« nous, nous préférons les musulmans… » Par Mayombe 82

La conversation se déroule dans un bus, pas loin de la Suisse. A, 60 ans environ discute avec sa jeune voisine, A’, 32 ans. Ils se mettent à discuter religion et A est étonné d’apprendre que A’ n’est pas musulmane, comme son prénom pourrait l’indiquer, comme son nom de famille le laisserait supposer, comme ses origines maghrébines le feraient croire. A’ est chrétienne. Oui, elle croit en Jésus*-Christ, convaincue qu’il est le chemin, la vie, la vérité. A est juif. Pratiquant avec tout ce que cela peut supposer. Ils travaillent dans la même société, et il ne cesse de la marteler de questions :
 Mais pourquoi es-tu devenue chrétienne ? Pourquoi ? Ne cesse-t-il de demander.
A’ de lui expliquer le pourquoi du comment qui l’a amenée, elle, la pieuse musulmane, pratiquante, à délaisser le coran pour la bible, se mettant à dos une petite fraction de sa famille (Dieu merci pour elle, elle n’est pas la seule à s’être apostasiée.
 Tu sais, dit A, nous, nous préférons les musulmans aux chrétiens.
 Ah bon ? fait A’.
 Oui.
Et A d’expliquer pourquoi, à son avis, les juifs (religieux) préfèrent les musulmans (pas forcément arabes). Ceci peut paraître étonnant aux yeux de ceux et celles qui pensent que juifs et arabes sont comme chiens et chats, faits pour ne jamais s’entendre et surtout qu’ils n’auraient rien en commun, alors que pour l’Homme averti, ils ont bien au contraire toutes les raisons du monde pour se serrer les coudes, fils qu’ils sont d’Abraham (d’après les 3 livres dits saints) et mieux, des chercheurs ont prouvé années après années qu’ils sont bel et bien frères (ou cousins) avec des patrimoines génétiques plus que semblables.
A a bien insisté auprès de la A’ que le fait que les chrétiens « considèrent les juifs comme le peuple déicide » est quelque chose d’inacceptable, qui constitue un casus belli.
Lorsqu’il faut parler des coutumes & us communs entre les séfarades et les musulmans, on comprend mieux les propos de A. et il a ajouté un point très important « malgré les guerres en Palestine, ça n’a rien à voir avec l’Holocauste, causé par des Européens, et non des Arabes ! »
Je les avais écoutés… religieusement. Débat très intéressant. On était dans la même boîte, mais j’avoue que je ne me suis jamais intéressé à la foi de mes semblables, même dans mes quartiers à M’foa. Cet échange entre ce vieil homme et cette jeune femme m’a ramené dans mon Congo natal. Ou mieux, dans mon Afrique natale, en pensant à tous les compatriotes africains que je connais et particulièrement à ceux qui mettent l’ethnie, la tribu avant le pays, avant le continent. Qu’ils soient congolais, gabonais, RDCiens, ivoiriens, combien n’ai-je pas entendu, lorsqu’ils ne connaissaient pas mon ethnie (cas des Congolais) me dire tout le mal qu’ils pensaient des ressortissants de telle ou telle région ? de telle tribu (sans même savoir exactement ce que ce terme recouvre) ? Balayant d’un revers de la main les souffrances communes, les tracas quotidiens. “ Soki nkoyi a koti na mboka, a ko yeba te nani azali mongala to mokongo Frankiln Boukaka l’a dit il y a plus de 35 ans, mais visiblement, nous n’avons pas retenu la leçon. Les Congolais continuent de baigner dans un tribalisme nauséeux qui n’offre aucune perspective d’évolution positive pour le pays, pour la sous-région, bref pour notre alma mater, l’Afrique. Internet est à ce propos l’endroit qui inspire le mieux ces tribalistes de tous poils qui n’ont pas la possibilité de crier leur haine de l’autre en face, que ce soit à Paris, M’foa ou Pointe-Noire. On se cache derrière nos masques pour déverser au maximum notre fiel vis-à-vis de nos pauvres compatriotes accusés de tous les pêchés… d’Israël.

Jusques à quand ? Pour quel résultat ?

J’ai été effaré d’entendre une grande sœur (une vraie sang-mêlée, tant on retrouve des tribus dans son sang) me dire dernièrement : « Biso na bango to yokanaka te ! » J’étais pantois. Pour résumer, cette sœur est, on va dire, sundi à 12,5% (c’est la génétique qui parle) et on discutait de sujets et d’autres, jusqu’à ce que ça tombe sur une tribu très voisine de ses « 12,5% ». J’ai même pensé un très court instant à ce monstre appelé Su-Ka-Do (une honte) crée sous Lissouba par des frutrés qui estimaient qu’un certain axe n’était pas assez bien servi lors du partage du gâteau présidentiel. Pourtant, cette soeur ne fait pas de politique et ne vote quasiment jamais et on ne peut pas dire qu’elle ait été animée par des considérations politiques en me lançant ce pavé au visage. Lorsque je lui demandais un peu plus de détails, elle est entrée dans les lieux communs habituels et je me demandais jusqu’à quel point elle était convaincue de ce qu’elle me débitait. Quand on voit l’état de déliquescence du pays, c’est inquiétant de vivre ce genre de choses. Ce sont des luxes dont les pays développés peuvent se foutre, mais le petit Congo avec ses même pas 3.000.000 d’âmes…
A part des reproches que des citoyens lambda peuvent faire à nos dirigeants politiques, je ne vois pas de raisons fondamentales qui poussent Songolo à vouer une haine inextinguible à une ethnie entière, voire à toute une région. Comment mettre dans le même panier tout une groupe d’individus (souvent des milliers voire des millions, cas d’un pays comme le Nigéria) dans le même panier, alors que l’individu est unique ? Et quand c’est un Caucasien qui s’en prend à tort ou à raison à l’un d’entre nous, on crie très vite au racisme, oubliant que nous faisons autant, sinon pires aux Nègres comme nous. On oublie trop souvent que même lorsque l’on est frères jumeaux, on peut être amené à être de redoutables ennemis, soit à se détester cordialement. A plus forte raison lorsqu’on est issus de deux familles différentes ?
Que de temps perdu dans ces haines sans fin. Que d’énergies utilisées à mauvais escient…
Récemment, alors que le pouvoir de Lansana Conté (ethnie soussu) était menacé, son fils Ousmane (pauvre officier de l’armée, alcoolique notoire) se mit à distribuer des armes à des Guinéens, soussu comme lui avec une phrase que l’on pourrait transposer dans n’importe quel autre pays de ce continent : « Il faut prendre les armes car les Peul veulent nous (Soussu) chasser pour prendre le pouvoir ! » Pauvres de nous…
M82