Entretien avec le Directeur Général de la Santé,

Ya Sanza : Vous êtes venu à Pointe-Noire pour une visite d’inspection. On vous a entendu avancer les mots plutôt sévères à l’encontre d’une certaine catégorie de personnel hospitalier, est ce que vous pouvez nous en dire plus ?

Damase Bodzongo : Non, ce n’était pas une inspection mais plutôt une session d’évaluation. Chaque année, chaque direction départementale a un plan d’action. A la fin de chaque exercice, une évaluation doit être faite pour voir si les objectifs ont été atteints. Nous sommes donc venus dans le cas d’espèce au Kouilou pour prendre part à la session d’évaluation de la direction départementale. Evidemment nous nous sommes trouvés face à beaucoup de problèmes. La situation sanitaire dans le Kouilou n’est pas des meilleures. Il y a de nombreux problèmes. Nous avons constaté que souvent les cadres manquent d’ambition et n’assument pas leurs responsabilités. Certaines choses, qui ne relèvent que du bon sens doivent se faire sans instruction préalable. Un directeur départemental a toute liberté de décision dans le cadre de l’autonomie de fonctionnement de sa direction. Il doit prendre des initiatives pour faire fonctionner ses services. Il en est de même pour les directeurs des hôpitaux. Ils connaissent leur mission. Ils ont des initiatives à prendre pour que tout aille pour le mieux.
Le problème saillant que nous décrions se situe au niveau de la gestion des urgences. Nous avons à ce sujet donné des instructions fermes aux directeurs des hôpitaux.
Un hôpital a d’abord une vocation sociale et une urgence doit être considérée en tant que telle. N’importe qui dans la rue peut être victime d’un accident et arriver à l’hôpital sans avoir un sou en poche. La vocation de l’hôpital est de sauver cette personne, donc de lui porter secours et soins. Si un recouvrement est à faire, ce ne peut être qu’après avoir pris en charge le patient.
Les produits de première nécessité doivent être à disposition dans un chariot d’urgence et être utilisés immédiatement pour prodiguer les premiers soins.

YS :Justement il y a eu un incident sérieux qui a opposé voici quelque temps une infirmière major de garde à l’hôpital A.Sicé et le Procureur de la République Charles Loemba, suite à la non prise en charge d’un brûlé au troisième degré. Le Procureur a été jusqu’à placer en garde à vue l’infirmière, ce qui a provoqué un mouvement de grève dans l’hôpital. Qu’avez-vous à en dire ?

DB : J’ai eu à suivre cette situation pour laquelle je me suis expressément déplacé de Brazzaville à Pointe-Noire. Nous l’avons signifié au Procureur qu’il a commis un abus de pouvoir pour les raisons suivantes :
 Nous avons vérifié que le malade a été bel et bien reçu par l’infirmière de garde. N’ayant pas de produits à sa disposition, elle a fait une ordonnance qu’elle a voulu remettre à la personne accompagnant le blessé. Comme elle ne l’a pas retrouvée, le malade a pris son ordonnance et est allé alerter le Procureur.
 Quand bien même il y aurait eu faute, il aurait fallu s’adresser en premier lieu à la direction de l’hôpital.
 Les faits ont eu lieu après dix neuf heures. L’infirmière de garde n’était alors assistée que de deux stagiaires de l’école Jean Joseph Loukabou. Lui faire quitter son poste était mettre en péril tout le dispositif des urgences.
Nous avons procédé à la saisine du ministre de la justice qui est descendu sur le terrain pour s’enquérir de la situation.

YS :Docteur, pouvez-vous nous dire quelques mots à propos du recrutement et de la formation du personnel ?

DB : Il est vrai qu’aujourd’hui nous avons des problèmes de personnel qualifié au niveau des structures hospitalières. Le recrutement de personnel de santé dans la fonction publique a cessé en 1985. Le ministère de la santé disposait alors de 12.832 agents de santé. En 2003, nous avons recensé nos effectifs. Nous n’avons dénombré que 3941 agents, tout simplement parce que ni les décès, ni les départs à la retraite n’avaient fait l’objet de remplacements.

