Très attendu à Pointe-Noire depuis la publication sur internet de sa première lettre à Denis Sassou Nguesso et son marathon politique à Paris, Lyon, et Brazzaville, le général le plus dissident du Congo se pose en défenseur de la légalité et en chantre de la démocratie. Fustigeant ses amis d’hier, et en particulier son compère Sassou Nguesso, flagellant une opposition de circonstances, il fait le pari de réunir autour de lui tous les déçus de la « Nouvelle Espérance ».
Au terme de l’assemblée générale tenue à Pointe-Noire, dans l’amphithéâtre de SUECO, plein comme un œuf, le président du Cercle des Républicains pour un Nouvel Ordre National (CRNON), le Général Emmanuel Ngouélondélé, a intronisé les instances départementales de son parti. En retour, les élus l’ont plébiscité dans une motion de soutien.
Le "Hibou" Emmanuel Mongo Ngouélondélé est considéré par la majorité présidentielle, comme étant porteur du germe de trouble à l’ordre public. Ce Général, a servi 12 années durant sous Denis Sassou Nguesso, au poste prestigieux de Directeur Général de la Sécurité d’Etat avant d’en démissionner en 1995 pour cause d’incompatibilité. De part l’union entre son fils Hugues Ngouélondélé, actuel député-maire de Brazzaville et Ninelle Sassou, fille de Denis Sassou Nguesso, qu’il appelle affectueusement mon ami, il est apparenté à ce dernier. Ce lien familial déstabilise plus d’un observateur du paysage politique du Congo, certains subodorant une manœuvre concertée entre les deux hommes. Si ce n’est pas le cas, le général ne manque pas de toupet [1] : « Sassou fait pire que Lissouba. » n’hésite-t-il pas à dire devant son auditoire.
Dans ce jeu du chat et de la souris, le président de la République sait que le Général résistant n’a pas les moyens de ses ambitions au moins pour trois raisons :
– Faire la politique s’est être élu. Le Général n’a pas pu être député dans son propre village à Gabomba ;
– Il est moins côté dans le cercle des faiseurs de présidents en Afrique ;
– Il faut des moyens financiers pour battre campagne sur l’étendue du territoire national.
En revanche, force est de constater que son propos, s’il ne dessert pas Sassou dans la marche vers la magistrature suprême, reste l’un des plus audacieux :
Ce jour là dans l’amphithéâtre de Sueco à Pointe-Noire, le général nous aura servi un discours un peu fade et peu révélateur. Par contre, le débat de plus de trois heures, qui s’en suivra montrera toute la détermination de l’homme à se positionner en adversaire vrai du pouvoir en place et de ses inconséquences. Le moins qu’on puisse dire est que Ngouélondélé ne se soucie pas le moins du monde du "politiquement correct".
« Chers membres du Cercle des Républicains pour un Nouvel Ordre National de Pointe-Noire, mesdames, messieurs, chers invités, je voudrais du haut de cette tribune vous adresser mes salutations les plus fraternelles, et vous exprimer toute ma joie d’être parmi vous ce 18 novembre 2006. J’imagine également votre joie à tous, parce que je sais que depuis quelques mois vous m’attendiez déjà. Je vous remercie donc d’être venus nombreux me rencontrer. Tout à l’heure, à la fin de mon propos, je voudrais échanger, débattre avec vous sur le sens de ma démarche, de mon combat, j’allais dire de notre combat commun.
Au terme de cette assemblée générale dont je trouve les résultats satisfaisants, je tiens à vous remercier, à vous féliciter tous pour tant de disponibilité, d’activité, de combativité et de conviction. Aux membres élus du conseil départemental, de son bureau exécutif, et de sa commission d’évaluation et de compte, je vous adresse toutes mes félicitations pour avoir mérité la confiance de l’assemblée générale. J’espère que vous déploierez tous les efforts possibles et que vous saurez faire preuve de suffisamment de sacrifices pour continuer à mériter cette confiance. Ce n’est qu’à ce prix que nous atteindrons les objectifs que le Cercle des Républicains pour le Nouvel Ordre National s’est fixé. Chers frères membres du CERNON Pointe-Noire, comme j’ai eu à le dire il y a quelques jours avec vos collègues de Brazzaville, il y a au sein de notre association ce je serais tenter d’appeler deux pactes :
– Un premier pacte qui nous lie à Dieu, lui qui est le maître des circonstances et des destins, c’est le pacte qui me lie au Seigneur notre Dieu.
