De passage à Paris pour la promotion de son dernier album, Saintrick est revenu sur son album et sur quelques unes des rencontres qu’il a faites au cours de sa carrière et ses projets
Saintrick est né au Congo-Brazzaville, mais se sent tout simplement Africain. La raison en est simple : l’artiste a passé toute son enfance au Sénégal, où il a vécu avec ses parents jusqu’à l’âge de 15 ans. Il est également tombé amoureux de la Centrafrique, où il s’est réfugié pendant les événements meurtriers (la guerre civile) du Congo-Brazzaville, entre 1997 et 1998. Il vit une partie du temps à Djibouti, ce pays de la Corne de l’Afrique qu’il a découvert il y a peu, et pour lequel il se bat afin que les nombreux talents artistiques qu’il y a décelés soient reconnus sur le plan international.
Il considère Ismaël Lô comme son parrain, parce que cet artiste est de ceux qui l’ont le plus encouragé dans le style qu’il s’est choisi. Un style de musique authentique, fait d’un savant mélange de rythme sénégalais et de sonorités de la tradition musicale congolaise.
Lentement mais sûrement, Saintrick poursuit sa voie, qui est sur une courbe ascendante à en juger par la pléiade de grands noms de la chanson africaine dont il a partagé la scène, de Manu Dibango à Youssou Ndour en passant par Salif Keïta.
De passage à Paris où il est venu faire la promotion de son dernier Album « Yékéti », un subtil cocktail de Mbalax, de Wala et de Dzébola, métissage interculturel africain oblige, nous l’avons rencontré, et il nous a livré son sentiment sur la situation de la musique africaine en général, celle des artistes du Congo-Brazzaville en particulier.
Les événements meurtriers du Congo-Brazzaville n’ont manifestement pas entamé l’ascension de votre groupe, les Tchielly. Comment expliquez-vous cela ?
Comme vous le savez, j’ai commencé à faire de la musique à l’âge de 15 ans. Mon groupe les Tchielly est né le 18 août 1988. En fait dans les années 80-90, il y avait une assez bonne dynamique à Brazza. Beaucoup de jeunes groupes aspiraient à faire une musique internationale, et ils y arrivaient tant bien que mal. Les Tchielly présentant un genre particulier avec ce mélange de rythmes d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale commençaient à tirer leur épingle du jeu lorsque la guerre est arrivée, et il nous a fallu partir pour nous mettre à l’abri.
Après plusieurs pérégrinations dans différents pays Africains, c’est en République Centrafricaine que j’ai décidé de m’installer, en attendant des jours meilleurs pour retourner au Congo-Brazza. Mais le sort en a décidé autrement, puisque nous nous sommes finalement installés à Dakar au Sénégal, le pays de mon enfance, où je vis maintenant.
Et vous avez continué à faire de la musique dans tous ces pays où vous êtes passés ?
La musique, on a essayé de la faire vivre partout, au-delà de tout, au-delà des guerres, au-delà des conflits. j’avais une détermination : c’était de percer dans ce style de musique, de ne pas laisser la guerre anéantir toute notre génération d’artistes, car je savais que peu avaient la chance de s’en sortir. La preuve, Zao, « notre ancien combattant » lauréat du prix découverte RFI 1982 a frôlé la mort lors de ces événements meurtriers. Aujourd’hui, fort heureusement, Zao redonne de la voix sur le plan international, nous rentrons d’ailleurs d’une tournée commune.
Qu’est ce qui s’est passé pour Zao ?
Zao a connu des drames, il faut savoir qu’il a passé plusieurs mois en forêt et qu’il y a perdu son fils de 4 ans, mort de déshydratation. Il m’a confié que s’il avait passé un mois de plus dans la forêt, il y serait resté. Quand je suis retourné à Brazza en 2003 lors du FESPAM (après six ans d’exil), j’ai rencontré Zao après un concert au stade Massamba-Débat. Il y avait chanté devant le président de la République. Au sortir de là, Zao marchait dans la foule dans l’anonymat total, alors que tous les artistes congolais ou étrangers invités au FESPAM avaient voiture et chauffeur. Le fait que dans la foule personne ne reconnaissait Zao m’a énormément touché. Il m’a demandé de l’aider, d’un point de vue professionnel en me disant ceci : « petit frère, toi qui es là-bas, fais quelque chose pour moi ». Un an plus tard, à Dakar, lors de l’Africa fête de décembre 2004, j’ai tout fait pour que Zao soit programmé et c’était officiellement son retour sur la scène internationale.
Le public était content. Zao n’était pas fini, même si certains journaux avaient annoncé qu’il arrêtait la musique.
