Antoine Matha est originaire du Congo-Brazzaville. Il vit aujourd’hui à Reims. Épitaphe est son premier roman. N’est-ce pas d’emblée curieux qu’un romancier choisisse pour titre ce que d’ordinaire on inscrit dans le marbre sur un tombeau ? C’est que le narrateur rend hommage, tout au long de son récit, à un ami d’enfance, Raymond, né le même jour que lui, qui sera rapatrié au pays dans un cercueil, à la fin du livre. Raymond est donc l’aiguillon du texte.
Sans lui, le périple de celui qui n’est presque jamais nommé et qui dit « je » n’aurait sans doute pu avoir lieu. Autant le dire, Épitaphe ne commence pas bien. Le début de l’histoire est considérablement étiré. Antoine Matha s’attarde durant plusieurs pages sur une partie de billes dans une cour de récré. Les règles sont laborieusement décrites : l’écrivain tourne autour du pot. Par bonheur, l’histoire finit par trouver son rythme, qu’elle ne quittera plus. C’est une épopée à l’envers, où l’auteur prend un malin plaisir à renverser quelques valeurs au passage.

Deux jeunes Africains, Raymond, donc, et le narrateur, quittent leur pays pour Paris, subjugués par la société dite d’abondance. Raymond, débrouillard, sans scrupule, est arrivé le premier. Comme il « deale » de la cocaïne, il s’enrichit très vite au point d’envoyer un billet d’avion au narrateur - fils d’un instituteur catholique -, plutôt sérieux et réfléchi, qui ne jure que par les diplômes. Voici ce dernier débarqué dans la capitale, inscrit en fac de philosophie et hébergé par un Raymond toujours en vadrouille. Épitaphe constitue le portrait d’un intellectuel qui vit aux crochets d’un bandit. N’est-ce pas un bel attelage ? Une façon aussi de se reconnaître dans la marge à double titre. Un écrivain n’essaie-t-il pas de vendre ses idées et son style, autre forme de drogue ? Progressivement, une fois en France et à mesure que la société change elle-même et se barde de lois, surtout celles érigées par Pasqua qui anticipent déjà les attitudes de messieurs Hortefeux et Besson, le héros découvre sa condition d’immigré, au sens fort : « L’immigré est une notion politique. Ainsi un Australien ou un Américain vivant en France est un étranger, cependant qu’un Malien et un Camerounais sont des immigrés. » Durant ces années passées, il nous entraîne à découvrir l’Occident avec ses yeux de jeune homme éveillé et curieux de tout. Inscrit en troisième cycle de lettres, il laisse tomber son sujet de thèse sur « la représentation du Noir dans Une saison en enfer de Rimbaud ». Il est possible que ce premier roman témoigne d’un mouvement d’attraction-répulsion pour la grande littérature française, dont il éprouve en même temps le désir de se séparer pour tenter tout simplement de vivre. Épris d’une Française, parfois dépressive, nommée Françoise, il fait l’expérience d’une autre façon de vivre l’amour, différente de celle qu’il a apprise au Congo. Il fera aussi, en France, la découverte paradoxale du rythme via des cours de tam-tam censés sortir Françoise de la dépression. De son côté, il va apprendre à connaître avec émerveillement les musiciens de l’École de Vienne : Schönberg, Berg, Webern. Le narrateur, qui ressemble terriblement à l’auteur, a planché sur le nouveau roman lors de ses études lorsqu’il était encore au Congo-Brazzaville. Cela se voit dans l’écriture même d’Épitaphe où il n’y a pas un seul paragraphe et où tout se lit d’une traite dans la même respiration écrite.

Muriel Steinmetz

SOURCE : http://www.humanite.fr/2009-04-30_Cultures_De-la-musique-apres-toute-chose

Édition Gallimard
Continents noirs,
166 pages,
15,90 euros.