On peut voir à travers la République des centres de santé qui sont tenus par des aides soignants. Pendant que l’on commence tout juste à recruter, le personnel expérimenté continue à partir à la retraite. Nous n’en aurons bientôt plus du tout. Nous sommes forcés de constater que tous les agents qui travaillent à ce jour sont nés autour des années cinquante. Nous sommes obligés de demander des prolongations d’activité pour certaines catégories de personnel aux fins d’encadrer les nouveaux venus parce que les ficelles du métier ne s’apprennent pas à l’école mais sur le terrain. Qu’aurons nous à faire de jeunes formés théoriquement si personne n’est à même de leur transmettre l’expérience ?
Nous avons ces problèmes au niveau des formations sanitaires. Cependant nous nous employons à les résoudre petit à petit.

La politique du ministère de la santé et de la population est de faire en sorte que les malades soient traités au niveau de leur département. Nous voulons éviter la transhumance des malades vers d’autres hôpitaux, notamment vers Brazzaville en raison des problèmes de prise en charge.
Pour cela il faut, dans chaque département, un Hôpital Général capable de prendre en charge ses malades.
Nous développons et améliorons nos structures hospitalières (construction de l’Hôpital de Loandjili, agrandissement et modernisation de l’Hôpital Général d’Impfondo, passé de 150 à 200 lits avec un équipement n’ayant rien à envier à celui du CHU de Brazzaville, réhabilitation de l’Hôpital Général de Dolisie...), mais nous n’avons aujourd’hui plus aucun spécialiste à l’intérieur du pays à même d’animer ces structures. Même une ville comme Pointe-Noire n’en possède pas. Vous ne trouverez pas un seul chirurgien diplômé à l’hôpital A. Sicé. Des médecins y pratiquent quelques actes de chirurgie mais ne sont pas chirurgiens.
La médecine progresse, et ses avancées exigent des formations de plus en plus poussées, pourtant le Congo, depuis 1986, n’accorde plus de bourse de spécialisation. Les jeunes doivent, à leurs propres frais, se former à l’étranger, où une fois diplômés on leur offre de meilleures conditions. Ils ne se sentent pas obligés de revenir. Un pays qui ne forme pas n’évolue plus.
Avant la Conférence Nationale Souveraine, les jeunes médecins étaient recrutés au quatrième échelon, depuis lors ils sont recrutés au premier échelon et ne perçoivent qu’un salaire de 88 000 FCFA. La conséquence est qu’ils refusent d’intégrer la fonction publique.
Il nous appartient d’analyser objectivement ces problèmes et trouver des solutions pour retenir nos cerveaux au pays et motiver les jeunes médecins afin qu’ils intègrent le service public.

Malheureusement, jusque là, nous n’avons aucun plan, ni sectoriel, ni national de développement des ressources humaines.

YS : Peut-on interpréter l’annonce de la prise en charge de trithérapie d’une catégorie de malades de VIH/SIDA, comme le début de la gratuité des soins au Congo ?

DB : Non, notre pays a opté pour l’initiative de Bamako, c’est-à-dire pour un minimum de coût. Dans l’esprit de la convention, la population doit participer un peu à sa prise en charge sanitaire. Nulle part au monde il n’y a gratuité. Aujourd’hui, ce qu’il faut faire dans notre pays c’est mettre en place des mécanismes nationaux de solidarité, pour faire en sorte que les gens se soignent.
Le gouvernement a pris l’initiative de prendre en charge certaines catégories de malades du SIDA, les femmes enceintes et les enfants de moins de dix huit ans. C’est une très bonne chose. Le gouvernement fait beaucoup d’efforts pour mettre la trithérapie à la portée de tout le monde. Hier, pour se soigner il en coûtait plus de 50000 FCFA par mois, aujourd’hui, il n’en coûte que 5000 CFA par mois et l’on trouve quand même que c’est trop cher.
Je dis à ce sujet, que le congolais doit changer de comportement. Lorsqu’il s’agit de funérailles, on ne regarde pas à la dépense, tout le monde se cotise pour offrir au défunt l’enterrement le plus fastueux possible. Ne vaudrait-il pas mieux assister les malades afin qu’il se rétablissent ? . Il faut essayer de changer les mentalités, c’est pour cela que j’ai parlé de mécanismes nationaux de solidarité pour que les gens se soignent : Il faut une sécurité maladie, une sécurité sociale et voir qui pourra bénéficier de ce cordon sanitaire.
Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui on parle de gratuité à propos du SIDA que l’on doit généraliser. Les diabétiques aujourd’hui font pression, il faudra-il mettre l’insuline à leur disposition, après ça sera le tour des hypertendus...
Il est démagogique que de prétendre à la gratuité des soins. L’Etat peut, peut-être, les subventionner, mais la population doit également se prendre en charge.

