Au lendemain de l’assassinat du Commandant Marien Ngouabi. Les pleins pouvoirs du comité central du Parti Congolais du Travail (PCT) et de l’Etat furent exceptionnellement attribués à un Comité Militaire du Parti (CMP) présidé par le Général Joachim Yomby Opango. Il sera déposé le 5 février 1979, par son 1er Vice-président coordinateur des activités du Parti et ministre de la défense, Denis Sassou Nguesso.

Après une décennie de règne, le régime Sassou I sera à son tour menacé par la rébellion du capitaine Pierre Anga, qui trouvera la mort dans son maquis d’Ikongono.

Lt Pierre Anga

A ce sujet, le journaliste franco-malgache Sennen Andiamirado publiait dans les colonnes l’hebdomadaire de Jeune Afrique N°1398 du 21 octobre 1987 le récit reproduit ci-dessous. (Photos archives WS)

Ce qui menace Sassou Nguesso

Le chef de l’Etat est tiraillé à gauche comme à droite. Ses services de sécurité ont déjoué in-extremis un complot de droite. Mais le vrai danger risque de venir de la « gauche dure ».

Quelque part prés du lac Tellé, dans le nord du Congo, un dinosaure, le Mokele Mbembe, se terre. Des scientifiques américains et congolais le traquent depuis plusieurs années. Sans succès. Les forêts et les marécages lui offrent un refuge inexpugnable.
Un peu plus au sud, dans la fort marécageuse de Mange, à 30 Km de la petite ville d’Owando (16 000 habitants), un homme a également trouvé refuge. L’ancien capitaine Pierre Anga, la quarantaine flamboyante, a pris le maquis depuis un mois et demi, défiant le régime congolais qui a dépêché des parachutistes pour quadriller cette région de la Cuvette. Soldat perdu en mal de politique. Pierre Anga, sa fille âgée de quinze ans et ses frères et cousins, armés de kalachnikov et de lance-roquettes, peuvent périr dans cette nature hostile, avalés par les marécages ou par les bêtes. Ils peuvent aussi y survivre sans que les troupes lancées à leurs trousses les retrouvent jamais : Pierre Anga est chez lui parmi les maitres-féticheurs vivant sur les rives des les rives de marécages ou le long du fleuve Kouyou qui draine la Cuvette.

L’aventure rocambolesque du capitaine Pierre Anga a commencé voici un peu plus de dix ans. A l’époque, il état officier d’ordonnance du Commandant Marien Ngouabi, alors chef de l’Etat Congolais et, comme lui, originaire d’Owando. Il était déjà réputé pour sa mythomanie et ses bravades. A tel point qu’un jour, excédé par ses facondes, Ngouabi l’a traité de « fou » devant témoins. Anga lui en voudra jusqu’au-delà de la mort, estimant que sa mère elle-même avait été insultée.

Fin 1976, le Parti Congolais du Travail (PCT), créé fin 1969, ayant traversé toute les phases du romantisme révolutionnaire, ayant essuyé une tentative de putsch du lieutenant Kinganga en mars 1970 [1], puis une tentative de rébellion du Capitaine Ange Diawara [2] , est en pleine crise. Trop occupés par leurs débats idéologiques, les dirigeants n’ont guère la tête à l’économie. Le président Ngouabi envisage convoquer un congrès extraordinaire du parti. On lui prête l’intention de négocier un « compromis historique avec la droite », alors incarnée par Massamba-Debat, chef de l’Etat de 1963 à 1968 [3].

Dans la hiérarchie militaire du parti, certains estiment « Il vaut mieux perdre le « couyon » de Ngouabi (en référence à sa tribu kouyou), que de perdre le pouvoir ». Le 18 Mars 1977, Marien Ngouabi est assassiné dans sa résidence, en plein cœur de l’état-major de l’armée. Des lampistes sont soit abattus sur place, soit rattrapés puis exécutés. Le 22 mars 1977, le cardinal Emile Biayenda, qui avait vu Ngouabi peu avant l’attentat, est retrouvé, assassiné lui aussi, dans un bois proche de Brazzaville. Considéré comme le cerveau du complot, Massamba-Débat est arrêté, jugé et condamné à mort. Il est exécuté le 25 mars avec six autres inculpés.

