Ce 19 Mars 2020, une grande pensée pour Paul KAMBA, grand précurseur de la musique congolaise moderne qui a rejoint les étoiles il y a 70 ans. Personnalité célèbre et talentueuse ; Paul Kamba a marqué plusieurs générations.
Le phénomène de « Musicien Individuel » Précurseur de la musique moderne
C’est dans les années 30 que se sont hissés sur la scène congolaise des « musiciens individuels » et précurseurs de la musique congolaise moderne. Il s’agit de chanteurs, accordéonistes, guitaristes, etc., dotés de qualités musicales, artistes talentueux, ayant des dispositions leur permettant de se produire individuellement.
Dans cette catégorie, il faut noter les compositeurs comme Albert Loboko, Paul Kamba, Bernard Massamba « Lebel »…. pour la rive droite du fleuve Congo, et Antoine Kolosoy « Wendo », Adou Elenga, Manoka Souleymane « De Saio », Manuel d’Oliveira... pour la rive gauche.
La structure de leur musique comportait déjà les quatre éléments essentiels de toute musique : l’harmonie, la sonorité, la mélodie et le rythme. Les instruments marquant le rythme avaient une grande importance.
L’influence de Paul Kamba à cette époque fut très grande et on peut dire que c’est lui qui introduisit à Brazzaville et même à Léopoldville (Kinshasa), la musique vocale basée sur les nouvelles techniques modernes.
Paul Kamba, en effet, a façonné à son image, un groupe qui est considéré à juste titre comme celui qui a donné le ton à un genre de création collective où chaque musicien s’exprime selon son talent et selon l’instrument avec lequel il joue. Un genre de musique qui, grâce à sa nouvelle forme instrumentale et vocale s’est libérée de la catégorie des « musiciens individuels » ; entendu au sens d’une reproduction fidèle des formes modernes (qualité de l’harmonisation, diversité dans l’instrumentation)
Paul Kamba : Une vie pleine de force expressive
Né à Mpouya, (Congo Brazzaville) le 12 Décembre 1912, Paul Kamba a fait ses études à l’Ecole Jeanne d’Arc de Brazzaville, à l’issu desquelles il tente sa chance à Léopoldville où il commence à travailler en qualité de commis des P.T.T. C’est là que s’affirment en même temps ses connaissances en musique, particulièrement à la guitare où il s’était intéressé à jouer très jeune à l’Ecole Jeanne d’Arc.
De retour à Brazzaville en 1932, alors qu’il n’avait que vingt ans, il occupe successivement des emplois au Service des Mines et des Affaires Economiques. Il donne le meilleur de lui-même dans toutes les tâches que lui confère l’administration coloniale. Sa passion pour la musique ne l’empêche pas pour autant à aimer le football où il fut un excellent arbitre central de l’époque où le Stade Eboué de Brazzaville constituait le grand sanctuaire du football congolais.
En 1935, naît le groupe musical « Bonne Espérance » que l’organiste Albert Loboko (collègue de classe de Paul Kamba à l’Ecole Jeanne d’Arc de Brazzaville) porte sur les fonts baptismaux, avec Raymond Nguema, Joseph Botokoua et Bernardin Yoka. C’est pour Loboko, l’occasion de découvrir l’instrument de musique : Le Banjo.
Le groupe se produit « Chez Mamadou Moro » et au Cercle culturel catholique de Poto-Poto (Brazzaville) ; c’est la consécration pour son chef Loboko. Paul Kamba arrive dans « Bonne Espérance », en 1935, de retour de Mindouli où il travaillait. Il apporte son savoir-faire, en créant un langage neuf et expressif dans ce qui constituait à cette époque-là, l’un des premiers groupes avec instruments à cordes et à clavier. Hélas ! L’affectation en 1940 d’Albert Loboko à Pointe-Noire, provoque la mort de « Bonne Espérance ».
