Il faut classer Fulbert Youlou dans la nation et non l’enfermer dans sa tribu. Quiconque perdra de vue ce fait fondamental se ferait contredire par des actes d’unité nationale et d’amour du prochain accomplis sous son règne, et du tour qu’il a voulu donner à la politique dans notre pays. Youlou Fulbert était trop conscient pour faire la guerre avec le seul désir de la gloire et de la puissance. Il était par-dessus tout un homme consciencieux, un homme qui pour agir, se posait à lui-même la question du bien et du mal. Aux jours où nous vivons, des tels hommes sont rarement montés au pouvoir au Congo.Honnorons le 5 mai, le génie qui a créé l’unité nationale et le vivre ensemble sans distinction aucune dans notre pays.

LA STRATEGIE POLITIQUE DE FULBERT YOULOU

[[1-Rassembler et mobiliser l’électorat de la Région Pool-Brazzaville avant toute lutte politique contre le colonialisme.

Fulbert Youlou s’intéresse tôt à la politique. Encouragé par son protecteur le Père Charles Lecomte, vicaire général de Monseigneur Paul Biéchi, l’archevêque de Brazzaville. Youlou Fulbert (futur président de la République) et Théophile Mbemba (futur premier archevêque de Brazzaville) ont longtemps tourné dans son sillage. Comme son père spirituel, Youlou présente sa candidature, au sein du collège africain, aux élections territoriales de 1947, dans la circonscription du Pool. Mais alors que le Père Lecomte est élu sans difficulté au collège européen, Youlou enregistre un cuisant échec. Il comprend que s’il veut être élu, il ne doit plus se montrer trop ouvertement soutenu par l’administration ou les missions. Jusque là homme de l’Église des Blancs, il se donne désormais l’image d’un résistant africain.
Cette attitude ne plaît pas à ses supérieurs, d’autant qu’en octobre 1953 une plainte est déposée à l’évêché à l’encontre du jeune abbé. Par mesure disciplinaire, il est affecté le 20 novembre 1954, dans une mission de brousse à Mindouli où il occupe les fonctions de directeur de l’école catholique. C’est à Mindouli qu’il fait la connaissance de Alphonse Massamba Débat directeur de l’école primaire locale et grand militant du PPC de Félix Tchikaya.

Lors de son passage à Saint-François, grâce à sa capacité à rassembler autour de lui les différentes fractions de son ethnie, Youlou s’impose comme le leader. Les membres de cette tribu sont alors, pour la plupart d’entre eux, des adeptes du matswanisme, un mouvement messianique remettant en cause le colonialisme fondé par André Matswa, mort en prison en 1942. Le jeune abbé parvient habilement à se faire passer pour un interlocuteur de Matswa, ce qui lui permet d’exercer une certaine influence sur ses disciples. Par ailleurs, son investissement dans les associations lui permet de s’attacher la jeunesse lari. Au final, la sanction ecclésiastique le conforte dans son rôle de leader car lui confère l’image d’une victime d’une Église congolaise dominée par une hiérarchie européenne.

2-Rassembler et mobiliser le groupe Kongo du sud pour avoir facilement la sympathie des frères du nord dans la lutte contre le colonialisme.

En octobre 1955, grâce à cette image de révolté, un conseil ethnique Kongo (et non plus seulement lari) le choisit afin qu’il les représente aux prochaines élections législatives. À l’annonce de sa candidature, son évêque Mgr Bernard tente de s’y opposer mais en vain. Des sanctions sont immédiatement prises : il n’a plus le droit de porter la soutane, ni de célébrer le culte. Dans ces conditions, les Kongo lui procurent une rente mensuelle ainsi qu’une voiture avec chauffeur afin qu’il n’ait aucun souci matériel.

Au début, Youlou est considéré par ses partisans comme la réincarnation de « Jésus-Matswa » ; cette idée est facilitée par le fait qu’il est abbé. Mais très vite, il devient lui-même un mythe vivant, symbole de l’opposition coloniale. Une légende le rattache aux chutes de Loufoulakari où le grand résistant kongo Boueta Mbongo fut décapité et jeté à l’eau par les colonisateurs. Il aurait pris l’habitude de s’y baigner en soutane pour prier et s’imprégner des puissances ancestrales ; ses habits, bien qu’immergés, resteraient secs. Tout ceci signifie pour ses disciples que son corps mystique serait celui d’un guerrier.

