J’avais reçu voici à peu près une semaine le coup de fil de Milos Mouangassa Moukoutoumbala, tête d’affiche de l’écurie Morgan Mapinda Mapinda* l’un des meilleurs réalisateurs des documentaires sur la sapologie. « Va sur Youtube, tape "Norbat de Paris", clique "Tapage et Délire". Le sapeur a taillé un costard aux agents du Chemin d’avenir comme jamais aucun Play-boy ne l’a fait jusqu’ici Tu sais bien que je ne kiffe pas trop Norbat. Mais là je m’incline. Il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère et chaque agent public en a pris pour son grade »

Sans tarder, je suis allé sur le réseau social YouTube. Et là, je n’ai pas été déçu. A l’allure où va l’indignation générale au Congo, d’ici à 2016 Sassou risque de mordre la poussière de Talangaï.

Qui est Norbat de Paris alias Zarathoustra ?

Avec sa coupe à la Iroquois, Norbat de Paris est l’une des figures les plus atypiques de la «  sapologie  » (néologisme qui désigne le dandysme congolais le plus extrême). Sigmund Freud dirait de ce sapeur que c’est un castré qui a « liquidé son complexe d’Œdipe. » Rien ne lui fait peur, ni les mots ni les actes. Norbat se réclame sapeur et une frange de la jeunesse congolaise lui reconnaît cette légitimité. D’ailleurs une célèbre boutique brazzavilloise l’utilise comme mannequin pour sa pub. Si le médecin autrichien avait analysé Norbat, il parlerait de « l’homme aux crocos  » comme il parle de « L’homme au loup ». Norbat collectionne comme un fétiche les mocassins en peau de crocodile : des bleus, des verts, des rouges, des bordeaux etc. Il en possède de toutes les couleurs. Ces (ses ?) alligators viennent de Luozi, un confluent de la rive gauche du fleuve Congo dans le Bas-Kongo, région qu’il affectionne car il est fier d’être kongo/lari. Dans une autre vidéo où il se fait interviewer par la congolaise lari, Grace Mbizi, on apprend que les sauriens qui servent de matière première à ses chaussures se nourrissent de crustacés. Rien à voir avec les crocodiles carnivores et anthropophages de l’Alima, un affluent du Congo, rive droite. Norbat parle lari, lingala, français. Il passe d’un registre à l’autre sans préavis, ponctuant ses propos d’un redondant « Ozo comprendre ! ».

La commissure de ses lèvres est harponnée de piercing comme un Punk ou un Gothique. Norbat en veut à ceux qui versent des larmes de crocodile sur le Congo ; il poursuit avec obsession les reptiles qui rampent autour du Trésor de la République en y opérant des désastres mortels à notre économie. Il en veut surtout à un genre animal très nuisible : le renard par « l’odeur alléchée » personnifié en Afrique de L’Ouest par la caste des griots.

Norbat de Paris vient de Moutabala- quartier ouest de Brazzaville. Le sapeur vendait des produits pharmaceutiques à Bacongo. Son teint (ceci explique cela) est jaune papaye.

Nous savons tous qu’au Congo il y a deux mondes : celui des gens qui sont au courant des injustices mais ne parlent pas et celui de ceux qui parlent parce qu’ils ne peuvent plus se retenir. En tirant les bretelles aux épigones et aux antigones du chemin d’avenir, Norbat est entré dans la catégorie de ceux qui, indignés, ne veulent plus se taire et pratiquer la politique de l’autruche. Puis, last but not the least, Norbat est supporteur des Diables Noirs, yaka dia mama , Simba Nsakala.

Oui, il était temps que les sapéologues se jettent à l’eau et dénoncent le mbéba qui sévit au Congo..

Dans «  Tapage et Délire » Norbat s’est radicalement indigné. Il a été soumis à une batterie de questions par un excellent interviewer nommé Dicarsone One. Chapeau bas Dicarsone.

Voilà pour l’introduction.

Expression de la colère

Congolais ayant longtemps contenu sa colère, Norbat de Paris s’est alors lâché dans une vidéo sur Youtub. « Voilà un Congolais qui n’a peur de rien » note, ahuri, un internaute frappé par le franc-parler du sapeur/musicien Norbat.

