jeudi 17 juin 2004, par David Cadasse
Le reggae est plus que jamais une musique de revendication et de lutte. Une arme que s’est appropriée l’artiste franco-congolais Jahwise, qui n’a décidément pas la langue dans sa poche. Si bien qu’il s’est fait tiré dessus en novembre dernier à Brazzaville à la sortie d’une émission radio. Intimidation ou réelle menace, il n’en a cure. Car sa musique est un combat qu’il compte bien mener jusqu’au bout. Quoi qu’il arrive. Interview.
Personne ne fera taire Jahwise. Le reggae man franco-congolais, qui vient juste de sortir son troisième opus (Justice), est résolument un artiste militant pour qui la musique est une arme. Ses propos dérangent. Comme en témoigne le fait qu’il se soit fait tirer dessus en novembre dernier à Brazzaville à la sortie d’une émission de radio. De son vrai nom Serge Jacquemin, Jahwise, 31 ans, a trouvé son chemin dans le reggae où il assume son rôle de protestataire comme un devoir.
Afrik : Comment expliquez-vous que vous ayez été la cible de coups de feu à Brazzaville ?
Jahwise : J’étais invité à une émission sur Radio Liberté, une radio proche du pouvoir, pour parler de mon dernier album. J’ai commencé à critiquer ouvertement le régime à l’antenne, ce qu’aucun artiste n’avait osé vraiment faire jusque-là. Quand je suis retourné au pays l’année dernière, ça m’a fait mal. La guerre était terminée depuis quatre ans mais rien n’avait changé. Le pays n’a pas évolué et nous en sommes toujours au même point. Alors j’ai abordé les problèmes de corruption des organes de l’Etat et de l’incurie des hommes politiques. J’ai expliqué qu’il était irresponsable de leur part d’entretenir un tel immobilisme. Ce n’était pas la première fois que je m’exprimais de la sorte mais c’est sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Afrik : Vous dénoncez, notamment, le systeme sous le terme de « politique du perroquet ». Qu’est ce que ça signifie exactement ?
Jahwise : Pour cela je citerai les paroles d’une de mes chansons qui résume bien le concept. « Tu disais que tout allait changer. Fini le chômage, fini la pauvreté. Mais depuis le temps rien n’a changé. Pas de droits de l’homme, pas de respect. Les fonds publics sont toujours détournés et le peuple est toujours affamé ». En clair : les politiciens promettent des choses qu’ils ne font jamais.
Afrik : Qui vous a tiré dessus ?
Jahwise : Quand je suis sorti de la radio, j’ai entendu des rafales. J’ai d’abord cru que quelqu’un tirait en l’air, mais c’est vers moi qu’on tirait. C’était des hommes en vert. Les personnes autour de moi se sont mises à courir pour se mettre à l’abri. Et j’en ai fait autant. Le fait est qu’on m’avait prévenu. Suite à mes différents passages dans les médias locaux, mes frères (rasta, ndlr) m’avaient dit de faire très attention. Que je parlais trop. Que j’étais trop direct et trop engagé.
Afrik : Porter de telles attaques contre le régime sur l’antenne d’une radio pro-gouvernementale n’est-il pas un acte un peu trop provocateur ?
Jahwise : Quitte à finir en martyr, au moins j’aurais fait quelque chose pour nous, pour l’Afrique. J’ai parlé en toute sincérité et là où je vois que ce n’était pas vain c’est que j’ai gagné le respect de beaucoup de gens grâce à ça. Et au sein de la communauté rasta, et au-delà.
Afrik : Quelle est l’essence de votre militantisme ?
Jahwise : J’ai vécu l’injustice et le racisme durant toute ma jeunesse. Au Congo et en France. Au pays, l’attitude raciste de certains gens d’église m’a, par exemple, profondément choqué. Ils faisaient semblant d’aimer les Noirs mais ils nous traitaient comme des moins que rien. Cela fait d’autant plus mal qu’on était chez nous, dans notre pays. Ça a contribué à semer en moi les graines de la révolte. Quand je suis arrivé en France, on m’appelait « bamboula ». C’est tout ça qui m’a fait me lever pour dire à tous d’arrêter la stupidité. Le reggae est une musique de revendications et les miennes sont de dire non à l’oppression, non à la corruption etc...
Afrik : Comment avez-vous embrassé la culture rastafarie ?
Jahwise : Mon arrière grand-mère portait des locks, même si elle ne les montrait pas. Tout comme ma mère. Mon arrière grand-mère était très mystique, c’est elle qui protégeais toute la famille. Nous étions très proches quand j’étais petit. Elle disait de moi que j’étais « son mari » et que j’allais être son « successeur ». Je m’y refusais jusqu’à la révélation, l’année de mes dix-huit ans. J’ai rêvé qu’elle m’apposait les mains sur le corps. Depuis ce jour, j’ai décidé de me laisser pousser les locks et j’ai commencé à m’instruire du côté spirituel, sur la culture rasta. J’ai fait un grand travail sur moi-même.