1941 – Création du groupe « Victoria Brazza »
L’un des premiers groupes de musique moderne au Congo
Ce que voyant, en Août 1941, Paul Kamba, qu’entouraient les musiciens Henri Pali « Baudoin »Jacques Elenga « Eboma », Jean Oddet « Ekwaka », François Llikundu, Moïse Dinga Philippe Moukouami, Paul Monguele, François Lokwa, Paul Wonga, Joseph Bakale, Auguste Boukaka, assurent la relève en formant : Victoria Brazza dont la section rythmique était équipée d’une grosse caisse, d’un « patengué » (tambourin avec cadre rectangulaire en bois), d’un « likembe »(ou « sanza »), d’un accordéon, d’une guitare, d’une mandoline, d’un banjo, d’une raclette et des grelots.
Outre les cofondateurs, le « Victoria Brazza » a connu plusieurs musiciens qui se sont relayés au fil des années ; parmi lesquels : Samuel Vemba Hyppolite Ita, Australien Itoua, Atengana, Ebale Bonge, Raphaël Loulendo, Auguste Ngapela, Albert Ibela, Bertin Koutoupot, Jean Oba, Dominique Okongo, Gabriel Malanda, Charles Mvoula, et tant d’autres.
Doté d’une faculté de création extraordinaire, Paul Kamba a créé avec son groupe, un genre typique plein de charme dans lequel il s’était imposé auprès du public et des musiciens, comme un virtuose du solo. Il connaissait le chant sous toutes ses formes et était capable de s’en servir pour divers thèmes. Il a d’ailleurs publié plusieurs partitions musicales dans la revue culturelle « Liaison » paraissant à Brazzaville.
Heureux d’avoir rencontré deux associations féminines : « Anonyme » et « Bonne Espérance »
Celles-ci accompagnaient désormais le « Victoria Brazza ». Trois chanteuses ténor étaient particulièrement appréciées dans les deux associations : Gabrielle Maleka, l’épouse de Paul Kamba, (mariée religieusement en 1949) Anne Mbassou et Ibéa qui ont longtemps impressionné des nombreux mélomanes. Le groupe « Victoria Brazza » passe beaucoup de temps à affiner sa musique, ce qui ne l’empêche pas de se produire régulièrement à Léopoldville (Kinshasa) et de s’imposer dans cette ville qui regorgeait d’excellents musiciens.
Paul Kamba a particulièrement connu un immense succès bien avant ses illustres cadets Antoine Kolosoy Wendo et Adou Elenga, surtout dans ce qui a été le climat sonore de sa musique, la rythmique et le timbre des voix ; deux choses qui atteignaient le grand public, le touchait, l’envoûtait et le bouleversait
1943 – Signe d’amitié et d’amour du métier : Paul Kamba et Antoine Kolosoy « Wendo »
1943 – Le renforcement des liens d’amitié que s’étaient tissés Paul Kamba et Antoine Kolosoy Wendo, va amener ce dernier en signe de solidarité, à créer à Kinshasa sur le modèle de Victoria Brazza, son groupe répondant au nom de « Victoria Kin ». Doué d’une vive sensibilité musicale Wendo se révéla comme un pédagogue populaire. On retiendra de lui le sens de la morale, mais surtout le lyrisme chaleureux plein d’élégance dont il a fait preuve dans plusieurs chansons et particulièrement dans la plus belle composition de la discographie d’Henri Bowane : « Marie Louise » chantée par un dialogue alterné de voix avec Henri Bowane en 1948.
Néanmoins, il faut noter que les deux groupes, à savoir : « Victoria Brazza » et « Victoria Kin » eurent plusieurs occasions de se produire ensemble à Brazzaville comme à Kinshasa – à la grande satisfaction des congolais des deux capitales – après plusieurs tentatives fructueuses et enrichissantes, dans le contexte en pleine mutation à l’époque : l’Instrumentation et le Rythme.
1948 – La rencontre Paul Kamba et l’Editeur grec des Editions « Ngoma » Nico Jeronimidis.