Voyez comme les gens, même à des milliers de kilomètres de Mpila, craignent de faire du tapage de peur de réveiller la colère de Sassou laquelle, dit-on, est terrible. Certains, tétanisés par la peur ont dû se dire : « c’est quoi ce délire ? » En fait de tapage, Norbat de Paris ne dit que tout haut ce que tous les lâches pensent tout bas. Gabriel Garcia Marquez qui aurait pu écrire aussi « Cent ans de silence  » dit que lorsqu’on a une pensée, il faut l’exprimer car combien de belles idées sont mortes avec leurs auteurs pour les avoir tues !

Musiciens mendiants

Le silence, ça suffit. Fort de cette résolution, Norbat de Paris s’en est pris frontalement aux « délirantes dédicaces (mabanga) des artistes Rdécéens façon Koffi, Ferré, Fally, Werasson, lesquels, abusant de la mégalomanies des hommes politiques du Congo- Brazzaville, pillent ce pays pétroliers à coups de flatteries et, se font bâtir, grâce aux millions qu’ils empochent, des hôtels et des châteaux à Kinshasa alors qu’à Brazzaville, ville sans lumières, sans eaux et sans hôpitaux, les populations végètent dans la misère et sont obligées de supporter, en plus, l’arrogance desdits musiciens dont on a découvert qu’à la place du cœur ils ont une pierre, comme l’a montré la mort de Kester Eménéya que, par leur sinistre collusion, ils ont provoquée en le faisant cocu.  » Ainsi a parlé Zarathoustra.

Griots authentiques, ces musiciens nullissimes à en mourir profitent de l’ego surdimensionné des Claudia Sassou, Cristel Nguesso, Hugues Ngolondélé, Jean-François Ndenguet, Norbert Dabira comme le renard face au corbeau des Fables de La Fontaine. Il suffit que les renards de la RDC les citent dans leurs odes de merde pour que nos corbeaux de Mpila lâchent de leur bec le fromage sur les babines d’un Koffi par exemple. On se demande comment des chansons construites sur des thématiques obscènes peuvent rapporter à leurs auteurs des sommes aussi pharaoniques ! Nous vivons franchement une époque délirante au Congo et, ceux qui prétendent diriger ce pays sont tous devenus fous à lier. Finalement, les sages ne sont pas au Niari, ils sont dans la diaspora de la RDC car nos « mendiants » (à commencer par Koffi Olomidé) avec leurs « mabanga » où ça vante les tours des poitrines des rejetons du dictateur congolais ont réussi à dégoûter leurs propres compatriotes qui se font appeler « Combattants » ici en Europe alors que, d’ordinaire, ces Combattants étaient friands de tous ce qui était « made in ndombolo ».

« On ne veut plus d’eux ici ! Voleur, Koffi, interdit de séjour en France, est devenu la cible obsessionnelle des Combattants. Ca pille des millions à Brazzaville, ça construits villas et hôtels à Kinshasa et ça vient pavaner à la télé » s’emporte Norbat.

« Ces parias/mendiants se rattrapent au Congo-Brazzaville où ils se font du blé (des millions) grâce à la stupidité de certains généraux et autres ministres en mal de gloriole » continue de parler Zarathoustra au micro de Dicarsone One, socratique journaliste dont on sent la malice des questions dans les yeux.

« Un concert à 150.000 f cfa la place : c’est la dernière escroquerie de Koffi. L’a-t-il jamais déjà fait chez lui à Kinshasa ? Il faut être gogo et gaga comme les « autorités congolaises » pour admettre pareille infamie  » critique Norbat.

Ces corbeaux se prennent pour la SACEM avec, en plus, la particularité de verser exclusivement des droits d’auteurs à des griots d’outre-fleuve. Vraiment délirant. Des milliards jetés à la fenêtre pour avoir entendu son nom cité au milieu d’une litanie de sobriquets aussi ridicules qu’inconnus. Freud parlerait de névrosés s’il observait nos supposés dirigeants. Pendant ce temps le pays manque de tout ou presque.

« Il faut la lumière de l’argent pour dévoiler l’infamie et l’ignominie enfouies chez l’homme » aurait dit Nietzsche s’il avait croisé Koffi Olomidé.

