On savait sans doute que la presse panafricaine de Paris se débrouille pour mériter son rang. Mais les chiffres que publie “ Le gri-gri International ” révèlent une réalité où le racket publicitaire des Etats côtoie une corruption rampante de Jeune Afrique L’Intelligent, le plus important de ces médias, par les gouvernants africains douteux.
L’affaire fait grand bruit dans le petit monde médiatico-politique de la Françafrique. C’est que dans son édition du 10 mars 2005, l’équivalent africain du “ Canard enchaîné ”, le bien nommé “Le gri-gri International ” a révélé les opérations financières, à la lisière de la corruption, de “Jeune Afrique” devenu “l’Intelligent ” dans la plupart des pays de l’Afrique francophone
Si l’achat de leurs consciences par les dirigeants africains n’était jusqu’alors un secret pour personne dans les millieux de la presse panafricaine de Paris, y compris certaines rédactions africaines de grands médias français, aucun journal, aussi téméraire fût-il, n’avait jusqu’ici publié des éléments de preuve, notamment les chiffres. C’est ici tout le mérite de l’enquête du bimensuel satirique panafricain.
“ Le gri-gri International” s’est procuré le détail des encaissements africains de JAI à la date du 16 janvier 2004. Présentés comme “ des contrats de communication ”, ces documents qui portent sur une quinzaine de pays de la zone d’influence française en Afrique révèlent d’importantes sommes payées par des potentats africains au journal du franco-tunisien Béchir Ben Yamed. Quelques exemples suffisent à édifier sur une pratique dont le dénominateur commun est qu’ils paient des articles de presse rédigés en faveur de régimes très souvent connus pour leur mépris pour la bonne gouvernance et la démocratie. On retrouve ainsi, par ordre croissant, les Comores du putschiste reconverti en homm e de l’unité de l’île Azali qui aboulent 250.000 euros ; le Rwanda d’un Paul Kagamé qui bâtit une démocrature dominée par son ethnie (tutsie) minoritaire dans le pays. Il casque 350.000 euros pour polir son image.
Le Togo de Eyadéma le sergent devenu “ sage de l’Afrique ” qui a tué il y a quarante ans de ses propres mains le premier président élu de son pays. Il a lâché 380.000 euros pour que son image de garant de la stabilité et de la paix soit (à jamais ?) promue par JAI. La Mauritanie de ce Maouiya Ould Taya qui emprisonne son principal challenger et ex-président à la veille d’une élection présidentielle a casqué quelque 500.00 euros. La Guinée équatoriale de Obiang Nguema, le potentat rendu mégalo par le pétrole et qui contraint ses principaux opposants à l’exil offre quant à lui 800.000 euros. L’Algérie de Bouteflika qui s’est fait réélire l’année dernière avec près de 70% de voix donc “ sans bavures ”, bien que son ministre en charge des élections ait interdit au principal parti d’opposition de se choisir le candidat de son choix donne 950.000 euros.
Le Maroc de Mohammed IV, “ une démocratie monarchiste ”, qui a été le premier à reconnaître la prise illégale du pouvoir au Togo par le fils du dictateur décédé en plein vol, Eyadéma, lâche quant à lui 994.000. Le Cameroun du président Paul Biya est le premier à atteindre la barre du million d’euros, avec exactement 1 million. Un Ppte qui se démène comme un beau diable pour mériter son rang compte-t-il dans la distribution de petits cadeaux à ses souteneurs internationaux, même quand cela n’empêche pas de masquer la désolante réalité que les bailleurs de fonds et les chancelleries occidentales connaissent jusqu’au bout des ongles et qui nous vaut de temps en temps d’échouer ? Voire. En tout cas, Jeune Afrique ne manque pas de s’offrir, pour contredire, les rapports des Ongs de défense des droits de l’homme. Tel celui de la Fidh sur notre pays intitulé la “ Torture : une pratique banalisée et impunie ”.
Des chiffres qui donnent le tournis
La palme de la générosité vis-à-vis de JAI revient au nouveau doyen de chefs d’Etat de la Françafrique, Omar Bongo Odimba du Gabon. Il a décaissé la rondelette somme de 2,9 millions d’Euros soit quelque deux milliards de Fcfa. Peut-être paie-t-il pour deux !