1948 – Paul Kamba rencontre à Léopoldville (Kinshasa) l’un des premiers éditeurs du Congo Belge, auprès de qui il fera l’une des expériences les plus décisives de sa carrière ; l’enregistrement aux Editions « Ngoma » de quelques disques caractéristiques du style vocal et instrumental du groupe, en compagnie d’excellents musiciens dont le génial Jacques Elenga « Eboma » qui, en 1952 deux ans après la mort de Paul Kamba est admis aux Editions « Opika » des Frères Banatar, comme chanteur et réalise avec les musiciens Gobi, Baloji « Tino Baroza », Albert Taumani, Fud Candrix, Isaac Musekiwa, Joseph Kabasele , etc., des œuvres qui constituent une exceptionnelle réussite, telles « O mboka Faignond » et « Dit Ebo »
Enfin, on a pu savourer avant cette époque, précisément entre 1948 et 1950 l’essentielle de la discographie de Paul Kamba aux Editions Ngoma :
Disque n° 271 : « Victoria » – « Marie Thérèse » –
Disque n°272 : « Catherine » – « Victoria ya Maria »
Disque n°273 : « Obela Mpoko » – « Liwele ya Paulo
Disque n°275 : « Djiguida » – « Masanga fala »
1950 – Page noire : La mort de Paul Kamba
La nouvelle qui frappa d’affection profonde l’Afrique Centrale entière fut annoncée par Radio Brazzaville le 19 Mars 1950, date à laquelle le grand chanteur Paul Kamba quitta ce monde à l’âge de 38 ans. Juste quelques mois avant son départ en France où il était attendu pour une formation musicale dans un conservatoire français.
Brazzaville et Léopoldville lui réservèrent des obsèques grandioses auxquels prirent part de nombreux grands musiciens kinois et brazzavillois. Les musiciens Zacharie Elenga « Jhimmy », Antoine Wendo et Antoine Moundanda chantèrent à la mémoire du disparu des œuvres qui sont restées mémorables comme : « Paulo Kamba atiki biso na mawa » de Wendo Kolosoy, « Mabele ya Paulo » d’Antoine Moundanda, enregistrées sur disque Ngoma, puis « Liwa ya Paulo » de Zacharie Elenga « Jhimmy » aux éditions Opika.
Compositeur et chef d’orchestre émérite, parolier de génie, Paul Kamba fut un musicien élégant, fin et spirituel, Il montrait de la grâce, un charme désinvolte, il avait connu un immense succès tout à fait remarquable à Brazzaville et à Kinshasa. Son œuvre considérable lui a valu la décoration de « Chevalier de l’Etoile du Bénin » de la République Française. En définitive, Paulo Kamba est incontestablement un des « pères » de la musique congolaise moderne. Il a été un grand maître, un modèle et un pionnier de la musique moderne. Il aura ouvert la voie à toute la lignée des grands noms qui ont dominé le monde de la musique dans le grand bassin du Congo.
Notons qu’à son hommage existe depuis
– 1953 une rue dans l’Arrondissement 03 Poto-Poto nommée : rue Paul Kamba
– 19 Avril 1981 – L’Ecole Nationale des Beaux-arts Paul Kamba dans l’Arrondissement 01 Bacongo
– Octobre 2000 – Une grande compétition musicale nationale dite : « Edition Challenge Paul Kamba »
– Un buste Paul Kamba (place de la gare à Brazzaville, parmi les 29 autres de diverses personnalités historiques du Congo)
– L’hospice des vieillards Paul Kamba (sous l’égide de Caritas Ste Anne du Congo, qui héberge des vieillards abandonnés, mais aussi ravitaille en ivres les pauvres, les démunis...
Enfin, c’est depuis le mois de mars 1974 que l’UNEAC (Union nationale des écrivains et artistes congolais) a procédé à l’exhumation de la dépouille de Paul Kamba, de l’ancien cimetière de Moukounzi-Ngouaka à Bacongo, pour le cimetière du Centre ville.
Ces initiatives très significatives ont été saluées avec satisfaction par la jeunesse et les musiciens congolais et ont permis effectivement à mieux connaître Paul Kamba, dans la vitalité et la richesse de ce qu’a été son œuvre.
Clément OSSINONDE