrument, tour à tour, aux mains des minorités lesquelles cherchent à pérenniser leur existence politique, à étendre l’hégémonie. Seule préoccupée à demeurer au pouvoir, bien souvent, par la violence, l’élite contribua à anéantir la personnalité morale qui se constituait à travers les âges grâce au travail et à la solidarité de générations. l’Etat néocolonial réussissait à recréer le complexe du bon et vieux maitre colonisateur : le féodalisme fort dénoncé.. Selon leur penchant dominant : avares, sanguinaires ou despotes, les nouveaux princes usaient de l’Etat comme leur héritage.
Or dès lors que, ceux-ci ont adopté une telle attitude, se reformaient les chaines de la servitude .Au colonialisme exogène se substituait un colonialisme endogène. Générant une haine de l’Etat et ses institutions représentatives, l’antagonisme crispe les différentes factions. L’Etat-nation tend alors à s’assimiler à la tribu, celle du prince et développe avec lui un réseau de clientélisme politique.
Or c’est par la capacité de ces dirigeants à apporter des solutions aux problèmes économiques et d’existence des populations qu’aurait pu dépendre la cohésion sociale. Et faute d’y être parvenu, on voit resurgir le régionalisme dans sa forme primaire et la manipulation tribale utilisée comme paravent pour contrer des revendications sociales.
En l’absence des réponses économiques appropriées et en éludant les attentes et besoins des citoyens, on a cristallisé des frustrations des ilots de mécontentements et recréer « l’apartheid » .
Autrement la crise sociale accélère la segmentation de la société, sa polarisation et apporte aux politiciens, les moyens de récupérer les éléments fragiles de celle-ci afin de mieux les soumettre à des destins funestes.
La crise politique et donc sociale que traverse le Congo est d’abord une crise Culturelle avec un sous-bassement fondamentalement économique. Elle est le reflet d’un état d’esprit, de la volonté délibérée des gouvernements de se soustraire de leur responsabilité et de la culture du résultat qu’exige tout régime politique transparent.
Les Populations africaines risquent longtemps le sous développement, avec la prééminence d’une contre- culture, cette mentalité primitive d’accaparement des institutions et biens publics, ce refus d’accéder aux méthodes et règles modernes de gestion de la cité. Il est vrai que les conflits ethniques peuvent renvoyer à des facteurs purement politiques ou culturels comme c’est le cas au Rwanda mais les aspects économiques demeurent fondamentaux et essentiels pour éclipser, sinon atténuer ces périls.
La mort de l’Etat –providence et les crises qu’induit la mal gouvernance continuent d’être au cœur des enjeux qui tiraillent les pays africains dont notamment le Congo-Brazzaville. Car, rien n’a été fait pour favoriser l’émergence d’une nouvelle vision de soi et du monde extérieur. Cet aveuglement se traduit par des comportements contre-productifs, source de toutes misères .En refusant la cohérence, la transparence et donc la rigueur, on a tourné le dos à l’affirmation d’une Afrique sortie des ornières de la pauvreté. L’échec est patent. Il pousse les politiques, démissionnaires de leurs responsabilités, à actionner le levier de la tribu pour mieux se protéger .C ‘est dire que la lutte contre la pauvreté devra constituer des antidotes aux aspirations régionalistes.
L’élite politique ne s’est pas dotée d’une conscience portée sur des efforts économiques placés sous le signe de la socialisation, d’où le délabrement d’une cohésion sociale balbutiante et la déperdition de l’Etat-nation. S’il est vrai que les divisions ethniques trouvent leurs racines dans l’histoire comme c’est le cas dans bien d’autres populations notamment européennes, toutefois l’empreinte d’un progrès économique et social avéré aurait pu gommer ces aspérités. Car, les changements qu’impulsent les progrès économiques induisent des rapports de type nouveau à l’intérieur de la communauté nationale en y développant des relations transversales. En effet, aux luttes tribales et communautaires se substituent des luttes socioprofessionnelles et catégorielles ou luttes de classes redéfinissant ainsi le cadre de ces mêmes luttes qui rejoignent des luttes alors classiques.
Qu’il soit bien entendu que nous ne prétendons pas substituer ou ramener la question de la tribalité ou tribalisme à la seule dimension économique. Mais, il s’agit beaucoup plus modestement à l’occasion de cette prise de conscience sur un mal qui mine l’Afrique entière et le Congo plus particulièrement que d’introduire dans le débat, la question économique.
