Ce littoral est aujourd’hui menacé par l’érosion marine qui le grignote inexorablement de tempête en tempête, tout particulièrement au nord de la ville océane. La mise en évidence de ce fait est récente (une vingtaine d’années) et peu d’études ont été menées pour en expliquer la raison.
Situés au contact des terres émergées et des espaces maritimes, les littoraux, constituent un milieu fragile situé à l’interface des influences terrestres, marines et atmosphériques. Le relief du littoral reflète celui de l’intérieur des terres : côtes élevées des régions montagneuses, qui tombent dans la mer, ou des plateaux tranchés au couteau par le littoral ; côtes basses des plaines et des bas plateaux. Il révèle aussi les caractéristiques des roches : côtes rocheuses et découpées, sculptées dans des roches dures ; ou, comme ici, côtes plates et rectilignes des plaines sableuses ou argileuses. L’action des vagues, des embruns, de la marée et de ses courants façonnent les rivages et les reliefs côtiers.
Les vagues transportent l’énergie du vent : une partie de celle-ci se dissipe dans les moutonnements et autres turbulences en cours de route, et la fraction résiduelle se dissipe dans les vagues déferlantes de bord de côte et en friction exercée sur le rivage. L’érosion marine s’exerce principalement sur les littoraux par leur action qui est un puissant agent de destruction.
Les débris déplacés par les vagues sont repris par les courants de marées qui cheminent le long des rivages. Leur étalement dans une baie occasionne le dépôt des sables et des galets à l’origine des plages. Près d’un promontoire, les sédiments se déposent en bancs allongés, ancrés sur l’obstacle, formant lorsqu’ils émergent des cordons ou des flèches littorales susceptibles de fermer l’entrée des estuaires et des baies ou de rattacher une île au continent. La côte congolaise au nord de la capitale économique est de ce type, les sédiments ont tendance à s’y déposer.
Le site historique de Loango, où était établie la première capitale de la région et qui fut l’un des pires ports négriers de toute la côte atlantique de l’Afrique, est exemplaire pour constater le phénomène tel qu’il se présente au Congo. Nous en possédons un historique précis.
La côte de Loango aux alentours de 1900 est protégée des vagues par un important cordon littoral (lido).
Lorsque qu’en 1960 l’Institut Géographique National (France) dresse sa dernière carte d’état major de la région, ce lido est toujours présent bien que sensiblement différent, il a déjà considérablement perdu de sa puissance et s’est déporté vers la côte. Les cartographes y font pourtant figurer un cordon dunaire qui permet d’en juger l’importance. La côte demeure très semblable à ce qu’elle était soixante ans plus tôt. La terre a même gagné sur la mer à l’embouchure de la Rivière Rouge qui descend des gorges de Diosso.
Les anciens de Loango nous disent que ce cordon était toujours visible au milieu des années 80. Ils nous disent aussi qu’à la suite, les larges plages, où enfants ils aimaient jouer et se baigner, ont disparu. On sait aussi que depuis la disparition des lagunes où le poisson venait frayer, des espèces halieutiques ne sont plus présentes, on n’y pèche presque plus de variétés côtières et sédentaires.
Dans les années 90, les riches ponténégrins et les expatriés qui viennent passer le week-end dans leurs résidences secondaires de la Pointe Indienne, commencent à s’inquiéter de l’érosion qui vient mettre en péril leurs paillotes. Ils installent à grands frais des protections plus ou moins efficaces que la mer vaincra toujours plus ou moins vite.
Les autorités commencent à se rendre compte de l’avancée de la mer sur les terres lorsqu’il est question d’établir le long de la plaine côtière un nouveau tracé de la route nationale N°5. Le BCOM chargé de l’étude sonne l’alerte et l’ORSTOM rend des conclusions alarmantes. L’avancée de la mer serait de l’ordre de 4 ou 5 mètres annuels. Aucun observatoire n’est cependant mis en place pour déterminer
la vitesse de progression de l’érosion.
Le cimetière de Loango est un monument national, de nombreuses personnalités aussi bien congolaises qu’expatriées y reposent pour leur dernier sommeil. C’est un lieu fréquenté où l’on peut observer le recul de la côte.