Cette symbolique se transpose dans la campagne législative ; la violence devient le mode d’action politique de ses militants à Bacongo. Ainsi, le 12 décembre 1955, des tracts youlistes appellent à « fouetter » les leaders matswanistes qui ne sont pas ralliés à l’Abbé. L’un d’entre eux, Victor Wamba, en fait les frais et voit sa maison incendiée le 18 décembre. L’agitation s’accroît le 2 janvier 1956, jour de l’élection ; à la sortie des bureaux de vote de Bacongo, des adolescents lari se mettent à rosser les électeurs qu’ils soupçonnent de ne pas avoir voté pour Youlou. Les autorités sont obligées d’envoyer les forces de l’armée protéger les bureaux. Le calme ne revient pas pour autant à Brazzaville. Au cours des deux jours qui suivent, on dénombre une centaine de maisons détruites, quatre morts et plusieurs dizaines de blessés. Fulbert Youlou est même obligé avec un de ses adversaires à la députation, Jacques Opangault, de lancer un appel au calme par radio.

Une semaine plus tard, les résultats sont annoncés. Le candidat sortant Jean-Félix Tchicaya est réélu député du Moyen-Congo avec 45 976 voix, soit 29,7 % des suffrages contre 43 193 voix pour Jacques Opangault et 41 084 pour Youlou. Une collecte est organisée afin qu’il puisse se rendre à Paris tenter d’invalider l’élection de Tchicaya. Le voyage s’avère inutile ; il lui permet juste de nouer quelques contacts utiles.

La conquête du pouvoir de Youlou Fulbert

La course à la vice-présidence

Le 17 mai 1956, Fulbert Youlou fonde l’Union démocratique de défense des intérêts africains (UDDIA), concurrent du Parti progressiste congolais (PPC) de Tchicaya et de la section SFIO (transformée en janvier 1957 en Mouvement socialiste africain (MSA)) dirigée par Opangault. L’emblème du nouveau parti est le caïman, un animal effrayant et puissant, lié aux récits de sorcellerie. Parti anticommuniste d’obédience chrétienne-libérale, il compte 46 personnalités politiques dont 11 proviennent du PPC et 5 de la SFIO. Son assise politique, au départ limitée aux trois régions du Pool, du Niari et de la Bouenza, se voit renforcer de l’électorat du Kouilou avec le ralliement du secrétaire général du PPC Stéphane Tchitchéllé.

Aux élections municipales du 18 novembre 1956, où les listes sont présentées au collège unique (Africains et Européens confondus), l’UDDIA remporte un franc succès en enlevant Brazzaville, Pointe-Noireet Dolisie. Youlou est ainsi élu maire de Brazzaville face à Jacques Opangault avec 23 sièges contre 11 à la SFIO et 3 au PPC.

En 1957 se tiennent des élections territoriales visant à désigner un dirigeant local, conformément à l’entrée en vigueur de la loi-cadre Defferre de 1956. Malgré ses précédents succès, l’UDDIA voit son vice-président Simon Kikounga N’Got quitter le mouvement et fonder son propre parti, le Groupement pour le progrès économique et social du Moyen-Congo (GPES). Simon Kikounga N’Got emporte avec lui l’électorat du Niari, et se rallie à la coalition PPC-MSA. Ainsi, le 31 mars 1957, l’UDDIA arrive second avec 22 sièges contre 23 pour la coalition menée par Opangault. Après des négociations, un gouvernement de coalition MSA-UDDIA est finalement formé avec cinq portefeuilles ministériels attribués à chacun. La vice-présidence revient à Opangault. Pour sa part, l’Abbé prend l’Agriculture dans le but tactique d’effectuer les nombreuses tournées dans le pays qu’implique ce poste.

