Michel Innocent Peya : Non à l’alternance absolue

Michel Innocent Peya, citoyen congolais dont on n’a pas fini d’entendre parler, est un homme qui aime les symboles et, le mythe fait partie des symboles. Ce samedi 5 juillet 2014, alors que Christel Nguesso (le fils de l’autre) cherchait à « conscientiser la jeunesse congolaise » à Paris ( dans la très coûteuse salle du Palais des Congrès, Porte Maillot ) Michel Innocent Peya, docteur en management financier, tenait une conférence à Bruxelles, dans le non moins prestigieux Hôtel « Steigenberger » afin de promouvoir son essai sur les risques de l’alternance absolue en Afrique, en l’occurrence au Congo.

Cet essai déjà évoqué ici (http://www.congopage.com/Michel-Innocent-Peya-le-mythe-de-la-termitiere), met en exergue un mythe : celui de la termitière. Plutôt que de parler de mythe on devrai plutôt parler en terme de « modèle d’organisation ». Cependant, dans la société Mbochie, « Peya » qui symbolise le « jumeau » (Koumou aussi) est un nom à connotation mystérieuse comme le sont les rites qui entourent la double, triple ou quadruple naissance. Du rite au mythe il n’y a qu’un pas.

Film pédagogique

C’est dans une salle de près de 150 personnes que l’auteur a exposé sa thèse sur le dilemme du bon sens et de l’alternance. Bien avant la présentation de l’ouvrage, un film a été projeté ; en fait il s’agit d’un sketch joué par des comédiens rdécéens sur le conflit des générations quant à l’avenir de l’Afrique. Au centre de ce film pédagogique (assez drôle) se situe l’ouvrage du colonel Michel Innocent Peya, clef pour une Afrique en paix grâce à la démocratie à l’africaine. C’est que ces sociétés qu’on disait anhistoriques par Hegel ou dénuées de logique par Lucien Levy Bruhl disposent, en vérité, d’instruments de régulation politique. Les conflits sont traités de manière à éviter violence et destruction. Loin d’être statiques, ces sociétés bougent et, le changement y trouve sa place. La désignation d’un chef est fondée sur la palabre, l’« ossambé » mbochi et aurait, selon l’auteur, le mérite d’épargner à la société de sanglants déchirements comme ce fut le cas en Irak ou en Libye. Selon des rites appropriés, l’intronisation du chef passe par un passage dans la forêt (le bois sacré) où, comme dans une boîte noire, tout ce qui s’y passe est entouré du sceau du secret car c’est de l’ordre de la magie. De ce fait un chef doit être charismatique. En clair n’est pas chef qui veut. La tradition veut que la légitimité vienne de l’au-delà (entendez des ancêtres). Bien qu’invisibles, les parents disparus continuent d’agir au milieu de ceux qui sont en vie. Van Wing, ethnologue et missionnaire Belge, ne dit pas autre chose quand il affirme que le clan est l’interaction de ceux qui sont sur terre et de ceux qui sont sous terre : «  vivants sont les morts ».

Bruxelles capitale européenne

Michel Innocent Peya aime les paradigmes puisque, en plus de la symbolique cinématographique illustrée par le documentaire qui étaye son ouvrage, il met en jeu le modèle de la nature, en l’occurrence, la termitière, structure où des insectes organisent une vie sociale autour d’une reine. Déstabilisez seulement cette reine et vous verrez l’anarchie s’installer dans cette niche vitale. Serpents, crocodiles, margouillats, mille-pattes autant de sales bestioles s’y logent par la suite. Bonjour les dégâts.

Philosophie bantoue

Il va des termites comme des hommes dont la remise en cause du leader introduit le désordre dans l’organisation. C’est fort de cette vision des choses qu’Emmanuel Nzaou, a introduit la prestation de l’orateur en replaçant la ville de Bruxelles dans son contexte historique et politique. En effet, quiconque a lu le Révérend Placide Frans Tempels, également Belge, auteur de la Philosophie Bantoue sait qu’il vécut à Bruxelles. Or c’est de philosophie africaine dont il est question dans « Entre le bon sens et l’alternance absolue. L’Afrique à la croisée des chemins. » Ce n’est « pas rien  » que l’ouvrage ait été également présenté (après la France et l’Allemagne) en Belgique, pays qui abrite la capitale politique de l’Europe. Le présentateur E. Nzaou aurait pu évoquer également « La Table Ronde » en 1960 quand Lumumba arracha l’Indépendance au Roi Baudoin. Tout un symbole.

Après l’Europe, l’auteur ira présenter son ouvrage en Amérique et au Canada.