Jusqu’en 1986, une frange de terre de plus de 150m le sépare de l’océan. En 2001, un chemin est encore praticable entre le cimetière et le rivage, en 2002, il a disparu et la même année des tombes sont menacées. Ce n’est que lorsque les premières sépultures sont attaquées par les flots en 2003 que le scandale éclate.
Aujourd’hui les tombes de Félix Tchikaya, premier député noir à l’Assemblée Nationale Française, et son fils Tchikaya U’tamsi l’un des plus grands écrivains congolais, hier encore centrales dans le cimetière ne sont plus qu’à une quinzaine de mètres de l’estran ; cette interface ambiguë entre terre et eau appartenant tantôt à l’océan quand la mer est haute, tantôt au continent lorsque la marée est basse.
L’émotion est grande, les familles et les élus se mobilisent. Il est évident que des mesures conservatoires doivent être prises pour sauvegarder la nécropole. De nouveaux terrains sont acquis pour déplacer de quelques centaines de mètres le cimetière. Les familles engagent d’importantes dépenses pour déménager les sépultures sur ce nouvel emplacement.
L’érosion marine grignote la bande de terre comprise entre la route menant vers Bas-Kouilou et la mer, à une vitesse de quatre mètres par an. Cela signifie que la route est amenée à disparaître si un plan d’urgence n’est pas actionné afin de mener des études et d’apporter des solutions viables. Disparition de cette plaine littorale qui, selon les habitants des environs, a déjà considérablement rétréci, signifie qu’une partie du département du Kouilou sera coupée de la ville de Pointe-Noire, à moyen terme.
En effet, entre Loango et Holmoni, la plaine est étroite. Cette zone, de plus en plus urbanisée en dépit des textes législatifs qui la réservent à des installations à vocation touristique, risque purement et simplement de disparaître. Du côté de la Pointe-Indienne, quelques résidents avaient engagé des travaux onéreux pour la protection de leurs petites cases. Ils se retrouvent les pieds dans l’eau. Nombre d’entre eux ont dors et déjà perdu leur habitation. Ce sont des dizaines de kilomètres de côte qui sont ainsi en danger si rien n’est entrepris pour enrayer la progression de l’océan.
La nature est très conventionnelle, elle déteste changer ses habitudes et ses règles sont immuables. Par quel phénomène une côte étant faite pour recevoir des apports en matériaux est-elle devenue une côte qui en perd ? L’érosion de la baie de Loango n’est donc que la manifestation apparente d’un phénomène se produisant en amont.
De nombreuses propositions sont faites pour enrayer les effets de cette érosion. Toutes visent à contrer l’effet des vagues en recherchant des systèmes de protection physique du rivage. Elles consistent à traiter les symptômes sans s’attaquer à leur cause. La question importante est donc éludée.
Plusieurs hypothèses sont émises pour expliquer cette inversion des règles :
– L’élévation du niveau de la mer. Elle n’a été, nulle part au monde, mise en évidence.
– Le contre effet du pompage du pétrole qui aurait abaissé le niveau du plateau continental. Absurde, nous disent les experts pétroliers.
– Le contre effet du dragage du port de Pointe-Noire [1]. Les courants marins sont dirigés du sud vers le nord, donc de Pointe-Noire vers Loango.
L’approfondissement du port jouerait le rôle de piège à sable. Les matériaux n’étant plus charriés par les courants, ils ne peuvent plus se déposer où ils le faisaient par le passé.
Aucune de ces explications ne reçoit de démonstration parfaitement convaincante. Il paraît donc indispensable de mener une étude océanographique et peut-être géologique pour déterminer la cause initiale du phénomène. C’est seulement ensuite, lorsqu’on aura compris de manière certaine les causes de ce changement géologique que l’on pourra rechercher des solutions efficaces pour lutter contre le phénomène et rendre à la côte son aspect d’antan.
Photos ©Ya Sanza/Congopage sauf la photo aérienne ©AVG.
Cartographie Ya Sanza sur bases IGN 1958 &1960.
Carte Loango 1900 d’après un document établi par monsieur Bernard de Raunies.