Lors des élections territoriales de mars 1957, les principaux colons du pays réunis dans l’Union du Moyen-Congo (UMC) avaient efficacement soutenu Youlou. En septembre 1957, ces derniers l’aident de nouveau en achetant parmi les rangs du GPES un représentant du Niari, Georges Yambot. L’UDDIA devient ainsi majoritaire à l’Assemblée avec 23 sièges ; Youlou s’empresse de réclamer la vice-présidence. Le MSA crie au scandale et demande en vain la démission de Yambot. La crise atteint son paroxysme lorsque Yambot est kidnappé le 24 novembre 1957 pour l’empêcher de siéger à l’Assemblée. Cependant, le gouverneur Jean Soupault parvient à calmer le jeu : Opangault reste dans ses fonctions tandis que l’UDDIA conserve sa nouvelle majorité.
En janvier 1958, les relations entre les deux partis s’enveniment de nouveau lorsque Youlou décide d’organiser les journées d’études de l’UDDIA à Dolisie, fief du GPES. Des affrontements y ont lieu entre partisans socialistes et supporters youlistes, faisant au moins un mort et plusieurs blessés. Paris, fatiguée de toutes ses querelles, somme les deux leaders congolais de tenir leurs hommes.
En mai 1958, Youlou conforte encore sa position. Le 5 du mois, le député européen UDDIA Christian Jayle est élu à la présidence de l’Assemblée territoriale. Par ailleurs, à la suite du départ de Jean-Félix Tchicaya du Rassemblement démocratique africain, parti inter-africain de Félix Houphouët-Boigny, l’UDDIA remplace le PPC comme section locale du Moyen-Congo. Le parti de Youlou gagne ainsi l’appui des milieux parisiens et la bienveillance des autorités locales.
Malgré une certaine réserve à l’égard du général de Gaulle, l’abbé Youlou appelle à voter « oui » au référendum sur la Communauté franco-africaine du 28 septembre 1958, tout comme Opangault et Tchicaya. L’approbation l’emporte avec 99,3% des suffrages exprimés. Par cet acte, le Moyen-Congo renforce son autonomie.

Le 28 novembre 1958, l’Assemblée territoriale se réunit en session ordinaire pour doter le pays d’institutions. L’UDDIA et le MSA ne parviennent pas à s’entendre sur le contenu de la constitution. L’ambiance est très tendue, des sympathisants socialistes s’amassent autour du bâtiment officiel. Les députés en arrivent à s’échanger des insultes. Finalement, les élus socialistes quittent l’Assemblée en signe de protestation, laissant la place libre à la majorité UDDIA. Un véritable coup d’État constitutionnel se produit alors. Youlou fait voter à son profit, avec la complicité du président de l’Assemblée Christian Jayle, de nouvelles lois constitutionnelles : à l’unanimité des 23 députés, le Conseil du gouvernement d’Opangault est remplacé par un gouvernement provisoire dont il prend la présidence. L’Assemblée territoriale devient quant à elle législative et son siège est transféré à Brazzaville puisqu’à Pointe-Noire la population est visiblement hostile au nouveau gouvernement.

Le lendemain, les députés MSA se réunissent seuls à l’Assemblée de Pointe-Noire afin de déclarer illégales les décisions prises la veille par les députés youlistes. Cette action se solde par un échec. Tous ces évènements provoquent des troubles dans la capitale rétrogradée : des maisons sont brulées, trois personnes trouvent la mort et plusieurs autres sont blessées. L’armée française est contrainte d’intervenir.

Youlou Fulbert à la tête de la République du Congo

Le 8 décembre 1958, Fulbert Youlou devient officiellement Premier ministre. Son gouvernement se veut représentatif de la société congolaise : il comprend au moins un élu de chaque région, des représentants des notables traditionnels ainsi que deux porte-paroles des jeunes et des syndicats. Deux députés européens du MSA, Albert Fourvelle et André Kerherve, y prennent également place. La majorité gouvernementale passe ainsi de 23 à 25 sièges.

Opangault, dont le parti ne compte plus que 20 sièges, espère redresser la situation grâce aux élections législatives prévues pour mars 1959 par les accords du 26 août 1958 passés avec Youlou. Mais le nouveau Premier ministre refuse de les organiser. Le 16 février 1959, les députés MSA réclament une nouvelle fois la dissolution de la Chambre. À l’annonce du nouveau refus, des supporters MSA-PPC dePoto-Poto (quartier de Brazzaville attribué, par le sens commun, aux Mbochi) s’en prennent à ceux qu’ils considèrent comme les partisans de l’UDDIA. Rapidement, ces affrontements embrasent tout Brazzaville et dérivent en une sanglante émeute tribale entre Mbochi (groupe ethnique du Nord) et Lari (groupe ethnique du Sud) qui dépassent la simple rivalité MSA et UDDIA. Les combats font officiellement une centaine de morts ainsi que des centaines de blessés et de maisons détruites. La guerre civile est évitée de justesse grâce à l’intervention de l’armée française qui parvient à rétablir le calme le 20 février. Ces massacres marquent la naissance d’une opposition géo-ethnique entre le Nord et le Sud.