« Et pourtant Bouba et La Fouine ont également donné des concerts à des prix prohibitifs à Brazza » fait remarquer Dicarsone One. Ce à quoi Norbat de Paris rétorque du tic au tac : « Oui mais comparons ce qui est comparable. Bouba et La Fouine (chanteurs français) ont fait des dons dans les hôpitaux brazzavillois. Ils sont altruistes. Ce n’est pas le cas de Koffi, pingres comme Harpagon, fourbe comme Scapin, kuluna de la générosité, racaille de l’éthique hospitalière… »

Dicarsone One : « Après les événements du 4 mars Werrasson avait fait des dons au Congo-Brazzaville  »

Norbat le Zarathoustra : « Tu veux rire ! Le bougre a vite récupéré ses cadeaux grâce à des contrats qu’il a pu par la suite signer. Ce qu’a fait ce musicien, ça s’appelle du troc. Pas bête le bonhomme  » ironise Norbat. En fait sa main gauche a repris ce que sa main droite avait donné.

Le journaliste Dicarsone One avec un sourire entendu : «  Pourquoi ne cherche-tu pas à voir le général Jean-François Ndenguet quand tu séjournes à Brazzaville ? »

Norbat : « On l’aime ou on ne l’aime pas, Jean-François Ndenguet nous tira du pétrin en 1997 quand les Angolais voulurent nous exterminer au Pont du Djoué  » rappelle Norbat qui refuse, ce coup-ci, de cravater le terrible officier.

Quand on analyse le geste de Ndenguet au Pont du Djoué, on se dit, comme l’auteur de Ainsi parlait Zarathoustra  : «  Il y a souvent une colombe qui sommeille dans un faucon. »

Pour Norbat, les artistes de la RDC et la classe politique congolaise sont des rapaces qui dépècent actuellement notre pays. Ces oiseaux de proie trouvent néanmoins une excuse aux yeux du révolté sapéologue :

« Alain Akouala, Jean-François Ndenguet doivent nettoyer leur entourage. Ca nous épargnera des concerts d’artistes kinois vendus à des prix astronomiques. Ces enveloppes qu’ils distribuent généreusement aux griots kinois font des coupes sombres aux budgets de développement. Un cachet pharaonique donné à Fally (avec sa musique de merde) c’est Blanche Gomez qui ne sera jamais réhabilité, c’est un hôpital dont ne bénéficiera pas un village congolais. »

Je n’aime pas les critiques qui accablent les roitelets et épargnent les rois. Qui donc choisit l’entourage de Ndenguet ou de Sassou si ce n’est Ndenguet ou Sassou lui-même ? Pour moi, tous ceux qui se ressemblent s’assemblent et se rassemblent pour exercer tranquillement leur prédation, leur tapage et leurs délires.

Népotisme

« Claudia, Dénidé n’ont aucun mérite mais ils n’ont pas hésité de faire du tapage médiatique pour occuper des postes-clef de la République. Vous ne verrez jamais le fils de François Hollande être élu député quelque part en France. Allez à Talangaï ; Claudia Sassou (la dame à la forte poitrine) y est l’élue du peuple. »

C’est quoi ce délire ! Avec tout ce qu’elle vole, avait-elle besoin d’être à la tête d’une circonscription ? Avait-elle besoin d’être chantée, louée, flattée par Koffi et autre JB Mpiana ?

Mises en garde

Norbat de Paris a été à Brazza où une foule en délire l’a reçu. Il a pris conscience de sa force. Norbat se dit disciple de Rapha Boundzéki, illustre agitateur des foules des années 1990. Selon lui, le sage Boundzéki (un vrai sage celui-là) lui aurait laissé son public.

Sapeurs ou prolétaire en haillons, cette masse qui a offert à Norbat un accueil de leader à Brazzaville est maniable à souhait. Il suffit d’un mot, un seul, pour que, lui, Norbat, mette tout ce monde en branle.

Avis à peine voilé aux « gens du système  » qui ont réduit le Congo à un état de pauvreté inqualifiable, un pays où le taux de chômage a atteint son «  apogée ».

Autrement dit, Norbat peut s’exclamer comme Spartacus chef des esclaves chez les Romains : « Je peux déclencher une insurrection »

Avis aux nombrilistes, aux narcissiques, fossoyeurs des richesses nationales. Le brasier qui vous consumera viendra des sapeurs.

Bâtiment du Nord

Ancien vendeur à la sauvette à Bacongo, Norbat de Paris travaille dans le BTP à Paris. D’où son nom : Bâtiment du Nord ou Norbat.

