Le Congo-Brazzaville cache volontairement ses revenus pétroliers pour échapper à ce qu’il appelle ses créanciers vautours. Un vœu assez surprenant fait par son premier ministre ce 23 janvier 2006 sur les ondes de RFI, Radio France Internationale. M. Isidore Mvouba reconnaît protéger l’argent du pays grâce à des mécanismes parfois peu orthodoxes.
Pour en parler et pour évoquer aussi la réaction des institutions internationales, Christophe Boisbouvier, présentateur de Invité Afrique sur RFI a reçu , ce 24 janvier 2006, Sarah White de l’ONG anglo-américaine Global Witness.
Christophe Boisbouvier : Sarah White, bonjour !
Sarah White : Bonjour !
C.B : Quel est le tour de passe-passe qui permet au Congo-Brazzaville de dissimuler une partie de ses revenus pétroliers ?
S.W : La dernière révélation qu’on a eu en décembre, c’est que le PD-G de la SNPC, Société nationale des pétroles du Congo, est en train de vendre le pétrole de l’Etat à des prix inférieurs à ceux du marché à des compagnies écrans et privées contrôlées par lui-même. Les bénéfices de ces ventes ont été transférés dans une autre société privée contrôlée toujours par M. Ngokana. Il y a un conflit d’intérêt flagrant parce que c’est le chef de la compagnie pétrolière nationale qui vend du pétrole à des compagnies contrôlées par lui-même.
C.B : C’est-à-dire Denis Ngokana qui est l’un des proches du président Sassou Nguesso est à la fois le président de la SNPC et le président de l’une de ses sociétés écrans, Africa Oil Gas Corporation ?
S.W : Oui, il est le chef de trois entreprises écrans. C’est à ces entreprises que le pétrole de l’Etat a été vendu. Il y a aussi le chef de la branche marketing de la SNPC, le fils du président Sassou Nguesso. C’est lui aussi qui a supervisé ces ventes de pétrole à des prix inférieurs aux prix du marché.
C.B : Alors, ce qu’il faut dire Sarah White, c’est que tout ce montage financier a été mis à jour un peu par hasard. C’était le 25 novembre dernier quand un juge de Londres a condamné l’Etat congolais à rembourser une partie de ses 100 millions de dollars US de dette à l’égard d’un fond d’investissement américain ?
S.W : Oui, c’est ça. Il y a eu un jugement à Londres. Le juge a dénoncé le manque de transparence dans le témoignage de la République du Congo. Dans le cas de M. Ngokana, le juge a dit qu’il ne croyait pas à son témoignage.
C.B : Alors, le premier ministre du Congo-Brazzaville reconnaît à présent qu’il a mis en place ce qu’il appelle des mécanismes peu orthodoxes pour dissimuler une partie des revenus pétroliers de son pays à la vue de ce qu’il appelle des créanciers vautours. Sous-entendu, c’est un montage patriotique. Est-ce que ce n’est pas un argument tout de même ?
S.W : Moi, ce que je dirai, c’est qu’il n’y a aucune information sur les sommes d’argent qui ont été cachées par ce mécanisme peu orthodoxe. Où sont passés ces revenus ? Est-ce qu’ils sont dans comptes à l’étranger ? Est-ce qu’ils sont dans des paradis fiscaux ? C’est ça le problème. Alors, moi, je dirai que cette dernière révélation du gouvernement congolais n’est que la dernière d’une longue série de révélations. D’après nos calculs et selon les propres chiffres du ministère des finances du Congo et de la SNPC, en 2004, il y avait une différence, un écart de quelques 300 millions de dollars US.
C.B : Ce qui veut dire qu’en 2004, il y a eu un trou de 300 millions de dollars US entre ce que la SNPC a touché et ce que le Trésor public congolais a reçu.
S.W : Oui, c’est ça.
C.B : Le premier ministre congolais reconnaît que le jugement de la Cour royale de justice de Londres du 25 novembre dernier a provoqué le report d’une rencontre très attendue avec le FMI, Fonds monétaire international, en vue de l’annulation de la moitié de la dette publique du Congo-Brazzaville. Où est-ce que l’on est aujourd’hui avec le FMI ?
S.W : Bon, ce qui est clair, c’est que la rencontre entre le Congo et le Conseil d’administration du FMI n’apparaît plus sur le calendrier de cette institution financière. Apparemment, il n’y a pas eu d’accords entre le Congo les bailleurs pour l’accès de ce pays à l’initiative des Pays pauvres très endettés, PPTE. Il se peut qu’ils soient en train de renforcer les conditionnalités pour l’accession du Congo aux PPTE. Mais il n’y a aucune information publique là-dessus.
C.B : On sait que dernière la fermeté du FMI, il y a aussi la fermeté de la Banque Mondiale et de son président, l’Américain Paul Wolfovitch. Le 15 novembre dernier, à Paris, Jacques Chirac a plaidé la cause du Congo-Brazzaville auprès de Paul Wolfovitch. Mais cela n’a pas suffi.
S.W : La France est le créancier bilatéral le plus important du Congo. La France, apparemment, soutient la politique de la bonne gouvernance afin de lutter contre la corruption. Personnellement, je ne comprends pas pourquoi la France peut plaider la cause du Congo dans les conditions actuelles.
C.B : Mais vous connaissez l’excellence des relations entre Jacques Chirac et Sassou Nguesso ?
S.W : Je ne saurai pas le dire. Il semble qu’il y a une contradiction entre la posture que la France a prise pour appuyer le dossier du Congo (auprès des institutions du Brettons Wood) et les révélations de ces derniers mois sur (la gestion du pétrole de) ce pays.
C.B : Sarah White, merci.