Fulbert Youlou profite de ces évènements pour faire arrêter Opangault, accusé d’incitation à la violence. Ce dernier est relâché cinq mois plus tard sans être jugé. Entre-temps, Youlou a conforté sa position et quasiment éliminé l’opposition parlementaire. Le 20 février 1959, il fait adopter une constitution qui donne des pouvoirs étendus au Premier ministre, dont celui de dissoudre l’Assemblée. En avril 1959, le MSA enregistre deux nouvelles défections en faveur de l’UDDIA. Le 30 avril, l’Abbé dissout finalement la Chambre. Mais avant les nouvelles élections, il prend soin de redécouper les circonscriptions électorales, ce qui permet à l’UDDIA, le 14 juin 1959, de s’accaparer, avec 58% des suffrages, 51 sièges à l’Assemblée contre 10 pour le MSA.

Après ces élections législatives, l’Assemblée devient « nationale ». Elle reconduit Youlou dans ses fonctions de Premier ministre puis, le 21 novembre, l’élit président de la République du Congo. Ayant triomphé de ses adversaires sur le plan parlementaire, il met au pas les irréductibles matswanistes qui ne veulent toujours pas voir en lui la réincarnation de Matswa. De juin à juillet 1959, ils sont pourchassés, arrêtés et soumis brutalement, faisant au moins une trentaine de morts.

Mais si l’Abbé use de moyens coercitifs avec ses adversaires, il sait également les séduire. Le 17 juin 1959, après sa victoire aux législatives, il lance un appel à l’union :
« Les élections du 14 juin n’ont pas été la victoire d’un parti ou d’un programme dans le sens qu’on lui donne en Europe ; elles marquent le début d’une unité nationale, qui ne pourra que se renforcer. »

Le 3 juillet 1959, lors de la formation de son deuxième gouvernement, Youlou intègre des élus de l’opposition. Le 15 août 1960, Jacques Opangault y entre à son tour en tant que ministre d’État et vice-président du Conseil. Enfin, en janvier 1961, Simon Kikounga N’Got prend le portefeuille des Affaires économiques.

Le 20 mars 1961, Fulbert Youlou est le candidat de l’UDDIA et du MSA aux élections présidentielles. Il est réélu sans opposition avec 97,56% des voix, au suffrage universel direct . Cette victoire marque, pour lui, la fin de la construction de l’unité nationale. Désormais, il peut se consacrer tout entièrement au développement économique et au progrès social.

La politique économique de Youlou

Le Congo est l’une des colonies françaises ayant le plus profité, économiquement, de la colonisation : entre 1946 et 1959, un certain nombre de travaux d’infrastructures sont réalisés tandis que quelques industries légères prennent pied. Ainsi, à l’aube de l’indépendance, l’Abbé hérite d’une structure économique relativement équilibrée avec 37,4% du PIB réalisé dans le secteur primaire, 20,9% dans l’industrie et 41,7% dans le tertiaire. Par ailleurs, le Congo compte en 1958, 30 000 cadres de qualification variable et plus de 80 000 élèves. Cette politique éducative forte est poursuivie par Youlou qui, en1960, consacre 40% des dépenses budgétaires à l’enseignement.

Le partisan du libéralisme économique

Le dirigeant congolais est un ardent partisan du libéralisme économique. Dès sa prise du pouvoir, il adopte une politique modérée, s’efforçant ainsi d’attirer les investissements dans son pays, comme en témoigne un discours du 8 décembre 1958 :
« Nous sommes prêts à formuler toutes garanties pour que s’investissent sans crainte, et dans la plus grande confiance, les capitaux publics et privés sans lesquels il n’est pas possible de concevoir la mise en place de grandes sources d’énergie et des usines de transformations. »

Entre 1960 et 1963, le Congo enregistre 38 milliards de francs CFA d’investissements bruts sur son territoire, pour un PIB estimé en 1961 à 30 milliards de francs CFA. Les richesses minières attirent à elles seules, 21 milliards de francs CFA avec l’exploitation du manganèse par la Compagnie minière de l’Ogooué (COMILOG) et de la potasse par la Compagnie des Potasses du Congo (CPC). Les 17 milliards de francs CFA restant sont, quant à eux, investis pour 3 milliards (18%) dans le secteur primaire, 2,7 milliards (15%) dans l’industrie, 6,3 milliards (37%) dans le tertiaire, et 5 milliards (30%) dans des programmes non économiques tels que l’éducation, la santé, l’urbanisme ou le logement. Malgré une politique libérale, ces 17 milliards ne proviennent qu’à hauteur de 5,5 milliards (32%) de capitaux privés ; l’aide internationale (notamment la France) en fournit 7 milliards (41%) et le gouvernement congolais 4,5 milliards (27%).