YS : Cette mesure de trithérapie comment est-elle financée ?

DB :Elle est financée par l’Etat en grande partie parce que les antirétroviraux sont achetés par l’Etat, en appui le fonds mondial va financer une partie des antirétroviraux. Dans le même ordre, la Banque Mondiale a également financé une partie des médicaments pour soigner ces malades. Voilà les financements qui sont prévus pour cette politique initiée par l’Etat.

YS : On parle beaucoup du SIDA, aussi du paludisme, mais un autre fléau frappe durement le Congo, c’est la tuberculose, où en est la situation ?

DB :Il faut dire qu’il y a une recrudescence de la tuberculose. Nous avons eu très peur au sortir de la guerre, parce que tous les traitements étaient interrompus et Dieu merci on a pas observé les cas flagrant de résistance. Pour l’instant nous avons la chance de bénéficier des dons de la part du GDF (distribués gratuitement aux tuberculeux). L’année prochaine nous prendrons en charge une partie de ces médicaments, l’appui du GDF n’était que temporaire. Nous avons écrit par deux fois à la Banque Mondiale pour qu’elle nous aide à financer cette thérapie, nous attendons toujours sa réponse.

YS : La santé c’est bien entendu les soins, mais aussi l’hygiène et l’environnement. Votre département n’en est pas en charge mais en supporte les conséquences. Comment agissez-vous auprès de vos confrères et autres acteurs pour résoudre ces problèmes ?

DB : Vous avez posez là, une question assez intéressante. Comme vous avez su le dire que le département de la santé n’est pas en charge de ces questions, mais la santé est multi sectorielle. L’ OMS dit que la santé est un état complet de bien être physique, mental et social. Tout ceci tient la route parce que l’homme lui-même est un ensemble bio-psycho-social. Aujourd’hui, les problèmes de salubrité et d’environnement interpellent non seulement le département de la santé mais aussi, les autres secteurs. On définit le système national de santé, comme étant l’ensemble du secteur de la santé et des autres secteurs connexes. Ce sont les systèmes nationaux de santé qui sont à distinguer du système national des soins qui intéresse exclusivement le ministère de la santé. Quand je parle des secteurs connexes, c’est l’environnement, eau, électricité, salubrité. Tenez que serait un hôpital sans eau ni électricité ? Les instruments doivent être lavés, donc il faut de l’eau. Pour qu’ils soient stérilisés il faut l’électricité. Voilà donc cette multi sectorialité.
Pour ce qui est de la salubrité il est vrai qu’au niveau du ministère de la santé notre rôle est d’élaborer des normes et faire en sorte que les secteurs qui s’en occupent puissent s’impliquer réellement.
Le ministère de la santé a un autre rôle c’est l’éducation de la population. Comme j’aime bien le dire beaucoup de gens achètent la maladie en achetant leur nourriture, ils voient bien que les étals se trouvent entourés d’immondices et sont couverts de mouches. Parfois les denrées sont vendues à même le sol, mais certains consommateurs achètent quand même. Il faut éduquer la population dans le cadre de la promotion de la santé.

YS : Je suis surpris de voir qu’il n’existe pas de campagne d’affichage aux abords des marchés. Ce serait pourtant un système assez efficace.

