Après huit mois de procès, le Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire était passé à la vitesse supérieure le mercredi 20 Décembre : Plaidoiries et réquisition avaient en fin marqué le tournant de cette fameuse affaire dite " banale". « Je requiers trente six mois de prison avec sursis et trois millions d’amende pour Christian Mounzéo et Brice Makosso » annonçait le Ministère public.
A l’issue d’un procès rocambolesque, ponctué par quatre audiences au cours desquelles accusation et défense se sont plus préoccupées de procédure que de faits, le Tribunal finalement différait ses conclusions à huitaine.
Accusé d’abus de confiance et faux et usage de faux, par monsieur William Bouaka, secrétaire général du RDPH, Christian Mounzéo a fait transiter par les comptes du RDPH des fonds destinés à une organisation tierce, la coalition Publiez ce que vous produisez dans le golfe de Guinée. Cet argent n’a pu sortir des comptes qu’avec l’aide d’un troisième personnage, Brice Makosso, coaccusé.
Pour William Bouaka et ses conseils, tant bien même ces fonds auraient t-ils été destinés à la coalition « Publiez ce que vous produisez dans le golfe de Guinée », ils ont bel et bien transité par les comptes de la RPDH. La clause de mouvements de fonds nécessitant la signature de monsieur William Bouaka, le délit est bel et bien établi. En conséquence, il en réclame la restitution.
Pour la défense, cet argent n’ayant jamais eu pour destinataire le RDPH, mais bel et bien la coalition Publiez ce que vous produisez dans le golfe de Guinée, le dossier est vide.
Il faut bien voir que si cette affaire avait opposé des quidams X et Y, personne ne l’aurait relevée, mais ici s’opposent des membres d’organisations de défense des droits de l’homme et qui plus est, ceux-ci ont dénoncé d’obscures et juteuses magouilles dans le secteur pétrolier congolais. Les organisations internationales montent donc au créneau dénonçant une atteinte à la liberté des droits de l’homme au Congo tandis que les sieurs Christian Mounzéo et Brice Makoso entament leur chemin de croix : mandat d’arrêt, geôles durant une quinzaine, perquisition, scellés, instruction, audience, restriction de liberté.
C’est donc une affaire de gros sous. Enjeu 2000 dollars et 3000 livres sterling que tout le monde revendique.
Maître Ambroise Hervé Malonga plaidant pour la défense, cherche le vice de procédure puisque personne ne conteste que les fonds ont bel et bien transité irrégulièrement par le compte du RDPH :
Revient-il au Procureur de la République d’établir un mandat d’arrêt ?
Pourquoi les prévenus ont-ils été mis dans les geôles sans être mentionnés à la main courante au commissariat central et en suite transférés au commissariat du port avec interdiction d’être assistés par les avocats ?
Quels sont les documents qui ont été altérés ?
Où sont les scellés ?
Où sont les banquiers ?
Il plaide aussi le délit d’opinion : « Ces jeunes ont eu le malheur d’avoir regardé de près la gestion du pétrole congolais, ce qui explique l’acharnement des services de répression »
Dans sa conclusion il a demande la relaxe pure et simple de ses clients et cinquante millions de francs CFA de dommages et intérêts.
Une semaine plus tard, la salle se remplit à nouveau pour l’audition du verdict. Culpabilité pour les deux accusés mais verdict clément : 12 mois de prison assortis du sursis et 300 000 francs d’amende, les accusés devant restituer les fonds disparus au RPDH.
On pourrait s’arrêter là, mais ce serait sans compter avec l’intransigeance des deux parties, les accusés comme le parquet décidant de faire appel.
Au sortir de l’audience du 20 décembre nous avions rencontré Maître Marcel Goma, avocat de la partie civile, avocat à la cour, constitué pour la défense des intérêts de William Bouaka, plaignant depuis Avril 2005, contre Christian Mounzéo et Brice Makosso.
Daniel Lobé Diboto : Maître, la partie civile a axé sa plaidoirie sur les chef d’accusation d‘abus de confiance et de faux et usage de faux. Il m’a semblé que la défense conteste votre constitution de partie civile parce que vous n’avez pas demandé réparation. Qu’en dites-vous ?
Me Marcel Goma : Se constituer partie civile ne signifie pas forcement demander une réparation pécuniaire, en l’occurrence William Bouaka, au moment où il a déposé sa plainte au niveau du parquet, agissait au compte du RPDH, dont il était le Secrétaire Général et ce n’est pas contesté même si pendant les plaidoiries on a soutenu qu’une Assemblée Générale s’est tenue à la suite de laquelle il a été relevé de ses charges. Vous avez dû constater que cette décision n’a jamais été signifié à Bouaka, par conséquent nous avons expliqué au Tribunal que, en guise de constitution de partie civile, William Bouaka demandait tout simplement que les sommes d’argent qui ont été retirées du compte de l’ONG RPDH, lui soient restituées. Nous avons signifié au Tribunal à l’audience du 11 juillet 2006, que la parte civile demandait au Tribunal de condamner Mounzéo et Makosso à restituer à l’ONG « RPDH », les sommes détournées par les prévenus.