Au niveau de la balance commerciale, la situation semble s’améliorer durant la présidence de Youlou. Alors qu’en 1960, le déficit commercial est de 5,7 milliards de francs CFA, en 1963 il n’est plus que de 4,1 milliards. Chaque année, les exportations congolaises (diamants exclus) augmentent, passant entre 1960 et 1963 de 6,1 à 7,9 milliards francs CFA. Elles se composent pour moitié de leur valeur de bois. Les produits de l’industrie légère, tel que le sucre, en représentent quant à eux plus du quart. Par ailleurs, le déficit commercial est fortement atténué par les recettes du transit. Le Congo tire en effet de forts revenus de ses infrastructures ferroviaires et portuaires qui permettent de desservir les pays frontaliers. En 1963, ce transit rapporte 2,3 milliards de francs CFA au Congo.

Une politique étrangère « modérée »

Par une politique anticommuniste et pro-occidentale, dite « modérée », Youlou cherche à attirer les investisseurs étrangers dans son pays. Dès l’indépendance, il affirme sa volonté de poursuivre une politique de coopération avec la France et les autres pays de l’Afrique francophone. Du 15 au 19 décembre 1960, est même organisée dans la capitale congolaise une conférence intercontinentale, rassemblant les chefs d’État francophones « modérés ». À l’issue de celle-ci est créé le « groupe de Brazzaville », bloc anticommuniste et ancêtre de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM).

Parmi les invités de cette conférence, se trouvent le président de la République démocratique du Congo Joseph Kasa-Vubu et le leader katangais Moïse Tshombe. L’Abbé les réunit sans doute en vue d’isoler le nationaliste congolais Patrice Lumumba, accusé de sympathie communiste. Bien que tous deux conviés, Youlou tient plus en estime le très controversé Tshombe que Kasa-Vubu. Pourtant son homologue de Léopoldville est un Kongo comme lui ; ils paraissent même, un temps, caresser l’espoir de reconstituer un grand État bakongo. L’Abbé prend d’autres positions tout aussi discutées ; alors que l’Angola subit la violente répression coloniale, il est le seul à appeler au dialogue avec le dictateur portugais Salazar.
Malgré son anticommunisme viscéral, le président de la République cherche à nouer des relations avec le « révolutionnaire » Ahmed Sékou Touré. Il compte en effet beaucoup sur les mines de bauxite deGuinée, indispensable au projet du barrage de Kouilou. Ainsi, en 1962, il se rend en Guinée. Le 5 et 6 juin 1963, c’est au tour de Sékou Touré de venir au Congo où il est acclamé par les militants syndicaux et les jeunes. À l’occasion de ce voyage, le dirigeant guinéen fait d’encourageantes promesses économiques :
« La Guinée est riche en minerais et elle est disposée, je le dis, à mettre à disposition du Congo toutes les quantités de bauxite ou de fer nécessaires à la réalisation du Kouilou et plus tard à la rentabilité de l’usine qui sera construite. »

LE COUP D’ÉTAT QUI ENTRAINA LA CHUTE DE YOULOU FULBERT

1-Le coup d’État des syndicalistes

Avant même l’indépendance, le Congo-Brazzaville vit de facto sous le régime du parti dominant. En août 1962, Fulbert Youlou annonce son intention d’institutionnaliser le parti unique « afin de sceller la réconciliation et l’unité nationale réalisées ». Il ne rencontre aucune opposition, bien au contraire, cette décision semble enthousiasmer le dirigeant du MSA Jacques Opangault. Dans ce but est organisée le3 août 1963 une table ronde rassemblant les leaders des trois partis existants (UDDIA, MSA et PPC), les responsables syndicaux, les représentants de l’Assemblée nationale et ceux de l’armée congolaise. Les syndicalistes, bien que non opposés au principe de parti unique, refusent les statuts proposés par le chef de l’État ; pour eux, ils ne semblent servir que les intérêts de Youlou.