DB : Comme je l’ai dit, le travail qui se fait n’est pas parfait, il faut trouver les moyens, d’abord de créer un véritable cadre de concertation avec toutes les personnes intéressées par la question pour voir comment ensemble nous pouvons résoudre ces problèmes.
Les campagnes d’affichage, ne sont pas du domaine du ministère de la santé. Les services municipaux possèdent des services d’hygiène et bien que cette question nous interpelle tous, c’est une initiative qui leur revient.
Je réitère qu’il faut des passerelles de communication inter sectorielles pour que cette action soit bien menée et cordonnée entre les différentes structures :
 Nous avons dans le pays ce qu’on appelle le Conseil National de Santé (CNS). Il s’est réuni pour la dernière fois en 1988 (on était pas encore en démocratie pluraliste, ses textes méritent d’être revus afin d’actualiser la composition des membre pour que toutes les sensibilités puissent prendre part à la concertation pour améliorer l’état de santé des populations). C’est un organe de concertation intéressant qu’il faut ramener à la surface.
 Dans le cadre du développement national sanitaire existe le comité de pilotage, dans cet espace nous avons non seulement des partenaires, mais également des représentants de la population et des autres secteurs connexes.
 Dans le cadre du Programme National de développement de Santé (PNDS), un comité devrait se tenir au mois de Janvier prochain. Il devait se tenir en Décembre, mais la session a été repoussée parce que le ministère de la santé est en train d’élaborer le cadre des dépenses moyennes, dans la réalisation du PNDS, nous attendons que le document soit finalisé avec les ministères du plan et des finances, pour pouvoir l’emmener au comité de pilotage.
 Au niveau des départements nous avons des Conseil Départementaux de la Santé dont les textes doivent être actualisés.
Nous sommes sortis de la phase d’urgence. Après la guerre il fallait parer au plus pressé : remettre à niveau les structures. Nous entrons dans la phase de développement, il faut jeter des bases solides pour amorcer le Plan National de Développement Sanitaire 2007/2011, qui prend en compte des autres secteurs connexes : salubrité, hygiène etc.

YS : Le Président Sassou vient de subir une opération chirurgicale bénigne en France. Ne pensez-vous pas que cette opération, réalisée ici aurait donné du crédit aux médecins et aux hôpitaux de la place ?

DB : J’aurais été satisfait que cela se passe ici. Si aujourd’hui nous avons un plan de développement sanitaire, c’est pour améliorer toutes les structures et renforcer les capacités de nos hôpitaux. Parlant du système j’ai évoqué le problème de la formation des cadres. Vous savez il y a eu dans notre pays ce qu’on a appelé « opération coup de poing santé », en 1983 lorsque cette opération a été menée le gouvernement avait équipé toutes les structures sanitaires du pays. Depuis plus rien n’a été fait en dehors d’équipements ponctuels, pour lesquels il y a eu un grand mouvement de dotation. La volonté de faire que, ce que vous avez dit se réalise a été matérialisée par le Président Sassou lui-même en créant le CHU de Brazzaville. C’était justement pour éviter les évacuations sanitaires en Europe. Mais aujourd’hui la situation s’est dégradée. Lui même est descendu au CHU avant son opération et il a décidé d’investir dans cette structure pour la ramener à un niveau acceptable. Rendez-vous compte aujourd’hui le Congo dépense plus de quatre milliards de francs CFA par an pour les évacuations sanitaires.
Nous avons des compatriotes qui exercent en Europe et qui pratiquent des dialyses qui nous coûtent extrêmement cher. Notre volonté c’est que tous les services soient disponibles au Congo afin que les évacuations ne soient plus une charge. J’aurais été heureux de voir le Président se faire opérer ici si les conditions avaient été réunies.

YS : A propos du CHU,vous connaissez le nom que la population donne à cette structure

DB : Oui, on dit « CH.TUE » mais c’est faux. C’est vrai que les conditions y sont difficiles mais beaucoup d’actes s’y réalisent. Moi-même en tant que chirurgien j’opère au CHU. Il faut dire que les structures sanitaires, en particulier privées, se déchargent de leurs mourants sur le CHU qui ne peut pas faire de miracle. Avez-vous déjà entendu sur les ondes un seul communiqué nécrologique annonçant le décès d’un malade dans une clinique privée ?

Daniel Lobé Diboto : Monsieur le Directeur, vous avez déploré le taux croissant de mortalité infantile dans les hôpitaux. Quel est votre constat ?