DLD : La défense pense que le dossier est vide.
MG : C’est de bonne guerre, la défense use d’un son de cloche que nous avons déjà entendu, que nous allons entendre et que nous entendrons toujours. Je vous invite respectueusement à observer de très près les plaidoiries quand il y a procès. Vous irez dans les prétoires, c’est une rhétorique qui revient toujours : « Le dossier de l’accusation est vide ».
Dans cette affaire on trouve près d’une quinzaine de chèques faisant état de sommes d’argent retirées du compte de la RPDH, ces sommes ont été retirées par la compagne de monsieur Mounzéo.
L’association RPDH, possédait d’autres membres que William Bouaka et Christian Mounzéo. Même si on semble dire qu’à cette époque là, Bouaka et Mounzéo ne s’entendaient plus, il y a des règles. N’oublions pas qu’il s’agit d’une association chargée de défendre les droits de l’homme et à cet égard elle prône la transparence, cela contraint à une gestion orthodoxe des fonds qu’elle reçoit. En terme de principe c’est le minimum, donc si, d’après Mounzéo, mon client William Bouaka était indisponible, pourquoi n’a-t-il pas utilisé un autre canal au sein de l’association ?
N’aurait-il pas été préférable que Mounzéo s’adresse à un autre membre du RPDH pour lui dire : « Nous avons des opérations à réaliser mais comme il faut deux signatures et que William Bouaka est indisponible pour sortir les fonds, vous monsieur Tartempion, membre de l’association intervenez dans cette opération. »
Là aurait été la transparence mais ce n’est pas ce qui a été fait. Du reste je vous fais observer que ni Bouaka, ni Mounzéo, ni personne n’a été capable de présenter une seule facture qui aurait été établie par un fournisseur auquel cas les sorties d’argent de la banque correspondraient au paiement à telle ou autre facture. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a eu une totale opacité dans le mouvement des fonds qui sont passés entre les mains de Christian Mounzéo et de Brice Makosso.
DLD : Maître entre l’opacité et le faux et usage de faux, la défense soutient également que vous n’avez présenté aucune pièce altérée.
MG : Là encore, vous savez c’est très facile de dire oui, mais il n’y a pas de preuve, il n’y a pas d’éléments altérés. Moi, je me permets de vous renvoyer respectueusement à un souvenir. Nous étions au procès du Beach il y a près d’un an, là aussi vous avez bien vu que la défense et même la presse n’avaient qu’une seule rhétorique, c’était de dire que oui mais il n’y a pas de preuve, quand bien même il y avait des preuves effarantes et patentes. En l’occurrence Mounzéo a écrit a la banque pour dire que Makosso devait dorénavant cosigner les chèques ou contre signer les chèques et il a présenté Brice Makosso comme étant un membre de l’association
.
L’Episcopat a inondé la presse tant nationale qu’internationale pour dire qu’on ne comprenait pas pourquoi Brice Makosso était traqué et accablé dans ce procès là alors qu’il n’est pas membre de la RPDH. Donc les faits parlent d’eux même.
Je n’ai jamais vu une seule carte d’adhésion qui atteste que Brice Makosso est membre du RPDH. En réalité Brice Makosso qui milite depuis un certain temps dans des associations de droits de l’homme n’est pas membre de la RPDH, mais d’une association appelée « Publiez ce que vous produisez dans le golfe de Guinée ».
DLD : Justement parlons en. On dit que les fonds qui ont été utilisés n’étaient destinés au RDPH, mais plutôt à la coalition « Publiez ce que vous produisez dans le golfe de Guinée », là nous ne comprenons plus rien. Qu’est ce qui devait se passer normalement ?
GM : C’est un nouveau son de cloche, vous savez ce sont des arguments de bas étage. Ce procès dure depuis près d’une année et cette explication n’a jamais été fournie. Pendant de longs mois il n’a jamais été question de sommes destinées à la coalition « Publiez ce que vous produisez dans le golfe de Guinée ». En réalité les fonds donnés par Global Witness et Fonds Defender de madame Denawert l’étaient en direction et au bénéfice de la RPDH qui est effectivement membre de l’association « Publiez ce que vous produisez ». Je persiste et je signe, ces sommes d’argent étaient destinées au RPDH, et les fonds arrivés ont atterri dans les comptes du RPDH. A cet égard, je voudrais si vous le permettez vous faire une brève observation sur une question de droit qui a été discutée pendant les plaidoiries. Les gens disent que les donateurs ont renoncé à toute action contre Brice Makosso et Christian Mounzéo, donc on ne comprend pas le procès qui est fait à ces infortunés, mais la réponse en droit est toute simple. A partir du moment où vous donnez un bien meuble ou immeuble à un tiers, vous perdez pour ce bien : l’usus, le fructus et l’abusus. Donc vous n’avez plus aucun droit dessus. Que vous renonciez à la poursuite d’un bénéficiaire pour une telle affaire, est un faux débat.