Toujours dans le cadre d’Africa fête, le 3 juin dernier, nous avons joué à Marseille, ensuite à Djibouti pour la fête de la musique. C’était la deuxième fois pour moi, la première était en 2001. Cette fois-ci, nous avons joué devant 20 000 personnes, sur l’esplanade du palais du peuple de Djibouti. L’accueil était très enthousiaste.
Quelle est la solution pour relancer la musique congolaise, la faire renaître de ses cendres ?
La seule solution pour relancer la musique congolaise, c’est de placer un ou deux artistes sur orbite.
J’ai eu la chance de travailler avec des géants de la musique africaine comme Youssou Ndour, Baaba Maal, Manu Dibango, Salif Keïta, Ismaël Lô et Koffi Olomidé.
Nous avons enregistré un disque ensemble dans le cadre du PNUD [Programme des Nations unies pour le développement] qui s’intitule : « Nous sommes les tam-tams » avec dix-sept grands Africains comme Angélique Kidjo, Salif Keïta, Cheb Mami, Baaba Maal, Ismaël Lô, Meiway, Koffi Olomidé, Youssou Ndour, Manu Dibango et d’autres. Il sort en août.
En tant que Brazzavillois, je suis fier de dire que j’ai participé à cette œuvre. En fait, c’est la deuxième fois que je participe à une telle initiative. La première fois, c’était en 2001, avec l’album « Buildings Bridges », auquel j’ai contribué et dont le directeur artistique était Youssou Ndour. Ce disque a très bien marché en Europe et notamment à Londres. J’y ai contribué avec ma chanson Lyo mama, en hommage à ma mère décédée lors des événements de 1997-98 au Congo-Brazzaville.
Saintrick, comment vous situez-vous par rapport à votre pays ?
Tout artiste est, qu’il le veuille ou non, ambassadeur de la culture de son pays. Je suis un ambassadeur de la musique. Le problème de la musique au Congo-Brazzaville est le manque de structures. On ne sait pas comment manager les artistes. Raison pour laquelle j’ai tenu à mettre en place une structure qui gère à la fois les artistes, le management et la technique.
C’est au contact des grands artistes comme Youssou Ndour ou Manu Dibango, que j’ai côtoyés pendant un mois dans le cadre de son spectacle de Ouagadougou que j’ai compris cela. Les différents échanges que nous avons eus au cours de cette période ont d’ailleurs été déterminants pour moi. Manu m’a confié qu’il appréciait ce que je faisais : ma musique. Il m’a aidé à trouver ma voie. Et pour en revenir à Zao, j’ai compris qu’avec Zao, nous pouvions redorer le blason de la musique congo-brazzavilloise.
Vous repartez à Dakar, quels sont vos projets pour la suite ?
Nous venons de terminer la tournée Africa fête et aussi la promotion de l’album « Yeketi ». Je dois préparer la fête à Zao (son anniversaire) qui aura lieu le 14 octobre à Paris et à laquelle j’ai été invité. Comme chaque fin d’année depuis cinq ans, les Tchelly et moi-même devons honorer notre rendez-vous annuel de fête de fin d’année à Djibouti. J’y collabore avec un artiste djiboutien très talentueux, que je veux aider à se lancer sur la scène internationale.
Et avec mon groupe, nous travaillons sur notre prochain album et sur notre prochaine tournée en Afrique et en Europe. Mais là, dans l’immédiat, nous rentrons à Dakar, pour nous ressourcer dans ce pays culturellement très riche, qui regorge de festivals et de rencontres avec des tas d’artistes d’horizons différents. On n’a pas le temps de souffler, notre quotidien est fait de répétitions, créations, pour rester au top. Fignoler le spectacle que nous allons présenter à Brazzaville est aussi une de nos priorités.
Vous ne laissez donc pas tomber Brazzaville ?
[rires] Comme je le dis souvent, je n’ai jamais autant aimé Brazza que depuis que je l’ai quittée. J’ai compris en voyant Youssou Ndour évoluer à Dakar que ma réussite dépendra de l’importance que je donnerai à mon peuple et que celui-ci à son tour me donnera.
J’aimerais que l’Etat Congolais reconnaisse mon rôle d’ambassadeur de la culture congolaise à travers le monde. J’ai déjà inscrit en lettres d’or le nom du Congo-Brazza à plusieurs niveaux. Mais il faut que ces lettres d’or soient visibles par les autorités du pays. Je pense que d’une façon générale, les artistes peuvent contribuer énormément au recollement du tissu social déchiré par les guerres ou les conflits. Nous devons tous nous y mettre, afin que les nouvelles générations puissent bénéficier non seulement d’un continent en paix, mais aussi d’une bonne et solide politique culturelle, pour que, dans le cas du Congo par exemple, revienne le sourire qu’on a toujours connu de Brazza la Verte.
Par Solange SAMBA TOYO
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