Si au siège de l’hebdomadaire de la Rue d’Auteuil à Paris, on présente ces importants “ encaissements ” africains comme le règlement d’exécution de “ contrats de communication ” signés en bonne et due forme entre ces pays (clients ?) et Difcom, la régie publicitaire de JAI, il reste que les spécialistes de la déontologie journalistique ne comprennent pas très bien pourquoi le célèbre hebdomadaire n’indique pas assez clairement chaque fois qu’il écrit ses articles qu’il s’agit de “ publi-reportage ”, et par voie de conséquence payer le prix correspondant au fisc français d’une part. D’autre part ces spécialistes des médias relèvent dans le même temps que ce magazine ouvre des pages, au demeurant réduites, pour la publicité, les publi-informations et les “points de vue ”. Des espaces tous payants.
En tout état de cause l’on aura remarqué que dans nombre de cas, le ton de la rédaction de “ Jeune Afrique l’Intelligent ” change radicalement du jour au lendemain, de préférence après la signature de tels contrats avec différents pays à gouvernance critiquable. C’est par exemple le cas avec le Rwanda dont jusqu’en fin 2003, Paul Kagamé qui n’avait sans doute pas encore compris ce qu’il faut faire pour s’assurer la complaisance de la presse panafricaine, se voyait régulièrement brocardé par l’hebdo de la Rue d’Auteuil. Il a suffi seulement qu’entre temps la présidence de la république du Rwanda “ parle bien ” comme le révèle la facture (de 350.000 dollars Us) du 31 décembre 2003 envoyée par Difcom, d’ailleurs confirmée un mois plus tard exactement le 22 janvier 2004, par une lettre de François Soudan, le vice-président et Directeur des rédactions de JAI. Destinée à son “cher Modeste (Rutabayiru, le très influent conseiller de Paul Kagamé en charge de la presse, ndlr)”, cette lettre contient le plan de “ reportage ” au Rwanda du patron de la rédaction de JAI. Depuis lors, Paul Kagamé et son Rwanda sont tout ce qu’il y a de beau, de démocratique et de modèle de pays uni dans une région des Grands lacs africains tourmentée.
Mercenariat journalistique et racket publicitaire
Ce serait sans doute la même stratégie qui se déploie depuis l’année dernière au Congo Brazza. Bien que les encaissements directs de Brazzaville n’apparaissent pas sur les documents disponibles, l’on remarque depuis le second semestre 2004 un changement radical de ton de ce JAI (et François Soudan) à propos de Sassou, le beau-père de Bongo, jadis critiqué pour sa tendance à recourir à la force pour reprendre le pouvoir perdu par les urnes après la conférence nationale du début 90. Il n’est plus désormais perçu par François Soudan et son journal que comme un homme d’expérience seul capable d’assurer au Congo la stabilité nécessaire au développement. Au point que une affaire comme celle des “ disparus du Beach ” dont JAI s’ était auparavant régulièrement émue devient dans une édition récente une simple histoire rocambolesque inventée à la limite par les opposants du “ bon ” général Sassou. D’autres pays en crise tels le Congo-Kin sont approchés par JAI. Avec jusqu’à récemment moins de bonheur. Ce qui leur vaut un traitement pour le moins “ journalistique ”.
En attendant sans doute qu’ils se résolvent à virer une partie de leurs maigres ressources pour assurer “ la grandeur ” et “ le sérieux ” de l’hebdo de la Rue d’Auteuil. D’aucuns soutiennent alors que la méthode du journal de Béchir Ben Yamed qui à une époque fut crédité de développer un actionnariat comprenant nombre de dirigeants d’Etats africains décolonisés, se résume en un chantage au vitriol aux dirigeants africains souvent illégitimes. Qui finit toujours par payer surtout lorsqu’on a des choses à cacher. Une méthode condamnable que ce magazine donneur de leçons d’éthique et de professionnalisme reproche si souvent, pour mieux les discréditer, aux publications locales africaines. L’arroseur arrosé quoi !
Par Alex Gustave AZEBAZE
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Le 21-03-2005