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Rentrée littéraire 2006 (4), "Dans la foule" (Ed. Minuit) : magistral Laurent Mauvignier !!!

En quelques cinq romans, Laurent Mauvignier - dont nous avons recommandé le dernier livre sur notre Blog - est devenu une des voix majeures de l’espace littéraire français. Qu’on ne nous reprenne plus cette mauvaise chanson dont le refrain est aussi maladroit que la voix des interprètes qui l’entonnent : la littérature française est morte depuis longtemps, que son âme repose en paix ! Non, non et non ! Laurent Mauvignier m’avait déjà ébloui avec son Apprendre à finir, Prix du Livre Inter 2001 (éd. Minuit), livre que je portais comme une chanson - justement ! - et que j’ai discrètement glissé vers les dernières pages de mon Verre Cassé, aux côtés de Jean Echenoz, lorsque mon personnage "alcoolique", chassé par son épouse, retrouvera un petit mot de celle-ci sur la table : apprendre à finir ; et un autre mot : Je m’en vais (titre d’un roman d’Echenoz). Laurent Mauvignier, Jean Echenoz, Christian Gailly et Eric Chevillard représentent aujourd’hui le souffle de la prestigieuse maison d’édition Minuit - qui a publié l’oeuvre de Marie Ndiaye. Il est clair qu’en ouvrant les pages de Dans la foule de Mauvignier, je les lisais avec déférence et admiration, m’arrêtant à chaque paragraphe, savourant longuement cette langue tour à tour directe et poétique, ce ton aérien, cet univers habité par des personnages plus qu’attachants - et les romanciers savent que les plus beaux sont souvent les personnages secondaires, ces comparses qui fondent la réussite de tout roman, lui donnent de l’épaisseur, de la densité et confortent l’imaginaire de l’auteur...

Dans la foule nous offre l’éclat d’une amitié, presque à la Steinbeck de Des souris et des hommes, une amitié entre deux fans, Geoff Andrewson et Tonino, qui se rendent à Bruxelles afin d’assiter au "match du siècle". Mais voilà, les deux n’ont pas de billets, et encore moins de logement sur place. Il va falloir se débrouiller. Par tous les moyens ! C’est donc l’errance dans une ville inconnue qui débute jusqu’à la rencontre de Gabriel - un ange ? - qui les traîne avec sa bande dans un petit bistrot. Gabriel fête en effet son nouveau job, et rien n’est plus excitant que de convier à une telle réjouissance deux inconnus sans doute envoyés par l’esprit de la fortune. Les inconnus portent chance. Pas toujours, et on va vite l’apprendre avant d’en finir...

Laurent Mauvignier

Cette invitation va alors avoir de lourdes conséquences aussi bien pour l’hôte et sa copine. Les deux inconnus viennent de comprendre que leur bon Samaritain Gabriel possède en réalité deux billets pour ce "matcyh du siècle". Ils ne vont plus avoir qu’une idée en tête : les lui subtiliser dès qu’il sera distrait. Ce qui est fait... Gabriel prendra-t-il le rôle du dindon de cette ingratitude ? Quelle sera sa réaction lorsqu’il croisera les deux inconnus aux abords du stade ? La bagarre n’est pas loin. Les couteaux aussi. Et dieu seul sait que la rage des suppoters est au-delà de celle d’un taureau qui aperçoit une étoffe rouge. Une bagarre pour le moins minime, mais qui prend les contours du très célèbre conte d’Hampaté Bâ : Il n’y a pas de petite querelle : effondrement du mur du stade, cadavres, et bien d’autres dommages collatéraux... L’occasion pour Mauvignier de regarder autrement le phénomène du hooliganisme, de la violence dans les stades. Un roman qui hisse la tragédie au sommet de l’art, pour le bonheur et la jubilation du lecteur. Dans la foule a d’ailleurs reçu hier (31 août)le Prix du roman de la Fnac 2006, et il faudra parier que ce livre ne s’arrêtera pas là...


LES EXTRAITS de "Dans la foule"

Nous deux, Tonino et moi, on n’aurait jamais imaginé ce qui allait arriver - Paris au-dessus de nos têtes et cette fois on ne s’y arrêterait pas. On a glissé sous Paris et les wagons du métro filaient vers la gare du Nord, sans que ni Tonino ni moi ne nous disions, tiens, et si on s’arrêtait quand même voir le temps et l’argent qu’on n’a pas nous filer entre les doigts ?

Non, on ne s’est pas arrêté, on a filé comme ça jusqu’en Belgique, sans regarder la France et le temps qu’on laissait derrière nous, sans attendre que Tonino agite ses mains, larges comme on imagine celles d’un boxeur ou d’un désosseur de vieilles voitures, en spatules, carrées, robustes, pour nous promettre des moments formidables.

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Je me souviens, dans le train, de l’impatience et des filles qui posaient leurs mains sur le haut de leurs jambes ; leurs sourires crispés ; les jupes qu’elles tenaient serrées contre les cuisses en évitant les invites et les ricanements entendus de mes frères et de leurs amis. Comme si les maillots et les écharpes ne leur étaient pas connus. Comme si... quoi ? je ne sais pas. Je n’ai jamais été aussi supporter qu’eux. Je n’ai jamais su y croire complètement. Et pourtant, les Reds, c’est une histoire de famille, un mythe bien plus important dans ma famille que les Beatles pour les voisins, avec les disques et les affiches qu’ils pouvaient pourtant allaient chercher jusque de l’autre côté de Sefton ou de Wirral - mais chez nous, c’était les Reds qu’on se passait entre hommes, depuis ma naissance à moi, en soixante-dix, date à laquelle ils étaient allés en finale de la Coupe des coupes.

Editeur : Editions de Minuit - 2006

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