DLD : Pendant les plaidoiries, vous avez qualifié Mounzéo de récidiviste, a quoi faisiez vous allusion ?
GM : Tout le monde sait que monsieur Mounzéo était préalablement membre de l’OCDH, c’est notoire et même mondialement connu que Mounzéo a milité à l’Observatoire Congolais des Droits de l’Homme (OCDH), et si vous menez quelques recherches même sommaires à cet égard, vous constaterez que là aussi c’est pour des manipulations de fonds qu’il a été radié de cette association.
DLD : Maître, le ministère public a requis trente six mois de sursis et trois millions d’amende pour Christian Mounzéo et Brice Makosso, pensez-vous que c’est cher payé comme le pense la défense ?
MG : Effectivement la défense a crié au scandale, mais lorsqu’on est convaincu de faux et usage de faux et d’abus de confiance le maximum c’est cinq ans. Donc finalement à bien y regarder le ministère public s’est situé à mi chemin de la peine prévue et du plafond. Le ministère public aurait pu aller bien plus loin. Nous intervenons pour la partie civile dans cette affaire donc les questions liées à la peine ne nous concernent pas. Maintenant il appartient au Tribunal de trancher sereinement.
DLD :Parlant du Tribunal, est ce que traditionnellement un délibéré peut être sujet d’un différé ?
MG : Oui, le Tribunal est souverain, il est seul maître de son calendrier et de son programme. Comme l’a dit le ministère public cette affaire est une affaire de droit commun totalement banale. En réalité on peut comparer cette affaire à un petit vol d’un tas de mangues sur un étalage. Si ce n’est l’amplification qui a été mené par une certaine presse pour des raisons que je comprends d’ailleurs pas, mais dans tous cas ça reste une affaire banale, on a voulu la politiser outrancièrement, elle reste une banale affaire d’escroquerie.
DLD : Alors pour vous maître Marcel Goma le dossier Mounzéo est clos ?
MG : Peut être pas, je ne saurais le dire parce que comme vous le savez, il existe les voies de recours, j’imagine que messieurs Mounzéo et Makosso si d’aventure ils étaient condamnés feront appel. Je puis vous dire que nous de la partie civile si notre conseil n’était pas accueilli, il est bien certain que nous irons devant la Cour d’Appel pour faire valoir le droit.
DLD : Merci maître.
Que le gouvernement soit ravi d’attirer quelques problèmes à Mounzéo qui ne le ménage guère, nous n’en doutons pas une seconde, mais voyons les choses avec un peu d’objectivité.
Mounzéo a lui-même fourni le bâton pour se faire battre. Alors qu’il se savait exposé, le transit de ces fonds par le compte d’une organisation tierce était bel et bien une imprudence proche de la provocation. Si l’organisation destinataire ne possédait pas de compte, pourquoi Mounzéo n’en a-t-il pas ouvert un ?
Alors que Mouzéo est présenté par les associations internationales de défense des droits de l’homme comme un danger majeur au pouvoir de Sassou, on peut s’étonner qu’il n’ait été retenu que durant 15 jours et que, il le reconnaît lui-même, il n’ait pas subi de "pressions" durant son incarcération,. Comment le régime "dictatorial" de Brazzaville a-t-il permis qu’une fois sorti de prison il ait pu voyager à sa guise à l’étranger et prononcer de tonitruantes déclarations.
De fait ce procès ne démontre que l’avidité des différentes parties :
Le RDPH qui voudrait récupérer des fonds qui ne lui ont jamais appartenu, comme en témoignent les donateurs,
Mounzéo qui prétend encore aujourd’hui empocher avec son compère la bagatelle de cinquante millions de francs CFA en récompense d’une maladresse de sa part.
Les ténors du barreau qui ont trouvé là une parfaite occasion de se faire mousser.
Finalement dans cette affaire, c’est la justice congolaise qui, jusque là, tire le mieux son épingle du jeu, déshonorée aux yeux de l’opinion internationale à l’issue du procès du Beach, elle a agi lors de cette affaire avec une mesure dont personne ne la croyait capable.
Considérant que l’Etat est bafoué dans ce verdict qui reconnaissant les accusés coupables ne les condamne qu’au minimum légal, le procureur Loemba prend la mouche et part en appel argumentant que les faits étant avérés les accusés auraient dû être condamnés à une peine médiane soient 30 mois de prison avec sursis et 2,5 millions d’amende.
A contrario, la défense restant sur ses positions, fait elle aussi appel pour rechercher l’acquittement et le dédommagement.
La partie civile, dont la requête a été satisfaite, devrait s’abstenir.
La banale affaire Mounzéo va donc continuer à faire couler de l’encre.