Jacques Loubelo a fait l’objet d’un ouvrage (le premier depuis sa mort) édité par les Editions Paari sous la direction de Mawawa Mâwa-Kiese. Son titre « Honneur à Jacques Loubelo » indique, quelque part, que cet artiste extraordinaire n’a pas eu les éloges qu’exigeait le rôle qu’il a joué dans la construction symbolique du Congo notre pays.

L’ouvrage d’une belle facture se veut didactique. La couverture fauve de l’ouvrage donne à l’artiste un aspect atemporel quasi mythique. En fait personne n’a jamais donné un âge à Loubelo. C’est comme s’il avait toujours bercé le Congo depuis la Genèse et le fera encore jusqu’à la Révélation.

L’auteur, Mawawa, use d’une bonne méthodologie. Il juxtapose version congolaise et version française des textes de l’artiste comme pour verser le dossier au patrimoine de l’humanité. Il est vrai que pour avoir été repris par nombre de grands artistes (parmi lesquels Myriam Makéba) Jacques Loubelo avait déjà acquis une renommée planétaire.

Nul n’étant prophète chez lui, Jacques Loubelo a, comme de bien entendu, eu maille à partir avec la reconnaissance nationale (et cela durant des années) quand des griots volant au ras des pâquerettes étaient hissés au firmament de la gloire pour avoir crié très fort « Oyé, oyé soutien !  ». Il a également fait l’expérience de l’exil en Suisse. De plus, le fait d’avoir chanté (souvent) dans l’idiome de Matsoua alourdit gravement son dossier politique aux yeux des ethnocentristes aux commandes de la Nation.

Honneur donc à l’éditeur Mawawa pour avoir honoré son devoir de mémoire.

Analyse

Jacques Loubélo peut être classé comme chanteur "social total". Avec ses accords en gamme majeur, il a fait rire (Mwasi na ngai ayébi ko lamba ngando). Il a également fait pleurer avec ses accords en mineur comme dans ( « Na o tsétsa mou ndéko zadi  » ) . Enfin, il a instrumentalisé les concepts de l’amour comme pour rappeler que tout moralisateur qu’il était, il ne restait pas moins un cœur à conquérir et une âme en quête d’une...conquête : « Ntangou za nsoni mé ni ngué ni koué banzi... »

Même si « traduire c’est trahir » l’auteur, Mawawa Mâwa Kiese (lui-même excellent artiste) s’est employé de rendre compte, en français, du répertoire de l’artiste. La méthode a le mérite de donner une plus grande lisibilité internationale à ce saltimbanque du peuple ayant passé son existence à éduquer c’est-à-dire à faire de la politique sur le strapontin de l’honneur nationale (entendez : délivrer des conseils au Prince pour une excellente gestion de la cité)

Meilleur buteur

Jacques Loubelo, on peut le dire, fut un artisan de l’unité nationale. Il fut aussi le gardien « des buts » du Temple de l’identité kongo. Personne ne pourra lui reprocher son âme de conservateur. A l’heure où des nations se battent au Brésil pour la Coupe du Monde, si l’espace national était comparable à un terrain de football, Jacques Loubelo peut être considéré comme l’un des meilleurs buteurs culturels que les Muses aient jamais donnés à notre pays jugé l’outsider des pays pauvres et très endettés (malgré le pétrole)..

Restons dans les prolongations de la métaphore sportive pour pointer le titre « Congo, ékolo monéné to bonguissa yango Congo  » qui est à notre pays ce qu’est une équipe à laquelle l’entraineur manque d’imprimer une cohésion. Comme un joueur sur le terrain, Jacques Loubélo, en bon défenseur, s’est tué à marquer l’intolérance, le tribalisme, la gabegie, le népotisme, le crime politique - autant d’atouts que possède le camp des fossoyeurs de l’éthique et de l’esthétique. ( Wa kéti koula ntsi ni wo lwa kitoula mou nkouyou, - vous avez tué le libérateur).

« Honte à vous ! » aurait crié Sony Labou Tansi qui est à la littérature congolaise ce que Jacques Loubelo est à sa chanson : un supporteur qui n’a de cesse de crier victoire depuis les « les gradins du concert des Nations » ou encore depuis les plate-formes des rapports économiques.

Loubelo est parti sans se départir du seul message qu’il ait jamais délivré : « Je veux un Congo qui gagne ! » Or ce pays joue paradoxalement à qui « gagne, perd  ».

« "Mwasi na ngai a yébi ko lamba ngando té" » - est un thème qui fonctionne sur le même registre accusateur d’un monarque inculte en matière de gestion d’un Etat. Passons.

Constitution...musicale

A l’heure où le débat porte sur le changement ou non de la Constitution, c’est le lieu de rappeler que Jacques Loubelo a passé son temps à exiger de ceux qui nous dirigent de respecter les droits du peuple, - autrement dit de s’incliner devant les Ecritures de la Loi juridique.

Loubelo s’est écrié : « Congo, quel beau pays ! Construisons-le  ». Victor Hugo égrainant l’alexandrin de la sanction politique dans « La légende des siècles » s’adressait de la même manière aux Députés, c’est-à-dire aux travailleurs de la Loi.

Simon Mavoula

Mawawa Mâwa Kiesse : - « Honneur à Jacques Loubelo - Kembela Jacques Loubelo » - 39 p. - Editions PAARI - Paris 2014 ; 7,50 €