DB : J’en ai fait reproche aux directeurs des hôpitaux dans leur présentation des statistiques de comparaison, mais en débattant avec eux nous avons pu constater des efforts dans le sens décroissant. Ça ne suffit pas. Deux cent vingt pertes néonatales en un an c’est beaucoup trop. Il nous faut documenter ces décès et en déterminer les causes afin de trouver les solutions qui s’imposent pour corriger la situation. En ce moment, nous élaborons une feuille de route pour atteindre des Objectifs Du Millénaire. Elle prend en compte la mortalité maternelle et infantile. Nous allons travailler selon les normes de l’OMS pour que cette mortalité baisse dans le pays. C’est l’un des axes stratégiques sur lesquels nous allons travailler dans le cade de notre Plan National de Développement Sanitaire.
On a vu le cas de femmes sur le point d’accoucher laissées seules par leur sage femme. Elles se sont délivrées seules sur la table d’accouchement. Le bébé en est tombé et en est mort. Ce sont des cas d’inconscience inadmissibles. En tant que gestionnaire du système, j’ai donné instruction aux directeurs des hôpitaux et aux directeurs départementaux pour qu’ils fassent en sorte que ce type d’accident ne puisse plus se reproduire.

Daniel Lobé Diboto : Avez-vous déjà reçu des plaintes pour négligence contre des médecins ?

DB : Des plaintes oui, mais pas jusqu’au tribunal. Ces plaintes constituent une image de la perception des services de santé par la population. Quand j’ai l’occasion de m’adresser au personnel de santé j’utilise pour son édification les éléments issus de cette banque de données.

YS : Je voudrais en revenir au SIDA. Vous avez parlé tout à l’heure de communiqué nécrologique où les gens ne décèdent pas dans les cliniques privées. Mais aussi, On n’entend pas d’avantage que telle ou telle autre personne est morte du SIDA. On en arrive à des situations aberrantes, de jeunes qui disent « Syndrome Imaginaire pour Décourager les Amoureux », n’est ce pas parce que les victimes n’ont pas de visages, que les gosses se protègent de moins en moins ?

DB : Non ! Là-dessus je peux me réjouir de la situation qui prévaut dans le pays dans le cadre de la prévention. Au cours des années 85/86, les gens ne croyaient pas en la maladie, maintenant ils se protègent, même les jeunes filles. Au sortir de la guerre, nous avons organisé des journées de lutte contre le SIDA. Des cartons de préservatifs étaient exposés. Nous avons demandé aux gens de se servir. A mon grand étonnement, j’ai vu des jeunes filles se lever et plonger la main dans le carton. J’ai dit merci mon Dieu. Hier, elles auraient été traitées de prostituées, mais aujourd’hui, le comportement a changé. Il faut continuer à travailler d’autant plus que même en Europe les gens ont baissé la garde depuis que les antirétroviraux permettent une vie normale, ils se disent que le SIDA n’est plus qu’une maladie chronique au même titre que le diabète ou l’hypertension.
Aujourd’hui, la séroprévalence au Congo est de 4,2%. Notre objectif est que tous ceux qui sont séropositif puissent vivre normalement grâce à des prises en charge et des traitements à bas prix et que ceux qui sont séronégatifs ne soient pas contaminés.

YS :. Sur une échelle de 1à10 à combien noteriez-vous le système de santé du Congo ?

DB : Il ne faut pas se voiler la face, le système n’est pas performant, pour les raisons que j’ai évoqué plus haut (personnel, formation, qualité de soins, structures, etc.). Nous sommes confrontés à de nombreux problèmes de fonctionnement. Cependant, on peut quand même donner la moyenne puisqu’il y a des résultats. Prenons la vaccination, aujourd’hui on peut dire que tous les enfants congolais sont vaccinés, car la couverture dépasse les 60/70%.
La chose fondamentale aujourd’hui c’est la formation du personnel. On parle d’installer un scanner à Pointe-Noire, c’est bien, à Brazzaville nous en avons eu deux, le premier est en panne à l’hôpital central des armées, le deuxième au CHU où il doit être réparé. Pour faire fonctionner un scanner il faut des médecins radiologues. Il y en a en tout et pour tout trois radiologues au Congo et les trois sont au CHU. La question de l’homme est au centre du système il faut un véritable plan Marshall pour pouvoir former le personnel de la santé.