– Le second pacte qui lie l’homme à l’homme : C’est le pacte qui me lie, moi Président à l’ensemble des membres de notre association.
Chers compatriotes, le premier pacte, vous avez compris me concerne moi seul. Le second pacte, va à partir d’aujourd’hui nous unir par un seau qui s’appelle : La cohésion, la solidarité, la responsabilité, la probité morale, l’amour du travail, le pacifisme, le sens de l’Etat.
Mes chers compatriotes, voici bientôt plus de deux ans, que je me suis levé pour m’interroger, pour dire haut et fort « Congo où es- tu ? Où vas-tu ? ».
J’ai eu à plusieurs occasions à faire le diagnostic de notre Congo malade. De façon consciente et unanime de la situation dramatique, voir chaotique de notre pays. Devant l’état de paupérisation insupportable du peuple, face à l’arrogance d’un pouvoir qui méprise, qui humilie le peuple,( applaudissements), et qui ne sait plus lire l’expression du ras le bol populaire, signe avant coureur de la colère du citoyen, il ne nous reste plus qu à passer aux actes.
A Brazzaville déjà, j’ai appelé les partis politiques, associations et syndicats à sortir de l’hibernation, de l’immobilisme et de la torpeur. A Pointe-Noire, notre capitale économique où je me trouve, j’interpelle messieurs le président de l’Assemblée Nationale et le président du Sénat, les honorables députés, les vénérables sénateurs, de Pointe-Noire, pour leur résignation coupable, devant le désarroi, la détresse du peuple et pour leur responsabilité collective devant l’histoire. A l’élite intellectuelle et politique de Pointe-Noire, je vous invite dès cet instant à vous unir à nous afin qu’ensemble nous organisions les conditions d’un changement tant entendu et souhaité par notre peuple.
Mes chers compatriotes, mesdames et messieurs, chères sœurs et chers frères du CERNON, comme promis, nous allons pouvoir déclarer clos les travaux de notre assemblée générale pour passer maintenant à la séance des questions-réponses. »
Le débat
Emmanuel Mongo Ngouélondélé est un homme volubile, il répondra longuement aux questions posées. Nous vous livrons à la suite ce qui nous paraît être l’essentiel de son propos.
De la démocratie :
...les partis politiques doivent impulser la démocratie, sachant que la démocratie n’est pas un slogan. Je l’ai dit à Brazzaville et à Paris. La démocratie est un ensemble de valeurs, la démocratie c’est la différence et non le rejet de l’autre, c’est aussi le compromis permanent.
Du CRNON :
Notre association est régulièrement inscrite depuis janvier 2004, au ministère de l’intérieur de la République. Donc, le 25 Février 2006, était la date retenue pour sa sortie officielle. Hélas, au nom de la démocratie "à la congolaise" nous avons vécu une interdiction de notre sortie officielle : Le désordre... Cette interdiction je la considère comme une intolérance du pouvoir de Brazzaville. Les autres partis peuvent tranquillement procéder à leur sortie officielle. Mais quand c’est l’association du Général Ngouélondélé, considéré comme le "hibou de la République", il faut l’en interdire.
Le Cercle des Républicains pour le Nouvel Ordre National (CRNON), est une association à caractère politique. Oui, son objectif c’est de permettre à tout le monde d’aller au pouvoir.
... si on me dit : « Ngouélondélé, prends la tête de l’Etat », je la prends mais pas pour moi. Si c’est pour de l’argent, j’ai ma pension. Je suis un Général, et j’ai ma maison en location.
De l’enrichissement illicite et de la corruption :
...c’est la situation dramatique, chaotique du pays qui m’interpelle...
... il y a des universitaires qui gèrent le pays, ils disent que la politique est un art. Si faire la politique c’est pour devenir milliardaire demain avec des comptes à Hong-Kong, Dubaï, Abu-dhabi, je n’ai pas envie de devenir un homme politique. Je réitère qu’en tant qu’officier Général, je suis obligé de lever la main pour dire ça suffit, il faut arrêter...
... Mais qu’est ce que vous voulez que ça me foute d’être à la remorque des milliards, j’ai 69 ans, non. Tous les dirigeants aujourd’hui, sont en train de dilapider le trésor, de dépouiller les richesses du pays surtout à Pointe-Noire. L’argent, toujours l’argent, les immeubles, les voitures, voilà le modèle. Tous nous serons enterrés dans une caisse de quatre planches le nez vers le haut !