Afin de signifier leur désapprobation, les syndicalistes décident d’organiser le 13 août un « arrêt de protestation » à la Bourse du Travail de Brazzaville. La veille de ce mouvement, dans la nuit, Youlou fait arrêter les principaux leaders syndicaux. À l’annonce de cette nouvelle, le simple meeting se transforme en une véritable manifestation antigouvernementale. Les protestataires prennent d’assaut la maison d’arrêt afin de les libérer, provoquant des affrontements avec les forces de l’ordre. Trois syndicalistes y trouvent la mort. Finalement, lorsqu’ils y parviennent, ils s’avèrent que les leaders arrêtés la veille ne s’y trouvent pas. La manifestation antigouvernementale tourne à l’émeute ; le pays est paralysé. L’armée française se joint à la gendarmerie congolaise pour rétablir le calme. Le soir, l’Abbé décrète le couvre-feu ainsi que l’état de siège, et lance un appel au calme par radio.
Le lendemain, à midi, le président de la République déclare à la radio :
« En raison de la gravité de la situation, je prends en mon nom personnel les pouvoirs civils et militaires. Un comité restreint, placé sous l’autorité du chef de l’État, aura pour tâche le rétablissement de l’ordre, la reprise du travail et la mise en place des réformes qui s’imposent. »
Dans la soirée, le gouvernement est dissout. Toutefois, les ministres Jacques Opangault, Stéphane Tchitchéllé et Dominique Nzalakanda sont reconduits dans leur fonction. À l’annonce du maintien du très impopulaire Nzalakanda dans le gouvernement, les militants youlistes décident de rejoindre les manifestants. Le 15 août au matin, la foule se dirige vers le palais présidentiel afin de réclamer la démission de Youlou. Des pancartes aux slogans tels que « À bas la dictature de Youlou » ou « Nous voulons la liberté » sont brandies. Les syndicalistes parviennent à gagner la sympathie des deux capitaines commandant l’armée congolaise ; l’un deux, le capitaine Félix Mouzabakani, est pourtant le neveu de Fulbert Youlou. Dans un dernier espoir, le chef de l’État tente de joindre par téléphone le général de Gaulle afin de s’assurer du soutien logistique de la France ; en vain. Résigné, il finit par signer sa démission en tant que président de la République, maire de Brazzaville et député à l’Assemblée.

2-Le coup d’État constitutionnel de Mouzabakani, Mountsaka et Massamba Débat

Le 15 août 1963, les chefs militaires Mountsaka et Mouzabakani appellent Alphonse Massamba-Débat au pouvoir au lieu de protéger la constitution. La constitution est le texte qui fonde l’organisation de l’État et qui garantit le respect des droits fondamentaux des personnes. Pour ces deux raisons, il est nécessaire de la protéger des modifications de circonstance et de la violation des principes qu’elle définit. En cas de vacance de la Présidence de la République par démission ou toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de Président de la République devrait être exercées par le président de l’assemblée Marcel IBALIKO ou par le Opango. Mais, Massamba Débat devient Chef du Gouvernement provisoire et constitue un cabinet réduit constitué de techniciens (Germain Bicoumat, Bernard Galiba, Pascal Lissouba, Paul Kaya, David Ganao, Edouard Ebouka-Babakas et Jules Kounkound).
Le 8 décembre 1963, la nouvelle constitution est adoptée par référendum. Elle institue un Conseil National de la Révolution (CNR), présidé par le Président de la République. Elle prévoit, outre la fonction de Président de la République, celle de Premier Ministre, Chef du gouvernement.

Le 19 décembre, il est candidat unique à l’élection présidentielle. Il est élu à 100% des suffrages exprimés. Le 24 décembre 1963, il publie son gouvernement, au sein duquel, Pascal Lissouba devient Premier Ministre.
En août 1964, le Mouvement National de la Révolution (MNR) est créé et institué parti unique. Massamba-Débat en est le Secrétaire Général et Ambroise Noumazalaye le Premier secrétaire politique.

L’idéologie du régime est de gauche et le Congo se rapproche des pays socialistes, notamment Cuba et la Chine, tout en s’éloignant des pays capitalistes. Che Guevara vient rencontrer Massamba-Débat en janvier 1965. Les relations diplomatiques sont rompues avec les États-Unis. Les rapports se tendent avec le Congo démocratique voisin dont l’itinéraire politique est de plus en plus influencé par les velléités mobutistes.

Le gouvernement de Tshombe expulse les ressortissants congolais vivant au Congo-démocratique.

Sur le plan intérieur, le régime de Massamba-Débat, aux prises avec les complots alimentés par une jeune garde politique congolaise avide de plus de pouvoir, se montre en contre-partie plus répressif et brutal, notamment par le biais de sa milice politique, la Défense Civile et l’organisation de jeunesse du parti unique, la JMNR. Le point culminant de cette atmosphère de "terreur" est constitué par l’assassinat en février 1965, de trois personnalités dont les positions ne sont pas du goût du pouvoir : le Président de la Cour Suprème Joseph Pouabou, le procureur de la république Lazare Matsocota et le Directeur de l’Agence Congolaise d’Information Anselme Massoueme auxquels on ne pourra attribuer la responsabilité à Massamba-Débat dont la mémoire réhabilitée en 1991 commencera à rétablir la vérité sur l’ensemble de son œuvre marquée autant par la rigueur, l’intégrité, que le pacifisme. Il s’agira néanmoins des premiers crimes politiques reconnus de l’histoire du Congo indépendant.

