« Anissa » par-ci ; « Anissa » par-là. La chanson de Fally Ipupa – un thuriféraire notoire – fait fureur. Un restaurant congolais de Paris qui ne fait pas résonner « Anissa » se vide vite de ses clients. Commentaires sur une chanson symptomatique des contradictions congolaises.

Ca se passe à Paris, métro Château-rouge, dans un restaurant fréquenté en majorité par les Congolais. Comme le gérant ne jure plus que par « Anissa, » la chanson passe plusieurs fois. Ce mardi 17 décembre, le débat porte sur le carnage qui a eu lieu chez Marcel Ntsourou, et tout le monde ici, avec des mots violents, condamne cet acte commandité par Sassou. Et pourtant, quelques minutes plus tard, tout le monde ou presque, se lève, reprenant en chœur « Anissa » de Fally Ipupa. Une attitude d’autant moins compréhensible qu’un ancien musicien déplorait, tout à l’heure, que les fils et filles du président déboursent des sommes pharaoniques aux musiciens thuriféraires pour les immortaliser dans des chansons on ne peut plus bidons. Et qu’à défaut d’une légitimité politique acquise sur le long terme, on cherche à distraire les gens ou à s’acheter le succès par les chansons… Mawa trop ! « Tout l’argent du Congo ne sert qu’à satisfaire les désirs médiocres de la famille royale », ajoute-t-il.

« Anissa » de Fally Ipupa pose un problème intellectuel chez nombre de Congolais. Au-delà de la qualité artistique que peut recéler une œuvre, peut-on aimer une chanson qui immortalise un dictateur ?

Sur un faux rythme de mutuashi, la chanson s’ouvre sur un souhait richesse/longévité/amour… Ici, le mari de Ninelle, par la voix du chanteur, parle à sa femme. (La muse Ninelle a-t-elle besoin de tout ça ? se demanderont les uns. Pourquoi pas ? Répondront les autres. Une femme riche n’a-t-elle pas besoin d’amasser encore des milliards, de vivre longtemps et d’être aimée… ? Débat philosophique sans fin auquel nous ne succomberons pas.) L’auteur poursuit sa chanson en convoquant l’Egypte ancienne : si Annisa avait existé à l’époque de Pharaon, Pharaon n’aurait pas été polygame car la beauté de toutes ses femmes est contenue dans Ninelle… (Simple jugement de valeur. Pharaon était-il polygame pour la beauté des femmes ? Pardonnons l’inculture de Fally Ipupa)

La chanson bascule brutalement vers la Rumba. Ici, l’auteur rend hommage au géniteur de la muse, à savoir Sassou-Nguesso. Voici quelques paroles : « Mon Dieu merci papa/ Papa Otshombe merci papa/T’as enfanté Ninelle/La maman de mon enfant… »

Hélas ! Une chanson, ça n’est pas que le son et la voix ! Il faut un texte structuré et profond. Or « Anissa » ne constitue qu’une double flatterie : flatterie du mari pour conserver son poste de maire de Brazzaville ; flatterie du chanteur pour amasser davantage des millions. Il faut, vraiment, être cinglé pour écouter « Anissa » plus d’une fois. Voilà !

Bedel Baouna