Moi je connais deux riches au Congo : Ebina et Ntié-ntié. Les autres se sont fait de l’argent sur le dos de l’Etat. Ils ont le trésor de Pointe-Noire qui est la soupape disponible.
Les partis politiques sont devenus des propriétés foncières à vendre. Leur leader négocie leur adhésion à la majorité moyennant des privilèges. La corruption est devenue un modèle.
De la fonction publique :
...je pense qu’une projection générale me fait dire que le pays n’est plus respecté. Jadis le Congo était respecté au sein du Moyen Congo et de l’AEF, les autres nations ont pris de l’avance sur nous. J’ai, peur que notre fonction publique soit la plus médiocre. Nos cadres civils comme militaires n’ont plus de valeur.
De sa rupture avec les hautes fonctions :
...j’étais chef d’état major spécial, mais j’ai fini par démissionner en 1995. Je voulais apporter ma petite expérience à la République après les guerres civiles de 92 et 93. J’ai demandé au président Lissouba de faire faire un point de presse par le premier ministre avec pour point focal la suppression des milices privées afin qu’il ne donne plus de prétexte aux autres, (ils s’appellent Bernard Kokelas, avec ses ninjas, Denis Sassou Nguesso avec ses cobras). Dans la même direction de confier la République aux forces de l’ordre et à la défense. Il y avait le colonel Damas Ngolo à l’état major et le colonel Etat Anka qui étaient capables de gérer le destin du Pays, il ne m’a pas écouté. Le 23 Août 1995, je suis parti. Oui, il y a les hommes politiques qui font des promesses mais moi je ne fais pas de promesse en l’air.
Lorsque le président Sassou revient aux affaires en 1997, après les guerres civiles nous pensions que les choses allaient changer. Mon cher Kakou, Sassou fait pire que Lissouba !
Je suis prêt à le lui dire s’il m’en donne l’occasion. Le pays est pire que pendant le régime de Lissouba. Ceux qui ne le disent pas à Sassou, est ce parce qu’ils aiment Sassou plus que vous et moi ? Non, ils veulent préserver leurs privilèges. Je pense que le pays connaît le chaos, il y a péril en demeure et je le dis. Voilà la différence entre moi et les autres qui se réclament de l’opposition ou de la majorité.
De la misère et des pénuries :
Nous vivons au quotidien dans ce pays. Le drame aujourd’hui c’est de voir les enfants congolais mendier dans la rue. Mais la mendicité ne fait pas partie de notre culture. Pourtant le bon Dieu nous a tout donné. Je disais à l’occasion de ma conférence de presse le 11 Septembre dernier que les congolais sont estimés à trois millions d’habitants. Nous avons l’eau à foison (nord, sud, ouest, est). Pouvez-vous m’expliquer, au nom de quelle malédiction...même dans la capitale politique, arrosée par le fleuve Congo, le second en débit après l’Amazone, une manne qui coule au pied du lit de chaque brazzavillois, nous manquons de l’eau au robinet et quand elle coule, elle n’est plus potable ? Mais l’eau c’est le premier médicament que Dieu a donné sur terre. Nos mamans nous en procuraient avant de boire le lait maternel.
Aujourd’hui, le prétexte c’est la guerre. Mais la guerre est finie et curieusement nous ne sommes pas pauvre. En 46 ans d’indépendance le Congo n’a jamais connu de période aussi faste avec les revenus pétroliers hors budget. Paradoxalement c’est le moment où le Congo connaît plus de misère.
Sous la colonisation, le 5 Octobre 1945, quand je suis entré à l’école, la première année les parents et les maîtres avaient fait des bancs en bambou. A la deuxième année au CP2, le colon, bien que nous soyons aussi loin de Brazzaville, nous a envoyé les table-bancs.
Comment pouvez-vous m’expliquer, s’il vous plaît, comment le président de la République peut-il justifier, que sous la colonisation on connaissait les table-bancs, et qu’après 46 ans d’indépendance, il y ait des enfants de notre pays assis à même le sol, ardoise sur les genoux. Je ne sais pas s’il mesure la gravité de la détérioration du tissu social. Je vous dis entre nous, qu’il ne faut pas la moindre étincelle, quand je parle si oui mon compte est bon. Parce que je trouble l’ordre public, lorsque je fais le constat chaotique et dramatique du pays. Nous avons une autre guerre après celle du pool : La guerre du ventre.