Grilles d’analyse importées

Du coup, la problématique de l’ouvrage (doit-on simplement faire le copier-coller des modèles occidentaux ? ) prend une dimension méthodologique plus pertinente dans la mesure où, précisément, la tradition européenne cartésienne encourage la rupture épistémologique ainsi que le signaleront les présentateurs Emmanuel Nzaou et Lucien Pambou, conscients qu’en matière de Sciences Humaines le mode opératoire typique de la philosophie est de ne pas stupidement copier des grilles d’analyses conçues pour des sociétés européennes sans liens empiriques avec le continent noir. Claude Lévi-Strauss parle de « pensée sauvage » pour étayer la thèse que chaque peuple a son bouillonnement de culture et dispose de la capacité de se projeter dans l’histoire sans l’aide de personne si ce n’est de sa propre histoire, de sa mythologie. « Quand donc l’Africain doit-il réfléchir par lui-même ? » s’emporte doucement l’auteur.

«  L’Europe a eu son histoire, l’Asie également. Pourquoi pas l’Afrique ?  » questionne Michel Innocent Peya en rappelant que
La France a changé cinquante fois de Constitution et les USA vingt-sept fois. Donc à ses yeux, Sassou est une école, au même titre que Mao, De Gaulle, Churchill. «  Roosevelt a eu recours à une limitation de mandat à cause de la maladie. sans plus a signalé l’auteur avant d’ajouter que Nelson Mandela pris pour modèle par le monde entier « félicita Sassou.  » Et, ce denier contribua activement à sa libération.

Les années 1990 furent celles de la Conférence de La Baule qui eut raison de Sassou bien que celui-ci, à la tête d’une forte armée aurait pu « défendre son pouvoir » bec et ongles. Mais il abdiqua. Et lorsque son remplaçant pris le flambeau, ce fut la « pagaille  » constate l’auteur.

Sassou « assoiffé de pouvoir » ? Et pourtant après la mort de Ngouabi en 1977 rappellera l’orateur « Sassou le refusa (le pouvoir) »... sans être auparavant « initié ». Ce n’est qu’après être « passé par la forêt » (donc en 1979) qu’il accepta. Comprenne qui peut.

Pour l’auteur : «  les malheurs du Congo sont arrivés après la démocratie : salaires impayés sous Lissouba, création de milices ; une décennie sanglante. » Mgr Ernest Kombo est pris à témoin par le colonel. En 1991 le prélat aurait mis le peuple en garde : « Il faut éviter qu’il y ait un dément à la tête du pays. » Hélas, la funeste prophétie arriva.

En la personne de qui ? La rédaction vous le donne en mille.

D’où la question : « L’alternance est-elle une bonne chose quand celle-ci déchire les peuples ?  »

Après l’exposé, vous vous doutez que la salle ne s’est pas croisée les bras.

Discussions

Les débats, très houleux, ont montré qu’il était du droit absolu de l’auteur de soutenir la thèse des limites de cette alternance en Afrique étant donné que le changement politique débouche sur des bains de sang. L’Irak, L’Egypte, La Tunisie, La Libye, la RCA sont pris à témoin pour apporter l’eau au moulin. Mais il était aussi du droit des lecteurs de l’ouvrage de manifester leur accord ou leur désaccord. On retiendra, dans la salle, la remarque d’un contradicteur qui s’est demandé, sourire en coin, si la reine de la termitière était la métaphore politique de Denis Sassou-Nguesso. Ce à quoi l’auteur (qui a rarement éludé les questions des auditeurs ) admettra qu’effectivement Sassou représente ce symbole pour avoir séjourné dans la forêt initiatique après la guerre du 5 juin 1997 afin d’y recevoir la consécration des ancêtres ; un mode opératoire typique justement de la philosophie bantoue du Belge Tempels.

Une autre preuve que la salle n’était pas entièrement acquise au colonel Michel Innocent Peya fut la question d’une intervenante Burkinabée relative au phénomène de rejet que suscitent les chefs d’Etats africains. Ils ne veulent pas changer la Constitution parce qu’ils se croient meilleurs et incontournables ; «  or ils devraient prendre le risque d’essayer de nouvelles personnes ; ce qu’ils ne font pas !  ». Voilà pourquoi on voudrait les virer. Inutile de rappeler ici que si Blaise Compaoré lit l’ouvrage du colonel congolais, il va adhérer rapidement au mythe de la termitière.

« L’homme n’est pas un insecte » a rappelé avec bon sens un auditeur. Là, en effet se situe l’un des axes majeurs de la critique qui pourrait être faite à l’auteur.

Selon l’éthologie, la différence entre les hommes en société et les animaux sociaux est que les premiers tuent par plaisir, les seconds par nécessité. Comparer les deux systèmes peut avoir ces limites dont parle Alexis de Tocqueville également cité dans la salle.

Simon Mavoula

Vue de l’auditoire
Peu avant la conférence
Un ûblic prompt au débat
Dans les coulisses de la conférence