Le président Marien Ngouabi, d’une part à gauche avec le cardinal Émile Biayenda alors archevêque de Brazzaville tout les deux assassinés en mars 1977, et d’autre part avec son successeur, le colonel Joachim Yhomby Opango sur le cliché droit.

Ngouabi mort, le Congo est orphelin. Les officiers se suspectent les uns les autres, mais ils taisent leurs soupçons et leurs rivalités et créent le Comité Militaire du Parti (CMP) qui va assurer toutes les fonctions relevant du comité central et du bureau politique. Président du CMP, parce que « le plus ancien dans le grade le plus élevé », le colonel Joachim Yhomby Opango devient Chef de l’Etat. Ancien numéro deux sous Marien Ngouabi, le colonel Denis Sassou Nguesso est vice-président et ministre de la défense nationale. Parmi les autres membres du CMP, un jeune capitaine : Pierre Anga.

Le Comité Militaire du Parti, de gauche à droite au premier rang : Commandant Denis Sassou Ngueso, Colonel Joachim Yhomby Opango, Comandant Louis Sylvain Ngoma, au 2e rang : Capitaine Florent Ntsiba, Commandant Pascal Bima, Commandant Martin Mbia, Commandnat Raymond Damase Ngollo, Commandnat Jean Michel Ebaka, Capitaine Nicolas Okongo, Lieutenant Pierre Anga, Capitaine Francois-Xavier Katali.

Devenu dignitaire du nouveau régime, ce dernier n’a pourtant pas changé. Proche de Yhomby, lui aussi originaire de la région de la Cuvette, il réclame le poste de ministre de la défense ou, à tout le moins, celui de chef d’état-major. Il tempête tant et si bien que Sassou Nguesso menace de démissionner du CMP plutôt que d’y cohabiter avec Anga. Le président Yhomby cède et le bruyant capitaine se trouve exclu du Comité Militaire. Exclusion qu’il reprochera toute sa vie à Denis Sassou Nguesso.

Les deux principaux leaders du CMP, le colonel Denis Sassou Nguesso et le colonel Joachim Yhomby Opango qui se succéderont au pouvoir

Deux ans après, c’est à nouveau la crise. Le comité central du PCT semble définitivement relégué aux oubliettes et il n’est surtout plus question de convoquer un congrès extraordinaire. Le colonel Yhomby élevé général s’est confortablement installé sur son trône présidentiel, dans le luxe excentrique et dans l’oisiveté. Puis, aux yeux de ses camarades, sa « dérive droitière » menace sérieusement la ligne marxiste-léniniste du Parti. Ayant perdu tout contact avec les membres du PCT, ne contrôlant pas davantage l’armée, il se résout à accepter la convocation du comité central, gelé depuis deux ans.
Le jour dit, 5 février 1979, Yhomby se rend compte que la résurgence du comité central signifierait la dissolution du comité militaire et, partant, sa banalisation personnelle. Il essaie de rameuter ses derniers fidèles. Pierre Anga accourt à la Maison du Peuple, ou doit se tenir la réunion, d’où il est refoulé. Brazzaville est à deux doigts de la guerre civile.

Le comité central dissout le comité militaire. Yhomby rentre dans les rangs. Sassou devient président du comité centrale du Parti, dirige le bureau politique reconstitué. En avril 1979, le congrès extraordinaire renouvellera son mandat.

Joachim Yhomby Opango, lui a été exclu du parti, Arrêté, il sera détenu jusqu’en 1984 au camp militaire de Pointe-Noire. Pierre Anga connaitra le même sort, avant d’être assigné à résidence dans son village d’Ikongono, à 25 Km d’Owando. Il n’a toujours pas renoncé, affirmant à ses proches : « Il faut que je sois président de la République. Même pour quarante huit heures. ». Ayant eu l’autorisation de s’installer à Owando, ou il retrouve Yhomby, lui aussi assigné à résidence, il va de hameau en hameau, incitant les paysans à remettre à l’honneur l’Ekongo, une danse à un appel à la guerre.