Des listes électorales :
Comment allons-nous partir aux élections de 2007 et 2009, si vous et moi sommes obligés de nous servir de l’attestation d’Identité. Nous n’avons pas de carte d’identité nationale.
Il y a dans notre pays des laboratoires mafieux qui fonctionnent pour délivrer à qui veut l’acheter l’attestation d’identité nationale. Il y a des étrangers partout au Congo qui sont devenus des congolais. On peut donner notre pétrole aux étrangers, mais pas gratuitement la nationalité.
En 2002, on a donné des attestations d’identité aux frères d’en face, pour des besoins électoraux. Mais on est entrain de démolir notre pays. Par quelle loi, demain, vous allez dire, monsieur vous n’êtes pas congolais, retournez chez vous !
Tant que ces problèmes [de nationalité] ne sont pas résolus on ouvre un boulevard de la prochaine consultation à l’actuel Président de la République.
De son passage à la sécurité d’Etat :
A la Conférence Nationale Souveraine (CNS), tout le monde a tapé sur les services de la Sécurité d’Etat, arguant que c’était un instrument de répression au service d’une personne. J’ai plaidé pour le maintien de ce service, proposant qu’on change sa dénomination en : Direction Générale de la Documentation. Hélas, ils l’on dissous. Conséquence le Congo est devenu un moulin. La drogue, la fausse monnaie, les armes et même les espions, rentrent et en sortent comme ils veulent.
Oui, il y a eu des bavures quand je dirigeais la Sécurité d’Etat. Tous les services de protection d’Etat en font : La CIA, le KGB, La DST... Je suis prêt à en répondre même devant la cour internationale de La Haye.
De la sécurité nationale :
C’est vrai que la guerre est finie. Mais force est de constater que les trains qui font la navette Brazzaville-Point-Noire-Brazzaville, sont convoyés à mi-chemin par les force de l’ordre, à mi-chemin par les bandes armées (Ninjas), du pasteur N’tumi. Alors est-ce ça la paix ? Dans quel pays celà se passe-t-il comme ça ?
Les armes de guerres circulent à Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie et dans le Pool. Mon petit frère N’tumi en a encore des cargaisons. Il est important que ces armes soient retirées afin qu’on aille aux élections en toute quiétude. Il y a encore trop de haine dans le pays.
Des exilés :
... oui j’ai des rapports avec les exilés. Quand j’étais chef d’état major particulier de Lissouba, ce sont mes petits les Mougounga Guila. D’aucuns disent que j’ai signé un accord avec Moungounga Guila, c’est absurde je n’ai pas besoin de signer un accord avec lui pour dire que le pays va mal. Ce qui est important c’est vous. Ce ne sont pas les Tamba-Tamba, Moungounga, Ngoto, Moukouéké, Mabika et les autres qui sont en exil.
Au nom de la paix il faut signer une loi d’amnistie générale au lieu de les faire venir individuellement. A partir de là ceux qui ne veulent pas rentrer, ce sera leur problème. Mais le Président de la République s’acquitterait ainsi d’un devoir.
De la constitution de 2002 :
...une constitution qui est aussi ambiguë, ce n’est pas normal. L’article 114 de notre constitution dit que le Président de la République ne peut pas dissoudre l’Assemblée Nationale, deuxième alinéa : l’Assemblée Nationale ne peut pas démettre le Président de la République. Et vous voulez que je vous dise quoi ?
Adresse au Président :
Le vrai propriétaire de la légitimité, c’est toi, alors prends tes responsabilités...
Emmanuel Mongo Ngouélondélé ne serait donc pas en quête du pouvoir, mais de pouvoir réaliser ce qu’à ses yeux Sassou aurait dû faire. Sa prise de position semble claire, pourtant il est sanglé dans les brancards de son passé et dans les liens familiaux qui l’unissent avec le clan présidentiel. Lourd passif pour obtenir la confiance des congolais qui ont l’habitude de voir les promesses électorales systématiquement galvaudées. Super Flic est-il en mesure de se muer en Super Président ? Le fait est que s’il est aussi légaliste qu’il prétend être, il sera lors de l’échéance 2009 frappé par la limite d’âge constitutionnelle. D’autres dans le même cas se sont déjà déclarés candidats. Sassou peut-t-il oser une révision constitutionnelle pour permettre à ces prétendants là de venir le défier ?