Norbat est franc : « Je suis maçon » se vante-t-il en précisant qu’il n’a jamais fait la taule en France. Le réseau de pots de vin en vigueur au Congo a fait qu’il n’a jamais eu de marchés dans ce pays. Corrompue jusqu’à la moelle, la classe politique congolaise préfère plaire à des cireurs de pompes comme Koffi, Fally, Ferré.

A-t-on jamais vu Barack Obama inviter Koffi à une fête nationale américaine ? Niet ! Obama tendra la perche à Beyonce, Madona, Rihana etc.

A Kinkala Sassou se trémoussa sur la musique d’un rigolo de la trempe de Ferré, de plus un 15 août, notre fête nationale. On aimerait voir Hyppolite Kabila Kamangué se déhancher sur le tempo de Kosmos, des Bantous de la Capitale de Cépakos ou de Roga-Roga. Mais ça, ça ne risque pas d’arriver parce que le Congolais de la RDC est farouchement nationaliste et patriote quand le Congolais de la RC est cleptomane monomaniaque.

Feeling

Ce n’est pas que les artistes de la RDC harmonisent mieux leurs chansons que ceux du Congo-Brazzaville. Loin de là. Ils font tous (brazzavillois/Kinois) de la soupe, indigeste à en mourir. Et même, on ressent plus de feeling chez les artistes brazzavillois que Kinois. Je vibre quand j’écoute Cépakos le Peuple. « Aubergine » et « Kanga langa » sont deux titres avérés de ce différentiel mélodique. Les accords des chansons kinoises sont prévisibles. C’est la trilogie Do/Fa/Sol qui triomphe dans la composition congolaise. Aucun contretemps, aucun contre-chant. C’est plat, carré, linéaire, monotone, insipide, redondant. On n’a qu’une envie : ne plus avoir envie de subir ça. De toute manière, il est de notoriété publique que la musique congolaise est au plus bas de son niveau. C’est Ray Léma qui le dit. Et puis ces boudins qui se disent danseuses, regardez-les sur scène transpirer comme des porcs. Aucune classe, c’est le ghetto, les bas-fonds, le caniveau, le bidonville, les favelas de la chorégraphie.

Constitution

Prenez-garde ! Vous voulez modifier la Constitution avec l’aval des « sages du Niari et de la Cuvette  ». Vous appelez « sages  » des énergumènes comme Pierre Mabiala alias Terminator et Justin Koumba ce tonneau vide !

En vérité, en vérité, il n’y a pas plus sage que Boundzéki Rapha. Il avait un message politique. Norbat de Paris se dit son héritier. On disait Boundzéki fou, professeur en « délires ». Mais il savait canaliser sa folie dans la mélodie. Il pouvait soulever le peuple comme un seul homme. La folie douce de Matondo National n’a rien en commun avec celle de Boundzéki ; encore moins celle de Ntoumi récupérée par le Pouvoir. Les délires de Norbat semblent d’une autre dimension. Norbat n’est pas idiot ou alors s’il l’est c’est comme chez Dostoïevski ou chez Jean-Edern Hallier. Son cursus mentionne un passage à la Fac. Son français est châtié. Son discours mélange l’indoubil et le français avec comme formule d’adhésion la structure langagière « O zo comprendre ?  ». Celle-ci, il est vrai, peut être ennuyeuse à la longue.

L’intéressant dans cette affaire c’est que la sapologie se politise dorénavant. Norbat de Paris vient d’ouvrir la brèche. A qui le tour ? Fuluzioni Dalluzioni ? Ben Moukacha ? Chômeur de Luxe ? Stany de Paris ? Jodel Bilamba ? Fiesta Makambo, Ya Bachi de L’Essonne, Apandza Nzoku ? De Mouangassa Moukoutoumbala ?

Marx présentait le prolétariat et le sous-prolétariat comme des réserves de l’insurrection. On a vu que la sapologie est un stade avancé de l’oisiveté, lait dont se nourrit la plèbe. Gageons que d’ici à demain les sapeurs ne se borneront plus à amuser la galerie et qu’on a intérêt à les surveiller comme le lait sur le feu. Les agents du chemin d’avenir apprendront bientôt des porteurs de crocos que comme disait l’Abbé Fulbert Youlou « la force du caïman est dans sa queue. »

Simon Mavoula

* 1h45 pour convaincre - Vidéo sur sapologie par Morgan Mapinda Mapinda, janvier 2014. Paris