DLD : Monsieur le Directeur Général de la santé les médicaments sont onéreux au Congo. Ne pensez-vous pas que cela détourne les malades vers d’autres solutions tels que les bana milongo (vendeurs ambulants) ?

DB : Les congolais doivent utiliser les médicaments génériques, le remboursement social en France se fait sur leur base. Jusque là, il n’y a pas eu assez de promotion de ce type de produits et les médecins continuent à prescrire les spécialités qui coûtent cher.
Les congolais sont mal informés. En zone urbaine, nous implantons des Centres de Santé Rationalisés pour cinq à dix mille habitants. Pour qu’ils soient opérationnels la population doit leur apporter une contribution sous forme d’abonnement. Un abonné n’y paiera, consultation et traitement, que 2 500 FCA. Ce prix passera à 3 000 FCFA pour un non abonné demeurant dans le secteur, et il en coûtera 4 000 FCFA à un étranger à l’aire de santé du centre. Vous voyez que ces tarifs ne sont pas prohibitifs, mais il est vrai que ce sont des choses qui ne sont pas connues de la population.

DLD :Docteur, les consultations coûtent cher à Pointe-Noire. Ne pensez-vous pas qu’il faille corriger cela ?

DB :Non, les consultations des médecins ne coûtent pas cher ! Je prends le cas du CHU, un spécialiste y prend 3.000 FCFA. A Pointe-Noire, j’ai demandé qu’on revoie la grille. Quand les gens vont dans le privé, ils paient 10.000 FCFA, la consultation. Combien coûte la consultation à la clinique Guénin ?

DLD : Pourtant Guenin est dans l’aire de santé de Pointe-Noire, c’est quoi ce désordre là ?

DB : C’est pourquoi je dis qu’il faut mettre de l’ordre dans ce secteur, car notre système de santé a deux pieds : Le public et le privé, mais le privé pense qu’il est en dehors du système, ce n’est pas vrai ! La preuve c’est que pour que quelqu’un s’installe il faut l’autorisation du Ministère de la santé et de la population. Aujourd’hui nous avons un problème même sur le plan statistique, les privés ne nous les font pas parvenir, donc les tendances que nous avons ne sont que celles des structures publiques. Elles ne reflètent donc pas l’ensemble de la situation sanitaire du pays. J’ai donné des instructions aux directeurs départementaux. Ils doivent descendre dans les structures privées pour exiger leurs statistiques.
Ici à Pointe-Noire, j’ai tenu une réunion avec les structures privées. Je leur ai rappelé qu’ils ont des comptes à rendre aux directeurs départementaux de la santé et aux médecins chefs de la circonscription socio sanitaire. Ils en font partie et leurs responsables doivent jouer leur rôle dans la coordination des soins au Congo. Ils ne peuvent faire cavalier seul et doivent se plier aux règles. Sans doute ne sont elles pas assez explicites.

Dans le cadre de la coordination du système et de la solidarité nous devons étudier la tarification à appliquer en zone rurale et celle à appliquer en zone urbaine. Ensuite il faut voir comment les mécanismes de solidarité peuvent jouer. Nous préconisons un séminaire l’année prochaine pour débattre du financement de la santé.

NDLR : La santé est un secteur éminemment technique. Le Dr Bodzongo nous en parle en technicien. On aura compris que sa tâche est colossale. Elle se heurte à des incohérences et des lenteurs administratives. Elle implique de coordonner entre elles des administrations aux intérêts divergents. Lui-même a parfois du mal à la circonscrire comme le prouvent certaines petites contradictions dans ses propos [1].
Il demeure tout au long de cette longue interview parfaitement lucide sur les problèmes qui entravent sa mission, même si on doit contester la moyenne qu’il octroie beaucoup trop généreusement à son département.
Il est évident que des années seront nécessaires au redressement des services de santé congolais. Ils doivent être mis en soins intensifs de toute urgence si l’on veut éviter leur faillite définitive. Est-il encore temps ?