Sur le plan économique et social Massamba-Débat mène une gestion saine et rigoureuse. Sous sa présidence le Congo connait un début d’industrialisation et le niveau de vie des Congolais s’améliore. Quelques grandes unités de productions à grande main d’œuvre sont construites : l’usine textile de Kinsoundi, les palmeraies d’Etoumbi, l’usine d’allumettes de Bétou, les chantiers de constructions navales de Yoro, etc. Des centres de santé sont créés (deux à Brazzaville et un à Pointe-Noire) ainsi que des groupes scolaires (collèges et écoles primaires). Le taux de scolarisation du pays devient le plus élevé d’Afrique noire.

L’assise populaire de Massamba-Débat est incertaine dès le départ, car une partie des ressortissants de la région du Pool, dont sont originaires les deux premiers présidents du Congo, lui reproche d’avoir remplacé Youlou à la tête du pays. La brutalité des milices rend le régime impopulaire. Massamba-Débat, devient de plus en plus isolé. Les contradictions idéologiques (socialisme bantou contre socialisme scientifique) et les luttes de factions, principalement entre les pro-lissouba et les pro-noumazalaye ; les tentatives de l’opposition de droite (Mouzabakani, Kolelas, Kinganga) et l’activisme des officiers progressistes, conduits par le capitaine Ngouabi, affaiblissent Massamba-Débat.

Le 26 avril 1966, il nomme un nouveau gouvernement. Noumazalaye devient Premier Ministre en remplacement de Lissouba. Une lutte sourde s’instaure entre le Président et son Premier Ministre sur les options idéologiques, la politique de nationalisation des entreprises et la diplomatie.

Le 12 janvier 1968, il démet Noumazalaye et décide d’assumer lui-même la fonction de Premier Ministre.

En juillet 1968, devant la montée de la contestation, il fait arrêter le capitaine Ngouabi, dissout l’Assemblée Nationale et le Bureau Politique du MNR et suspend la Constitution de 1963. Il en résulte un affrontement entre ses partisans au sein de la Défense civile et une partie de l’armée. Il est alors contraint d’amnistier tous les prisonniers politiques et composer avec ses opposants.

Une autre version de ces évènements consisterait en la simple reconnaissance d’un coup d’état qui conclura logiquement les manœuvres de ces grandes figures du Nord que sont Marien Ngouabi ou encore et déjà l’actuel président Denis Sassou Nguesso ; car en tout état de cause, les problèmes internes du Congo sont depuis toujours liés à des conflits relativement ethniques dont on sut malignement profiter les intérêts français et occidentaux via la soif de pouvoir des jeunes pousses politiciennes d’alors que l’on retrouvait pour l’heure dans les camps sudistes aussi bien que nordistes. On pourra noter alors la volonté manifeste de Massamba-Débat d’éviter tout bain de sang et ainsi de se contraindre à démissionner.
Le 5 août 1968, il forme un nouveau gouvernement, et un nouveau Conseil National de la Révolution (CNR) de 40 membres et doté de pouvoirs étendus, est mis en place. Celui-ci est présidé par Ngouabi et Massamba-Débat y est un simple membre. Outre Ngouabi, plusieurs officiers ont font partie : Norbert Ntsika, Alfred Raoul, Joseph Ngabala, Denis Sassou-Nguesso, Luc Kimbouala-Nkaya, etc, ainsi que le chef de la Défense Civile, Ange Diawara.

Le 4 septembre 1968, Massamba-Débat, dont les prérogatives de Président de la République ont été rognées par le CNR, se résout officiellement de démissionner. La fonction de Président de la République est provisoirement suspendue. Le capitaine Raoul assume l’intérim du Chef de l’État.

La détention et l’exil de Fulbert Youlou

Le soir même de sa démission, l’ancien président de la République est interné dans le camp militaire « Fulbert Youlou ». Quelques semaines plus tard, il est transféré avec sa famille au camp de gendarmerie « Djoué ». Il semble être bien traité. Mais rapidement, un climat de terreur s’installe avec le nouveau régime socialiste. Apprenant que les jours de l’Abbé sont comptés, le successeur de Youlou à la tête de l’État Alphonse Massamba-Débat l’aide à s’enfuir vers Léopoldville, le 25 mars 1965. Le Premier ministre de la République démocratique du Congo, Moïse Tshombe, lui accorde immédiatement l’asile politique.