En juillet 1986, Denis Sassou Nguesso devient président de l’OUA. Il le restera jusqu’en juillet 1987, profitant de ses périples, au nom du continent, pour mieux parler au nom de son pays. Mais le Congo ne va pas bien. Les prix du pétrole chutent et le dollar sa monnaie de paiement, dégringole. Sassou Nguesso arrive à mieux faire comprendre la République Populaire du Congo, considérée à l’extérieur comme une dictature à la fois stalinienne et brouillonne. Il rassure les bailleurs de fonds, au prix d’un resserrement budgétaire draconien, et des investisseurs débarquent, par petits groupes à Brazzaville.
Mais au plan politique, les absences répétées de Denis Sassou Nguesso ont réveillé des ambitions. Des contacts se nouent entre anciens officiers et quelques intellectuels et hommes d’affaires. Fin juin 1987, le colonel Ngouelondele, directeur général de la Sécurité d’Etat, rapporte à Sassou qu’un coup d’État est en préparation contre lui. Il est même prévu d’abattre son avion au moment de son départ de l’ OUA.

Ngouelondele frappe le premier. Début juillet, plusieurs anciens officiers supérieurs, dont un ancien chef d’état-major sont arrêtés. Arrêté également le lieutenant Gilbert Iloki ainsi qu’un homme d’affaires, tous deux excellents amis d’un soldat perdu dont, à Brazzaville, on a oublié jusqu’au nom : Pierre Anga.

Des premiers interrogatoires, il ressort que Yhomby Opango et Pierre Anga ont été au moins au courant du coup d’État déjoué. Fin Août 1987. Une première convocation est adressée aux deux relégués d’Owando, pour simple interrogatoire. Yhomby y est déféré. Anga pour sa part, réplique : « Je n’irai pas à Brazzaville, plus jamais personne ne m’arrêtera ».

On se prépare à la guerre. Une mission, dirigée par Camille Bongou, secrétaire du Bureau politique chargé de la coordination, vient encore parlementer avec Anga. Lequel refuse toujours et lui remet une cassette sur laquelle il a enregistré un message destiné à sa mère, à sa femme, à sa fille et à ...Denis Sassou Nguesso. Il « révèle » qu’en 1977 il a été exclu du CMP pour avoir rédigé un rapport sur l’assassinat de Marien Ngouabi. Et il porte des accusations tardives qu’il n’étaye d’aucune preuve.

Il n’empêche. Entre temps, Pierre Anga se prépare à la guerre. Il a rassemblé une trentaine de se parents dans sa maison d’Owando, transformée en blokhaus. De Brazzaville, des conjurés lui envoient, convoyés clandestinement par de jeunes partisans, des armes et des munitions. Trois militaires venus l’arrêter sont abattus.
Le 6 septembre, un transall, prêté par l’armée française basée au Gabon, débarque des commandos parachutistes à Owando. C’est l’affrontement. Une soixantaine de morts, selon certaines sources. Six, plus vraisemblablement, selon d’autres. La maison de Pierre Anga est rasée, mais l’ancien capitaine a pu s’enfuir, par un tunnel creusé depuis longtemps, de son domicile à un autre quartier, à en croire un de ses partisans aujourd’hui lui aussi en fuite. Depuis, il se cache quelque part, entre les marécages de Manga.

A l’extérieur, on a tôt fait de sortir les vieilles grilles tribales pour qualifier la crise créée par la folle rébellion de Pierre Anga. En ignorant superbement que, tout comme le rebelle, trois chefs d’Etats congolais successifs sont originaire de cette même région de la Cuvette : Marien Ngouabi, Joachim Yhomby Opango et Denis Sassou Nguesso. S’ils ne sont pas exactement de la même sous ethnie, c’est parce qu’ils ne sont pas du même village.

