Le Congo-Brazzaville est un pays traversé par des tendances contradictoires. La manne pétrolière a rendu l’économie du Congo-Brazzaville paradoxale et contribué à répandre l’idée que le pays était riche, mais, en réalité, sa population vivait dans la pauvreté. Sur la foi des seuls agrégats monétaires et financiers, l’administration Sassou Nguesso se voit décerner de nombreux satisfécits tant par les experts internationaux que sous-régionaux. Au regard des performances financières, le Comité monétaire et financier du Congo-Brazzaville a revu à la hausse e les prévisions de croissance du Produit intérieur brut (PIB) en 2008 qui devrait se situer autour de 9,4% contre 8,9% prévu initialement. Ce réajustement des prévisions de croissance a été annoncé à Brazzaville à l’issue de la réunion du comité monétaire et financier du Congo-Brazzaville dans un contexte de crise économique mondiale. Au niveau du marché monétaire, le comité a relevé une augmentation des ponctions de liquidités opérées par l’institut d’émission, l’absence de transactions interbancaires et le relèvement des coefficients des réserves obligatoires en liaison avec la situation de surliquidité des banques( Cf PANA, 13 Juin 2008).
Sur le papier, tout va bien. Mais, sur le terrain, c’est toute une autre histoire.
L’éclaircie n’est pas le beau temps
« L’économie mondiale est entrée dans un tournant majeur sous l’effet du choc financier le plus dangereux depuis les années 1930 " : c’est en ces termes sans ambiguïtés que débute le rapport semestriel sur les Perspectives de l’économie mondiale que le Fonds monétaire international (FMI) a publié à Washington le 8 octobre 2008.
Effectivement, les prédictions sorties des ordinateurs du Fonds confortent ce pessimisme. Les grandes économies avancées sont quasiment en panne. Les Etats-Unis connaîtront encore une croissance de 1,6 % cette année, mais tomberont à un très médiocre 0,1 % en 2009, sous l’effet de résultats vraisemblablement négatifs
au quatrième trimestre 2008 et au premier trimestre 2009.
La zone euro sera dans la même configuration, soit + 1,3 % en 2008 et + 0,2 % en 2009. En effet, l’an prochain, la France (premier partenaire économique et financier du Congo-Brazzaville) croîtra de 0,2 % et l’Allemagne de zéro, tandis que le Royaume-Uni reculera de 0,1 %, l’Italie et l’Espagne de 2 %. Ce qui permettra au monde entier de continuer à afficher une progression de 3 %, après + 3,9 % en 2008 et + 5 % en 2009, ce sont les pays en développement.
Même ralenties, les économies chinoise (+ 9,3 % en 2009 contre + 9,7 % en 2008 et + 11,9 % en 2007) et indienne (respectivement + 6,9 %, + 7,9 % et + 9,3 %) demeurent très vigoureuses. La Russie (+ 5,5 %, + 7 %, + 8,1 %) résiste, elle aussi. La bonne surprise vient, une fois n’est pas coutume, d’Afrique.
Le continent que l’on disait ignoré de la mondialisation sera le moins atteint par la récession à l’œuvre dans les pays du Nord et sera également le premier à se redresser : + 6,3 % en 2007, + 5,9 % en 2008 et + 6 % en 2009, en dépit de la hausse des prix alimentaires qui font basculer des millions de personnes dans l’extrême pauvreté (Le Monde, 09 Octobre 2008).
C’est dans cette atmosphère de récession économique mondiale que le gouvernement du Congo-Brazzaville a présenté le budget rectifié pour l’’exercice 2007-2008. Selon les dernières estimations, le taux de croissance réel du PIB au Congo-Brazzaville devrait être de l’ordre de 7,6%, largement supérieur à la moyenne de la zone CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale).