Le 8 juin 1965 commence son procès au Congo-Brazzaville par un tribunal populaire. Il est accusé de détournement de fonds publics et de l’utilisation à des fins personnelles d’un avion de guerre de type Héron qu’il aurait reçu du gouvernement français. Par ailleurs, il est tenu pour responsable de la mort des trois syndicalistes lors de la prise d’assaut de la maison d’arrêt le 13 août 1963. Enfin, il est également inculpé pour avoir apporté son soutien à la sécession Katangaise menée par Moïse Tshombe. Le verdict le condamne à mort par contumace, et ordonne la nationalisation de tous ses biens, c’est-à-dire la ferme de Madibou et deux hôtels particuliers à Brazzaville. L’Abbé se défend de ces accusations avec la publication en 1966 d’un livre J’accuse la Chine, véritable pamphlet anticommuniste.
En novembre 1965, il fait part de son souhait au gouvernement français de s’installer à Nice pour recevoir des soins. Mais l’ancien dirigeant congolais n’est pas en cour à Paris. Yvonne de Gaulle, fervente catholique, n’apprécie guère ce prêtre excentrique défroqué qui continue de porter la soutane malgré l’interdiction de l’Église, et qui affiche ouvertement sa polygamie (il a au moins quatre femmes officielles). Contre l’avis du général de Gaulle, il débarque le 29 janvier 1966 au Bourget avec femmes et enfants. Malgré les recommandations de son conseiller aux affaires africaines Jacques Foccart, le chef de l’État français envisage sérieusement de le renvoyer à Léopoldville. Finalement, l’Abbé est envoyé en Espagne où le régime de Franco veut bien l’accueillir. Afin qu’il subvienne à son existence, le contribuable français met à sa disposition 500 000 francs.

Fulbert Youlou est tenu pour responsable de tous les maux du pays par les régimes socialistes et révolutionnaires qui se succèdent. Tout ce qui le rappelle est effacé. C’est dans cette atmosphère que l’Abbé décède à Madrid le 5 mai 1972, d’une hépatite. Immédiatement, les Lari exigent le retour de son corps afin de lui administrer les cérémonies funéraires nécessaires. Le président de la RépubliqueMarien Ngouabi accepte afin d’éviter que ne se reproduise un mouvement messianique à l’image du matswanisme. Le 16 décembre 1972, après que sa dépouille ait été exposée trois jours durant dans la cathédrale de Brazzaville, il est enterré dans son village natal de Madibou, sans aucune cérémonie officielle. Sa mémoire a été réhabilitée à la Conférence nationale de 1991.

Ouvrages de Fulbert Youlou

 Le matsouanisme, Imprimerie centrale de Brazzaville, 1955, 11 p
 Diagnostic et remèdes. Vers une formule efficace pour construire une Afrique nouvelle, Éditions de l’auteur, 1956
 L’art noir ou les croyances en Afrique centrale, Brazzaville, sans date
 L’Afrique aux Africains, Ministère de l’Information, 1960, 16 p.
 J’accuse la Chine, La table ronde, 1966, 253 p.
 Comment sauver l’Afrique, Imprimerie Paton, 1967, 27 p.

Le 5 mai, 37 ème anniversaire de la mort de Youlou Fulbert, ayons une pensée pour lui ce jour là

« N’oublie pas un bienfaiteur dans ton cœur et ne perds pas son souvenir au milieu de tes richesses »

Fulbert Youlou fut le premier président de la République du Congo de 1959 à 1963. Le 5 mai 1972, le père de l’indépendance du Congo s’endormait en exil dans l’espérance de la Résurrection. Certes, le vieux guerrier de la paix et de l’unité nationale nous a quittés, mais son souvenir nous accompagne toujours. Il est mort debout, fidèle à ses convictions politiques, dans une droiture parfaite, un amour inné de l’honneur, une exigence et une honnêteté intellectuelle exemplaires.

Il est le seul homme politique congolais ayant compris très tôt que la paix est le fruit de l’amour et pour vivre en paix dans un pays multiethnique (héritage de la colonisation française), il faut savoir supporter bien des choses une fois au pouvoir. Nul n’est parfait, tous ont leurs défauts. Chaque congolais pèse sur les autres et l’amour seul rend ce poids léger.

Ayons tous une pensée ou une prière pour ce grand homme politique le 5 mai, car sa vie fut pleine de noblesse.