Sans vouloir tout ramener à la question économique au risque de céder à l’économisme, force est de dire avec véhémence que les progrès économiques concourent à la stabilisation du pays et à sa cohésion. A contrario, la non satisfaction des besoins primaires des populations crée les conditions permissives d’un retour du sentiment communautariste. Dans les pays où la subversion politique est la plus forte et où les bases sociales sont fragiles, la démocratie ne survit pas. Une réflexion en amont sur un programme économique et une prise en compte de la manière dont on entend de résoudre les problèmes qui se posent au pays sont des préalables dans l’avènement d’une vraie démocratie au Congo. Elle en appelle à la responsabilité historique de toutes les consciences, mieux encore des jeunes et futures générations.
Le propre des démocraties, c’est leur fragilité lorsqu’elles ne parviennent pas à résoudre les problèmes économiques .Les dictatures se mettent en embuscade pour revenir au galop. On peut légitimement noter que la crise économique et sociale qui frappa l’Europe des années 30 contribua à la radicalisation des idéologies.
En conclusion, le Congo doit intégrer sa diversité. Il doit reconnaître son héritage et se défaire des notions fallacieuses de tribalisme en exorcisant les maux qui piègent son corps social. Ces maux s’appellent misère. Dans une économie planétaire, aux problèmes économiques traditionnels de base, s’ajoutent les effets de la mondialisation dont les conséquences effrénées déstabilisent les économies et les pays, déchirant le tissu social et par conséquent exige la participation de tous, c’est le sens de notre message, le message du CONGRES DU PEUPLE à la communauté internationale en date du 13fevrier 2010,faisant sienne les préoccupations et doléances de nombreuses forces politiques et civiles du pays que de voir s’accomplir un geste politiquement et symboliquement fort que celui d’une participation de tous à l’effort de reconstruction nationale. Ce message avait été initialement publié lors de notre Appel à la nation du 5 janvier 2010.
Si le PPTE est révélateur des faiblesses et échecs du Congo, il permet à la nation de s’accorder une seconde chance à condition qu’y soient associées toutes les intelligences, toutes les filles et fils et que l’effort de reconstruction nationale s’accompagne et s’appui sur toutes les bonnes volontés sans exclusive aucune. C’est le sens d’un vrai gouvernement d’union nationale appelé de tous les vœux, et en l’absence de toute parodie.
Face aux dangers qui guettent le pays et qui le fragiliserait davantage, rien ne sert de s’arcbouter sur ses positions tant les méthodes traditionnelles ne marchent pas. Le mode de fonctionnement politique basée sur la cooptation à la fois tribale et/ou clientéliste cause du tort autant qu’il alourdit un passif déjà douloureux. Le gouvernement ne peut pratiquer la politique de l’autruche, en plantant la tête dans le sable et attendre que ça se passe. Ce qui serait de l’irresponsabilité totale et humainement inacceptable.
C’est pourquoi du haut de cette tribune, de cette auguste Assemblée symbole de la reconnaissance et de l’universalité des droits de l’homme, prenons à appui sur la communauté internationale pour qu’elle intercède favorablement et aide le Congo à accomplir le vœu de la réconciliation nationale et l’aide à retrouver la voie de son unité.
Le dialogue s’est accompli partout dans le monde dans les moments cruciaux de l’existence des hommes. Pourquoi ne ferions-nous pas autant ? Des exemples sont légion dans le monde aujourd’hui ; notamment avec le président Karzai en Afghanistan ou hier encore avec la côte d’ivoire avec Marcoussis, le président Diouf et Wade pour le Sénégal, le Kenya , le Zimbabwe pour ne citer que ces exemples. Pourquoi la communauté internationale ne s’impliquerait elle pas autant pour le Congo-Brazzaville !
La main tendue de la communauté internationale est, en tous les cas, plus qu’attendue tant le Congo ne peut faire autrement que se réconcilier avec lui-même s’il veut retrouver le chemin de la prospérité et rejoindre le rang des grandes nations. A l’orée du cinquantenaire, on se doit rappeler le geste de nos deux grands hommes que furent Youlou ET Opangault ; geste qui montra la fierté et la grandeur de ce même Congo. Il n’y a de richesses que d’hommes pour penser que le Congo puisse trouver les ressorts de sa résurrection.
*Par Cicéron MASSAMBA, membre éminent du CONGRES DU PEUPLE et docteur en économie.