A la faveur de la hausse des prix des matières premières et à l’amélioration des termes de l’échange donc, le budget de l’Etat congolais pour l’exercice 2007- 2008 a augmenté de 43,4% (soit 834,9 milliards de FCFA), passant de 1921,1 milliards de FCFA dans la loi de finance initiale à 2756 milliards dans la loi de finance rectifiée. Un budget qui ferait pâlir d’envie et de jalousie certains pays d’Afrique moins pourvus en ressources naturelles.
La hausse du budget s’explique par la forte amélioration de la situation économique nationale occasionnée par l’envolée du prix du baril de pétrole ayant permis, au 30 juin dernier d’atteindre des recettes pétrolières de l’ordre de 930 milliards de FCFA. Initialement prévues à 1.571,1 milliards de FCFA, les recettes pétrolières sont passées à 2.373 milliards de FCFA, soit une augmentation de 801,9 milliards de FCFA. Les recettes pétrolières du Congo-Brazzaville restent influencées par les cours du marché international qui joue au yoyo (147 dollars le baril le 11 Juillet 2008 à moins de 70 dollars aujourd’hui), la mise en exploitation du gisement de Moho Bilondo et l’amélioration de la production au niveau du gisement de Boundi. Le prix du baril de brent de la mer du Nord est tombé à 59,77 dollars, mardi 4 novembre, dans les échanges électroniques en Asie. Lundi à Londres, à échéance identique, il avait lâché 4,84 dollars, tombant à 60,48 dollars. Le baril de light sweet crude pour livraison en décembre reculait de 55 cents, à 63,36 dollars, mardi, après avoir perdu 3,90 dollars à New York la veille. (Le Monde, 04 Novembre 2008).
Dans le budget rectifié, les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 6,38% (54,825 milliards de FCFA), passant de 858,498 milliards de FCFA à 913, 323 milliards de FCFA, tout comme le budget d’investissement qui a progressé de 5 milliards de FCFA (1,11%), passant de 540 à 545 milliards de FCFA. L’épargne budgétaire a également enregistré une hausse de 126,52%, passant de 612,602 milliards à 1.387,677 milliards de FCFA.
Malgré la hausse du budget, les recettes des services et portefeuille sont maintenues à 17,8 milliards de FCFA tandis que les emprunts passent à 10 milliards de FCFA contre 21 milliards de FCFA dans la loi de finance initiale.
La plus-value pétrolière devrait permettre au gouvernement congolais de faire face à ses engagements en matière de bien-être des populations dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, dans une situation économique nationale marquée par la bonne tenue de la demande intérieure, alimentée par la hausse de la consommation, avec un impact sur les investissement publics et la bonne évolution du secteur hors pétrole (Cf APA, 25 Septembre 2008). Malheureusement, il n’en est rien.
Une croissance sans progrès social
La manne pétrolière est à la fois une chance et un piège car, elle n’incite guère à sortir de l’économie rentière. L’aisance financière affichée par les autorités du Congo-Brazzaville contraste avec l’état de ses services publics qui sont en lambeaux. Les chiffres mirifiques du budget de fonctionnement se heurtent à la réalité des infrastructures sanitaires, scolaires et administratives du Congo-Brazzaville. Alors que dans les écoles publiques, beaucoup d’élèves s’assoient à même le sol, que de nombreuses écoles primaires et secondaires, à l’intérieur du pays, manquent de tables-bancs, que les internats, à l’exception de l’enseignement technique et professionnel, restent fermés dans les lycées, que des dispensaires, dans de nombreux villages, sont presqu’abandonnés ou ne disposent pas de personnel suffisant et de médicaments essentiels, le Congo se fait une épargne de 1.387,677 milliards de francs Cfa (La Semaine Africaine, 30 Septembre 2008). D’autres indices sont encore moins reluisants. La corruption a gangrené l’appareil de l ‘Etat jusqu’au sommet. A-t-on vu les conditions de travail des enseignants dans les écoles publiques ?
A quoi sert le budget de fonctionnement de l’Etat au Congo-Brazzaville ? Où sont donc passés les 913, 323 milliards de FCFA alloués à cette rubrique ?
