Par Simon MAVOULA -
La rue de Panama à Paris est une artère située dans le réseau des commerces africains de Château Rouge. C’est un peu Brazza sur Seine et sur scène puisqu’on y retrouve un important échantillon de Congolais typiques et a-typiques. On y parle lari. De cette grammaire socio urbaine est né un concept qui fait actuellement fureur : "la sapologie". Certains disent « sapéologie ». Le concept ne s’est pas encore affiné. Sa genèse est revendiquée par un certain Ben Moukasha qui, comme Moïse, a établi les dix commandements que doit observer tout sapéologue. Entre autres commandements de ce décapode il y a le très radical : « Tu materas le ngaya au ciel comme sur terre. »
« Justement, « ngaya », voilà le mot qui fâche » lâche Alluré Miéla le producteur d’un célèbre DVD qui systématise le concept de sapologie. Le DVD est gentiment intitulé « La guerre de la sape ». Sans doute pour cravater l’idée que toute guerre est militaire.
Alluré Miéla vient de faire son entrée dans la boutique de mode « Connivence » ce lundi 7 décembre 2009. Il est à peu près 18 h. Le producteur de "La guerre de la sape" est accompagné de trois à quatre guerriers (entendez sapeurs ).
J’en profite pour lui poser des questions à brûle-pourpoint, notamment sur sa méthode de travail.
MOI - "Comment as-tu fait pour faire figurer dans le même documentaire des sapeurs qui se font des répliques à des fêtes différentes. Montres-tu les images polémiques à chaque protagoniste avant de les monter ?"
LUI - "Pas du tout. J’incite le débat en orientant la polémique en sachant qu’à une fête donnée, un protagoniste avait déjà lancé la provocation. La riposte ne se fait pas attendre. Ensuite monter les images de la provocation et de la riposte devient un jeu d’enfant."
En fait c’est de la manipulation idéologique. Alluré Miela en est venu à la production sapéologique suite à la controverse sur le leadership de la sape revendiqué à la fois par les Brazzavillois et les Kinois ; une vraie querelle byzantine où chaque communauté nationale essaie de tirer son épingle du jeu.
« Je connais Papa Wemba et King Kester Eménéya depuis les années 80. Wemba étant souvent cité comme tête de liste de la sapologie par ses pairs kinois, je lui ai demandé de trancher. Venant de lui, la vérité serait indiscutable. Sans hésiter un seul instant, Wemba a énoncé son verdict : la sape est congo-brazzavilloise » explique Alluré Miéla.
Espiègle, dans le DVD Wemba ajoutera : "si j’étais Congolais de la rive droite, je ne sais pas à quelle entité géographique j’aurai préféré appartenir : le nord ou le sud ? Mais je crois que j’aurai choisi d’être de Pointe-Noire ". Une vraie réponse de jésuite.
La sape est Congo-brazzavilloise mais elle a ses variantes à Kinshasa. C’est la thèse défendue dans « La guerre de la sape ». J’ai filmé des fêtes à raison de 200 euros par tournage. Le montage du DVD m’a pris une année.
Pendant qu’on tient cet échange chez "Connivences", la clientèle circule. Des extraits d’archives des ALLURES passent sur un écran télé. Un sapeur répondant au nom de Dada Pourret brocarde ses compères, réhabilite en ironisant les chauves et les nabots dans la sape. Tout le monde, dit-il, a sa place dans le champ multiforme de la sape. Le propos est violent.
« A bien voir, c’est de l’art théâtral consommé » remarque un client désabusé par l’agressivité verbale comme mode de communication des sapéologues.
Pourquoi ne taillez-vous pas un costume aux hommes du pouvoir ? demandé-je.
Unanimes, toutes les personnes autour de moi rétorquent : la sape n’a rien à voir avec la politique. « Les sapeurs ce sont les sapeurs, les hommes politiques ce sont les hommes politiques » postule le groupe avec une remarquable tautologie.
Pour ne pas passer pour un provocateur, je mets de l’eau dans mon vin en confirmant un propos que tout le monde sait au fond de lui ne pas être vrai mais que, par précaution oratoire, on préfère soutenir en public. Le regard de ceux qui soutiennent la thèse de la rupture entre politique et sape est malicieux.
"Sape et politique sont de connivence ?" : ce n’est pas nous, c’est vous qui le dites.
On ne le dit pas, mais on n’en pense pas moins : la sapologie est une métaphore détournée de la contestation politique. A quoi bon le dire en public puisque cela va sans dire même si c’est mieux de le dire quand même.
MUSEE DAPPER
« Par exemple, rue Paul Valérie, dans le XVIe, au Musée Dapper , se tient en ce moment une exposition ; on y parle sapologie. Fais-y un tour » me dit un sapeur.
Patrick, le gérant de Connivences, me tends un fly : « nous avons ouvert une deuxième boutique dans le XVIIIème,22 rue Caulaincourt. »
Jocelin Le Bachelor, patron des établissements « Connivences » est non seulement un modèle de l’intégration économique mais aussi une illustration du dynamisme congolais signalé par Georges Balandier dans « Sociologie des Brazzavilles noires ». Il incarne aussi l’aboutissement de la trajectoire observée par Jean-Justin Gandoulou dans la monographie « Entre Paris et Bacongo »
L’éthique capitaliste est intériorisée par les congolais, malheusement le cadre politique ne leur est pas favorable. Il n’existe, a priori , aucun lien entre sape vestimentaire et sape de l’économie, entre sapéologie congolaise et politologie congolaise. On veut bien le croire. On m’a suggéré d’aller voir rue Paul Valérie où se trouve un musée. J’irais plus loin. Rue Paul Valérie c’est l’Ambassade du Congo. Le Consulat du Congo est un endroit pittoresque. Ce sera, prochainement, le second volet des « Scènes de vie parisienne ». J’y croquerai le type congolais comme Balzac, dans ses scènes de vie parisienne, se délecte de la comédie politique que se jouent les parisiens.