En réalité, Pierre Anga, plus visible parce que plus remuant, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Il ne sert que de révélateur a une crise qui, de sa droite comme de sa gauche, a bien failli emporter le régime du président Denis Sassou Nguesso.
Les difficultés économiques ont imposé un subtil recentrage politique que les marxistes dogmatiques refusent. Les entreprises et sociétés d’Etat, naguère « acquis du peuple », mal gérées, plus préoccupés de bureaucratie et de réunionite que l’efficacité, s’effondrent. Et l’Etat n’a plus les moyens de ravaler leur façade. Le fonds monétaire international est venu avec son remède de cheval et le Congo a entamé une ouverture diplomatique et un desserrement du carcan économique étatique. L’aile dure du Parti Congolais du Travail, visiblement en retard d’une révolution, l’ouverture et la décrispation engagée en URSS, en Angola ou au Mozambique sont une révolution, y voit une nouvelle « dérive droitière ».

Des luttes sourdes se sont déroulées au sein du Bureau politique ou, numéro 2 du Parti, Camille Bongou, secrétaire chargé de l’organisation et de la coordination, issu du M-22, un mouvement gauchiste rassemblant des fidèles d’Anges Diawara et sa révolte de 1972, incarne précisément cette aile dure. Jusqu’en juillet 1987, il avait la haute main sur tout l’appareil du parti puisque c’est lui qui centralisait les relations avec les structures de bases ainsi qu’avec les organisations de masse (celles des syndicats, des femmes, des jeunes, etc.). Il avait donc les moyens de faire et de défaire le Comité Central, puisque c’est sous son contrôle que devaient être désignés les délégués au prochain congrès, prévu pour 1989.

Mi-juillet 1987, il a perdu son pouvoir tentaculaire, n’étant plus chargé de l’organisation mais seulement de la coordination. Dans le jargon des partis marxistes, coordination veut dire « paperasserie administrative ».

Quelle relations avec la rébellion « de droite » d’un Pierre Anga ? Peu de chose, en apparence. Seulement des indices qui ont fait soupçonner ce que les marxistes appellent une « alliance conjoncturelle ». Parmi les officiers arrêtés en juillet, certains sont en effet membres également du M-22 qui forme la gauche dure du Parti. Un libraire Brazzavillois, Julien Atondi, arrêté lui aussi à son retour après un séjour en France, en juillet, est à la fois un proche de Pierre Anga et un membre du M-22. Selon des sources officieuses, il aurait dit, lors de son interrogatoire : « Je n’ai rien à voir dans cette histoire. J’étais tranquillement en France, ou j’ai reçu de Camille Bongou 1 800 000 FCFA et un message me disant de rentrer pour préparer l’avenir. Je suis revenu ». Et il est arrêté.

Y’a - t’il une « alliance conjoncturelle » entre la droite de l’armée et la gauche dure du Parti ? On ne peut l’affirmer, mais en politique tout est possible. Comme, par exemple, l’utilisation délibérée ou non, d’un officier bruyant pour tester le système de défense d’un régime. Pour le moment, Denis Sassou Nguesso a administré la preuve qu’il tient ferme la barre, au sein du Comité Central qui le soutient comme dans l’armée qu’il a toujours contrôlée. Un coup de semonce sur sa droite peut sans une action en profondeur sur sa gauche, mais il a un atout maître : l’homme de la rue congolaise n’a jamais été très favorable à l’aventurisme gauchiste, mais il a un souverain mépris pour la droite dont il a connu les frasques sous l’Abbé Fulbert Youlou (1960-1963), comme sous Yhomby Opango. Il est un rempart contre toutes menaces. A condition de confirmer sa confiance en celui qu’il appelait en 1979 « l’homme des masses » ou « président bonne chance. ».

Sennen Andiamirado in Jeune Afrique N°1398 du 21 octobre 1987