Comment peut-on croire que 93,093 milliards sont consacrés à la santé, cette année, alors que les ascenseurs du CHU sont hors d’usage depuis des lustres et que le plateau technique est resté en panne pendant plusieurs mois ? Il est d’ailleurs étonnant et très choquant que les hommes politiques, les hommes d’affaires et les hommes d’Eglise meurent sur le lit des hôpitaux parisiens sans que cette situation incongrue ne soit l’objet d’un débat public ? Que penser des appels aux dons (au relent de mendicité) lancés par la ministre de la santé, pour recueillir des médicaments , afin de rendre applicable la mesure sur la gratuité des soins contre le paludisme, prise pourtant par Denis Sassou Nguesso lui-même ? Peut-on croire que 121,829 milliards de francs Cfa ont été affectés à l’Education nationale alors que les élèves continuent de prendre les cours à même le sol et que les revendications des syndicats des enseignants sont légion ? Et que dire de cet appel pathétique, dans une récente émission de Télé-Congo, d’un président de cour d’appel disant ne pas pouvoir tenir, régulièrement, les sessions criminelles, par manque de financement ? Les maisons carcérales, à l’intérieur du pays, sont dans un état de délabrement qui traduit l’absence de l’intervention de l’Etat. On peut ainsi multiplier les exemples des structures d’Etat qui ne reçoivent pas les subventions qui sont prévues pourtant dans le budget. Alors, où va tout cet argent budgétisé ? Le budget de l’Etat est-il, réellement, appliqué dans toutes les structures publiques ?
Des interrogations persistent sur l’usage des 545 milliards de francs CFA du budget d’investissement. Les investissements directs étrangers (IDE) arrivent au compte-gouttes et essentiellement dans les hydrocarbures, qui représentent 80% des exportations. On se trouve en présence d’une sorte de " croissance sans développement ", parce que l’argent trop facile du pétrole a donné au Congo-Brazzaville la mauvaise habitude d’acheter à l’étranger ce qu’il consomme. Pas assez de valeur ajoutée, pas de développement suffisant du secteur privé, pas de diffusion de la richesse dans la population, qui survit parfois avec 150 francs CFA par jour. On projette construire partout : autoroutes, immeubles, ponts, barrages, aéroports...
Mais cette politique des grands travaux engagée par Sassou Nguesso, Jean-Jacques Bouya et les agents de la nouvelle espérance ne crée pas assez d’emplois pour endiguer le flot de chômeurs qui courent les rues de Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie, Nkayi et Owando. Et une minorité de nouveaux riches côtoie une masse grandissante de pauvres.
Le sentiment général chez la majorité des Congolais est que la vie quotidienne est de plus en plus dure. Pour les congolais, la situation sociale se dégrade davantage et c’est un euphémisme de le dire. La chute du pouvoir d’achat face à l’inflation des prix des denrées alimentaires condamne de nombreuses familles à la précarité. Les ménages congolais sont soumis à l’inanition (la diète). On ne mange qu’une fois dans la journée. Alors que la manne pétrolière remplit les caisses de l’Etat, des manifestations de mauvaise humeur ont éclaté à Pointe-Noire. Dans les grands centres urbains, et encore davantage dans les agglomérations rurales, la pauvreté est la chose la mieux partagée par les Congolais.
Rarement, sans doute, le " système " congolais de la nouvelle espérance aura paru aussi opaque. Rarement l’avenir n’aura semblé à la population du Congo-Brazzaville aussi incertain.
Le Congo-Brazzaville peut acheter une autoroute clés en main ou une barge pétrolière de la SNPC. Mais saura-t-il construire ? Ce qui suppose bureaux d’études et services d’entretien ? La réponse est non, sans risque de se tromper, au regard de la déliquescence du système éducatif. Le développement, c’est apprendre à faire, non à acheter. Le Congo-Brazzaville doit remobiliser les compétences et ses élites. C’est la seule richesse qui vaille.
Benjamin BILOMBOT BITADYS